Début janvier, silence radio. Alors que la traque suivant la tuerie de Charlie Hebdo est sur tous les écrans, Battlefield Hardline met provisoirement sa campagne de communication en sourdine. Pourtant, le nouvel épisode de la saga culte du FPS multijoueur est bien loin de l’actualité : repris en mains par Visceral Games (Dead Space, Le Parrain…), le jeu se la joue plutôt flic ou voyou, dépeignant dans son mode solo la trajectoire d’un immigré cubain qui doit combattre la corruption gangrénant son unité de police à Miami. Le problème est bien sûr une question de contexte, et de représentation. Inonder les sites de jeu vidéo d’images de flics surarmés ou de types cagoulés un AK–47 à la main, ça ferait un peu tâche. Pur hasard, donc, mais assez conséquent pour que Electronic Arts prenne des mesures. Ce n’est alors pas la première fois que le jeu est rattrapé par l’actualité. On sait depuis quelques mois que le développeur, suite aux événements de Ferguson, a modifié son jeu afin de ne plus pouvoir abattre un ennemi qui se rend. Une fois celui-ci visé, impossible d’appuyer sur la gâchette. Pour la première fois, l’autre emblème du blockbuster va-t-en guerre aux côtés de Call of Duty aurait-il eu un sursaut de moralité ?

Le jeu est à l’image de son personnage : fils d’un flic ayant pratiqué la torture pour le régime castriste, il est en quête d’intégrité morale et tente de tuer le père. Mais Visceral ne peut balayer l’identité du titre de DICE. Construit comme une série aux allures de blockbuster produite par Netflix, Hardline cherche son équilibre entre l’action décomplexée de Michael Bay, le cop show hérité du buddy movie 80’s, et les leçons de l’ère Obama. Les références avouées se veulent un peu plus nobles (Heat, Miami Vice, Justified…), mais on ne se refait pas si facilement, surtout quand on s’appelle Visceral. Et c’est peut-être cette volonté de rester dans la série B, et en particulier la série B métèque, qui fait de Hardline un épisode sympathique. Mariant un casting pluri-ethnique à une histoire de flics pourris et des décors banlieusards (parfois), le jeu déplace doucement le curseur du genre vers la fiction critique et réflexive sans renier ses fondements bourrins. Tout est à cette image, à la fois contradictoire, bordélique et cohérent (son gameplay à base d’infiltration pour éviter l’utilisation des armes et qui en récompense donne…des armes). Tel un patapouf qui veut bien faire, Visceral doit se confronter à des paradoxes inhérents à son identité et aux mécanismes du genre : on impose au joueur de ne pas shooter un ennemi qui s’est rendu, mais celui-ci vous tire systématiquement dessus dès le moindre moment d’inattention. Il n’a pas moyen de fuir, vous désarmer ou bien se rendre pour de bon, Visceral n’y a pas pensé. C’est un peu pauvre (le jeu est parfois répétitif), et souligne surtout le problème de l’exercice imposé de moralité, dans un cadre contraire à ce que le jeu a toujours été. Quoiqu’il arrive, l’autre est toujours une menace potentielle.

Si Battlefield a voulu refaire son image, ou en tout cas s’acheter une conduite suite aux évènements, cette incapacité à ne pas basculer complètement dans le politiquement correct suit encore une fois la trajectoire du personnage. Au terme d’une intrigue bien balancée et toute en zones grises balisées, le jeu débouche sur ce constat qui lui pendait au nez : la moralité a ses limites que la jouissance ne connait pas et qu’elle se doit même de briser. Et c’est bien aussi là toute la question du jeu, libérer le joueur des contraintes, l’autoriser un jour d’être le gendarme, et le lendemain le voleur. La responsabilité et l’éthique ne sont qu’un paravent politique, la force du jeu elle est de nous faire passer par tous les points de vue. On a connu pire parti paris.