Alors que Beaubourg inaugure une énième exposition sur Picasso, la Galerie nationale du Jeu de Paume rend hommage à un artiste que l’on aurait un peu mis de côté avec l’effervescence de la création moderne et contemporaine. Gaston Chaissac se reconnaissait proche de l’art brut mais son œuvre ainsi réunie lui rend toute sa singularité et son indépendance, conformes aux choix de vie de cet artiste autodidacte qui a toujours voulu se garder d’être au centre de l’avant-garde et des milieux artistiques et intellectuels de son époque.

La peinture de Chaissac traduit tout d’abord le scandale de la Deuxième Guerre mondiale. En 1937, il y a cette rencontre qui a beaucoup compté dans ses recherches plastiques du début, avec l’artiste juif allemand Freundlich, dont le tableau Der neue Mensch avait été choisi par les nazis pour expliciter leur exécration d’un art considéré comme « dégénéré » Freundlich aurait transmis à Chaissac un art radical, sans concession. L’accrochage du Jeu de Paume met bien en valeur à la fois l’impact des années d’après-guerre, mais aussi des obsessions formelles de cette œuvre qui entretient un dialogue permanent avec elle-même, alors que les perspectives de son époque changent. L’exposition s’ouvre sur deux petites pierres peintes. Elles sont à elles seules la mise en lumière de toute l’évolution du peintre et expliquent certains choix plastiques d’œuvres plus tardives. La première, des années 38-39, s’intéresse au matériau brut de la pierre, sans réel souci d’en épuiser les formes. La seconde, de 48, s’accroche aux angles, au volume, pour y mettre en relief un de ces bonshommes autour duquel on peut tourner, voir ici le profil, là une face. On comprend la longue hésitation de Chaissac, à laquelle il mettra fin avec ces Totems et le choix de la « platitude » des sculptures des années 50-60.

On aurait pu être submergé par le très grand nombre d’encres, de dessins à la plume (les dessins à la dentelle) mais là encore l’exposition est très bien faite. Les encres de la première salle nous introduisent intimement dans le monde des formes de Chaissac, dans son univers particulier de l’emboîtement, de l’apparition, de l’assemblage. Chacun de ces dessins nous initie à ce que c’est qu’un trait, une ligne, jamais géométrique mais serpentine. Dans L’Elégant à la cravate de 1939, on remarque un grand dénuement dans la simplicité de la représentation. Ce n’est qu’après que l’on pénètre dans un univers tragique. Le ton a changé et les précédentes encres ne nous y ont pas tellement préparés. C’est celui des Crucifixions, du Pendu (1947), celui du Roi Bleu de 1944. C’est celui des premières peintures. Puis, on s’ingénie à nouveau à décrypter l’univers ludique de Chaissac, avec d’autres séries d’encres sur papier. Chaissac s’approprie même des dessins faits par d’autres, des enfants de son entourage. Il les recopie, les colorie, les enrichit de différentes manières.

On quitte définitivement le tragique pour une expression plus ironique, plus distanciée face au réel. Jusqu’à la signature, les œuvres témoigneront de ce détachement : « Chaissac le fumiste », « Picasso de bidonville », « Chie-en-sac »… Il écrira encore à Dubuffet : « Je puis offrir à de jeunes artistes des pseudonymes déjà connus. » Avis aux amateurs !