Bien que leur subite popularité les ait propulsés au devant des medias en 2014, Sleaford Mods existe bel et bien depuis 2006, mené initialement par le seul Jason Williamson. Une façon pour lui de mettre en mots la frustration quotidienne causée par les emplois faiblement rémunérés, les déconvenues du showbiz pop et les situations domestiques qui en découlent. Après un exil de quelques années à Londres, il fait la connaissance d’Andrew Fearn en 2009 lors de son retour à Nottingham, leur ville natale à tous les deux. Jason Williamson cachetonne alors en musicien de session (pour Spiritualized ou Bent), avant de s’essayer à un genre de slam déclamé dans les pubs, tandis que Andrew Fearn s’essaye à l’electronica sous le nom Infant (qui se souvient de son album sur le label parisien MusikExperience, sorti en 2004 ?).

Sleaford Mods devient alors le duo qu’on connait aujourd’hui, laissant à Williamson l’opportunité de se consacrer uniquement aux paroles tandis que la partie instrumentale est déléguée à Fearn. Les deux derniers disques en date (sur les sept sortis façon DIY) sont signés sur Harbinger Sound, un micro-label davantage porté sur l’extrémisme noise et industriel. A l’occasion de la sortie sur Ipecac de la version physique de la compilation Chubbed Up +  (avec trois nouveaux morceaux en bonus) et de leur concert (complet) à la Dynamo de Pantin, voici une succincte mail-interview de Jason Williamson, qui n’a rien perdu de sa virulence en dépit du succès.

Chronicart : Il y a de nombreuses références dans vos chansons qui sont particulièrement liées à la culture anglaise. Comment pensez-vous que les audiences françaises ou non-anglophones reçoivent votre musique ?

Jason Williamson : Très bien. Dans la plupart des cas, aussi bien que les publics du Royaume Uni. La plupart des gens parlent et comprennent aussi l’anglais, et ceux pour qui ce n’est pas le cas se connectent à l’énergie du concert, je pense.

Quelle est votre opinion sur la musique anglaise aujourd’hui ? Quels sont vos groupes préférés (récents ou anciens) ? The Fall, Sex Pistols, Buzzcocks ?

Mes groupes préférés de tous temps sont les classiques, oui. Ils ont créé un précédent qui est toujours valide pour moi. Des centaines d’autres références sont aussi importantes en ce qu’elles me font réfléchir et m’aident à tailler dans des approches différentes. Tu es responsable de tes propres découvertes et les influences peuvent aider pour un temps seulement. Tu dois créer ta propre merde.

Le philosophe Theodor Adorno a écrit que la musique de notre société capitaliste contemporaine devrait être une musique dissonante, parce que cette société est dissonante. Es-tu d’accord ? Dans quelle mesure penses-tu que ta propre musique reflète la réalité ?

J’aime bien Adorno, il faisait partie de l’école de Francfort avec Herbert Marcuse. Je suis d’accord avec cette idée, parce que la société moderne – en fait toute société dont nous pouvons nous souvenir – est tout à fait contre la beauté de l’existence, ses possibilités. Nous sommes des caisses de résonances de cela, chacun d’entre nous. Nous servons tous un but industrialisé, et on nous donne des poisons pour y faire face. L’enfer.

Tu as publié un recueil de tes textes intitulé Grammar Wanker (littéralement « branleur de grammaire », NDR). Considères-tu les paroles de tes chansons comme de la littérature, puisque tu as souhaité les publier ?

Non. Juste des mots agencés dans des formes qui me rendent heureux. Les gens peuvent appeler ça comme ils veulent pourvu que ce soit une réponse positive. Ces mots ne sont pas de la merde ou des coups de gueules désinvoltes, ce sont de bons échos de la vie, selon moi. Mais je ne crois pas être écrivain, même si je le suis peut-être. Je veux juste aller de l’avant et ne pas me faire embrouiller par des conneries de congratulations. C’est difficile parce qu’il semble que nous soyons de plus en plus connus, mais garder les pieds sur terre est la bonne route pour faire du bon travail.

Utilisez-vous de véritables instruments ou utilisez-vous uniquement des samples ? Vous jouez seulement avec un ordinateur sur scène, n’avez-vous pas l’intention d’intégrer un batteur à vos performances à l’avenir ?

Pas d’instruments live pour l’instant. C’est un peu ringard, je trouve. Andrew crée toute sa musique chez lui et nous travaillons ensemble pour construire les chansons. Sur le papier ça sonne merdique, mais sur scène ça fonctionne parfaitement.

Nottingham est à l’origine de la légende de Robin des Bois. Tu chantes : “Rottingham – where’s Robin when we need him? Ain’t giving to the poor anymore he’s selling to the rich”. Seriez-vous les Robin des Bois de la pop culture anglaise ? 

Hahaha. Si j’étais millionnaire, bien sûr, j’en donnerais une partie. Ne pas le faire est une insanité. La question est : à qui ? Fais ton choix… il y a tellement de choses à aider…

Comment vis-tu ces jours d’élections au Royaume Uni ? Vas-tu voter ? Que (qui) peut changer la politique chez vous ?

Oui, je voterai. C’est un mécanisme mort, mais je préfère entendre raison, si ça peut aider mon gosse à voir en la civilisation la force intellectuelle qu’elle aurait dû être…