Vieux camarade taiseux pour le fidèle des Hitman, mascotte reconnaissable pour le profane qui s’invite aisément dans son univers en cours de route, l’agent 47 se définit par un dépouillement qui semble l’avoir rendu increvable. Homme sans passé (on lui a effacé la mémoire) et sans saveur, c’est un caméléon total, dévoué tout entier aux plaisirs simples de l’infiltration. À moins de briser la ligne claire de son style déplumé et encravaté, impossible de se planter en faisant revenir un tel personnage. Reste qu’après quinze ans de bons et loyaux services rendus à d’obscurs puissants, 47 devait fatalement repenser les modalités de son inlassable quête : peut-on encore s’amuser à promener le tueur chauve par monts et par vaux, déguisé en mécano ou en jardinier subalterne ? La sophistication de la concurrence (le passage de MGS à l’open world, par exemple) ne rend-t-elle pas caduques les ruses de sioux que les missions invitent à déployer ?

Après le vague refonte d’Absolution en 2012 (plus grande linéarité, priorité offerte aux modes de déplacement plutôt qu’aux assassinats), IO Interactive perçoit bien la nécessité de changer franchement de braquet. Mais le studio parie moins sur le gameplay que sur l’attrait d’une curieuse logique feuilletonante, à raison d’un « épisode » par mois jusqu’à la fin de l’année. Curieuse, parce qu’on ne voit pas bien, au terme de cette première escapade parisienne (amorcée au terme de petites missions apéritives et pas déplaisantes), en quoi un tel rythme bousculerait l’expérience de jeu, qui se résume toujours au degré zéro de l’infiltration tactique. Voilà donc le mercenaire immergé dans un nouveau raout putassier, avec tout le gratin de la mode européenne. Face à une I.A. approximative, on explore la map en attendant que se présentent les fameuses « opportunités » permettant d’atteindre les cibles – avec le sentiment d’être spectateur frustré plutôt qu’acteur, puisqu’à part le choix du modus operandi, les mains de 47 sont liées en matière de stratégie. La pauvreté du terrain de jeu sape le désir de rejouer l’aventure sous un angle différent, une fois la mission achevée (refroidir de petits roitelets de la haute couture attifé en vigile ou bien en fashion designer, la belle affaire). Difficile donc de consommer ce « pilote » autrement que sur le pouce, en attendant de voir quelles avancées nous réserve le reste de la saison sur le plan tactique.

Mais le plus étrange, c’est cette manière de céder à la tentation du reboot pour mieux se refaire une santé : réapparaissant de nulle part, 47 établit son premier contact avec l’agent de liaison Diana Burnwood. Quel intérêt de rebooter une franchise aussi épurée que Hitman ? Comment faire table rase d’une mythologie si maigrelette, bâtie précisément sur l’absence de racines d’un héros délibérément lisse ? Là encore, il faudra attendre de voir quel avenir lui préparent les prochains épisodes, mais on doute que l’éventuelle formation du flingueur présente un réel intérêt biographique. Ce rétropédalage cosmétique révèle bien qu’IOI a conscience d’arriver, ou plutôt de revenir, après une foule de titres forts ayant banalisé une fois pour toutes l’alliance d’infiltration savante et de complexité narrative. Le studio semble donc s’être bricolé à la hâte une sorte de récit des origines pour avoir l’air de suivre la cadence. Mais en cherchant grossièrement à rattraper les grands RPG stratégiques (ceux de Kojima en tête), Hitman se trompe de challenger.

Car au fond, à quoi tient le plaisir potentiellement offert par Hitman ? À l’intrusion beaucoup plus qu’à l’infiltration. À la sensation enivrante de crasher subrepticement d’insupportables pince-fesses guindés, peuplés de plastic people propres sur eux et de divas puantes de vulgarité. À cette malice consistant à faire mine de marcher au pas devant la surveillance, tout en se demandant de quelle manière on dézinguera celle-ci dans les prochaines minutes. Or on a déjà réalisé ce vieux rêve misanthrope avec éclat : Rockstar, notamment, nous a mis la crosse entre les mains pour torpiller la faune californienne, voire la modernité occidentale dans son ensemble. En s’engageant plus fermement dans cette voie-là, le jeu aurait pu espérer au moins talonner GTA sur le registre de la satire anar’ et sociologiquement affûtée. Au lieu de quoi il parait se planquer derrière la promesse de renversements futurs, auxquels on peine à croire – comme devant un pilote de série télé, encore une fois, qui passerait à côté de sa plus belle idée. D’ailleurs, c’est peut-être à la manière d’un feuilleton à suivre en dilettante, avec une distance amusée, qu’Hitman trouvera à s’accomplir avec le temps : il pourrait alors s’assumer comme une marotte de salon creuse mais prenante, revenant à nous une fois par mois, incarnée par ce bon vieux tueur dégarni qui de toute manière fait depuis longtemps partie des meubles.

5 COMMENTAIRES

  1. Hmm… C’est un peu ce que je craignais. En regardant vaguement un « let’s play » de ce piilote, j’ai eu la sensation d’un jeu tellement mou… Les barrières sont partout, les scripts impardonnables, l’IA encore et toujours programmée dans une bête perspective de « die and retry »… C’est flagrant quand on sort de MGSV, que vous avez raison de citer, car il représente une vraie révolution du concept d’infiltration (à commencer par la liberté ou non d’infiltrer !).

    Bref, comment Hitman peut-il se révolutionner ? Certainement pas en me faisant entrer dans un énième bâtiment de la même manière que je l’ai fait mille fois par le passé. Le hall de ce premier niveau m’a beaucoup fait penser à celui de l’ambassade dans Mission:Impossible sur N64, et ce n’est pas un compliment !

    Pour ceux qui ont usé cet épisode pilote de Hitman jusqu’à la moelle, qu’y trouve-t-on de réellement novateur, de « game changer », en matière de stratégie ?

  2. Huit mois plus tard, cette première saison enfin acquise et terminée, je revois quelque peu mon évaluation de « Hitman 6 ».

    Je pressentais que ce serait mou : ça l’est. Ca réussit même l’exploit d’être mou et rigide à la fois (c’est flagrant, par exemple, dans la transition entre une filature et une fusillade : rien n’a changé depuis 2002). Mais, comme mentionné ici, c’est ça qui fait son charme : 47 « fait partie des meubles » et c’est très rassurant de le voir fidèle à lui-même. Il est là, exactement tel qu’on l’avait découvert dans Hitman 2. D’ailleurs, les différents niveaux ont tous quelque chose des anciens épisodes : c’est un best-of de la série (Silent Assassin pour Sapienza, Bangkok et Hokkaido, Contracts pour Paris, et même Absolution pour le Colorado).

    Là où j’avais tort, c’est sur l’aspect intransigeant. Le jeu est bien plus souple et permissif que prévu. On s’amuse à suivre des opportunités intelligemment pensées, mais encore plus à s’en éloigner et emprunter des chemins de traverse qui, certes, trahissent souvent les limites de l’IA, mais s’avèrent nettement plus jouissifs. C’est tout le fun de Hitman : se la jouer cool et pro, jusqu’à ce qu’on perde le contrôle et qu’on se mue en psychopathe. Ou inversement.

    Au sujet du contrôle de soi, justement : les missions sans checkpoint, ou mieux, les « cibles temporaires », ajoutent énormément de piment. C’est sans doute à ça que Hitman aurait toujours dû ressembler, et il s’en donne enfin les moyens. Traquer désespérément une cible dans une foule, la découvrir enfin, puis attendre le bon moment en sachant que toute erreur sera la dernière, c’est une expérience d’une rare intensité, même pour ce genre « niche » habitué aux défis de l’extrême.

    Que disiez-vous, déjà, à propos de MGSV ? « On ne naît pas Big Boss, on le devient. » Eh bien, il en va de même ici pour l’ami 47. C’est moins habilement amené, mais c’est la même intention.

    Et c’est là où l’intérêt de l’épisodique pointe le bout de son nez : en se concentrant sur une seule mission par mois, nul doute que les fans ont dû s’en donner à coeur joie et prendre plaisir à maîtriser les moindres techniques dans chaque environnement. On s’en rend compte après coup, en avalant la saison entière : ce jeu a une courbe de progression pensée sur six mois, pas sur six jours. Bref, j’ai la ferme impression d’en avoir bien moins profité qu’un utilisateur « Day One ».

    Un dernier point que cette critique n’aborde pas du tout, c’est l’évolution très nette de 47 en 007. Jusque là source d’inspiration parmi tant d’autres pour les développeurs, Bond devient leur muse majeure. A tel point qu’on se demande si on ne tient pas, avec cette refonte de Hitman, le meilleur socle possible pour une adaptation des récentes aventures de Daniel Craig. Un simple rééquilibrage des priorités de gameplay serait suffisant.

    Bref, plus qu’un best-of de la série, Hitman 2016 s’impose comme l’ambassadeur discret mais efficace d’une tradition classique de la fantaisie virtuelle d’espionage. Honnêtement, que pouvait-on en attendre de plus ?

  3. Le sérieux de la critique de Yal Sadat est loin d’être à la hauteur du sérieux de la langue. Le jeu est traité par-dessus la jambe.

    Si vous comprenez l’anglais, je vous recommande vivement l’excellent test de Hitman par Super Bunnyhop sur Youtube :

    https://youtu.be/mBaZUtRiIAM

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