Où en est-on avec Metal Gear Solid ? La question a de quoi vous filer le tournis. Je me souviens de MGS4 comme d’un rêve tordu et fiévreux pendant une gastro-entérite. Je me souviens d’une demande en mariage pendant une fusillade d’un quart d’heure. Je me souviens d’une rectitude interminable dans l’équivalent d’un micro-onde complètement pompé (dans son principe d’une action mashing button) sur les cinq dernières minutes de Shadow of the Colossus. Je me souviens d’un running gag à propos d’oeufs aux plat. Parce que Metal Gear Solid n’a peut être jamais été que ça. Une gigantesque et démente usine à souvenirs entre les mains de deux artistes à la fois capitaines d’industrie besogneux et petits princes à la masse, Hideo Kojima et Yoji Shinkawa.

Et là je me trouve dans un complexe quasi militaire et énergétiquement autonome en plein milieu de la campagne japonaise de Nasu à exactement 122 km de Fukushima, cerné d’employés de Konami équipés d’oreillettes (on vous dit tout dans le prochain numéro de Games Magazine, promis) pour voir et expérimenter Ground Zeroes. Le prologue à MGS5 The Phantom Pain dont les trailers à eux seuls incarnent le dernier ascendant de la production japonaise sur la domination occidentale en matière de loisirs interactif HD. Chose promise sur Youtube, chose due, Ground Zeroes s’ouvre sur les notes sacrificielles du “Here”s to you” de Baez et Morricone et donne le LA à une aventure synthétique et ramassée.

Là où MGS4 se perdait en gadgets superflus et autres errances issues de l’idée qu’on se faisait tous des possibilités de la next gen, Ground Zeroes élague, réduit les capacités de son héros – Big Boss – au strict minimum et répercute cette soif de simplicité à ses commandes, intuitives comme jamais, nues comme Rambo. La mission ? Pénétrer un Guantanamo like d’avant l’heure et sauver deux enfants soldats, entrevus dans le décevant Peace Walker. Ombre tutélaire dans les premiers MGS, John/Big Boss a acquis un statut de mâle alpha de l’infiltration. Figure ambivalente “par qui le mal arrive”, super soldat vintage et tragique, sa silhouette à elle seule suffit à entrevoir quelque chose comme une idée du devoir. Et le voilà donc sous notre contrôle à infiltrer un Black Site états-uniens. A la succession très lonely planet de couloirs thématiques étendus et à usage unique de MGS4, Ground Zeroes revient à l’essence du savoir faire de la saga: La Base.

Celle qui délimite le début et la fin du monde. Celle qui renvoie le joueur au fantasme d’être enfermé dans un hypermarché une nuit entière, enfermé mais libre (à condition de rester discret) de tout faire, de tout goûter, de se gaver d’expérience, de se faire des films, de se raconter des histoires en échappant aux caméras et aux vigiles. Le camp Omega de Ground Zeroes revient donc à cette tradition sublimée par la base en Alaska de MSG1 ou encore la plateforme maritime Big Shell de Sons of Liberty en proposant des lieux évocateurs, cohérents dans leur successions, crédibles dans leur réalisme et pourtant véritable coffres à jouets et réservoirs à happening.

Dissipons tout de suite un malentendu, une fois l’emplacement et la routine des gardes mémorisés, il est tout à fait possible de tracer à travers Camp Omega et d’effectuer rapidement les deux sauvetages qui vous séparent d’un dénouement d’une violence radicale. Géographiquement parlant, c’est un énorme troll, une provocation d’un genre inédit. Kojima et Shinkawa vous laisse, littéralement, le loisir de “passer à côté” de leur jeu. D’en contourner la richesse et le plaisir de s’y perdre. Fondamentalement, le coeur du titre demeure cette même quête personnelle et évolutive d’un style. Déchaîner un chaos explosif et sanglant sans faire de prisonniers ou bien devenir une ombre mouvante imperceptible. Entre les deux extrêmes, l’éventail des nuances offertes dans Ground Zeroes ne cesse de fasciner, d’autant plus si l’on considère la réduction salvatrice des armements et des gadgets tout comme la progression d’un campement à ciel ouvert se changeant progressivement en un complexe militaire muré.

Bien que partant d’une bonne intention, les 5 missions annexes font bien plus office de démonstration logique et graphique (ou de compensations laborieuses au canular Kojimesque précité ?) que de complément indispensable à l’aventure principale. Il n’empêche. Par sa quête de minimalisme quasi indé trahit par une direction artistique éblouissante et un vertigineux foisonnement des possibles, Ground Zeroes efface l’ardoise des boursoufflures de Metal Gear Solid 4 et donne à l’infiltration sur cette nouvelle génération de machine son premier diamant brut. Et malgré sa fin frustrante, d’amorcer la renaissance de la licence, sa mue, sous une forme inattendue, urgente et épurée: Big Boss, sa bite et son couteau.