Dix ans qu’on avait plus vu un long-métrage de fiction de Wim Wenders, puisque son précédent, Rendez-vous à Palerme, s’en était tenu à une seule projection cannoise — copieusement moquée — avant de tomber aux oubliettes de la distribution française. Pour cause : le film était un embarrassant tissu de banalités pompeuses sur l’art, la photo, la mort, dans un emballage de téléfilm moche échouant sur un carton croquignolet (« To Michelangelo and Ingmar »), lequel suscita à l’époque, dans la grande salle Lumière, un éclat de rire général assez mérité.

Entretemps, le dernier des cinéphiles a réalisé deux documentaires à la fois expérimentaux et édifiants sur des légendes de l’art (Pina et Le Sel de la Terre), qui sentaient déjà pas mal la retraite  mais restaient assez recommandables. Wenders fait partie de cette famille de grands cinéastes qui, faute de pouvoir refaire de grands films, continuent simplement d’expérimenter, comme on planterait de nouveaux légumes dans son potager (ici par exemple, l’image est en 3D, chouette). Or on ne peut pas dire que ce sympathique volontarisme soit un cache-misère très efficace pour l’inspiration en berne de l’auteur. On peine, en effet, à retenir sa consternation devant ce navet rachitique, mélodrame sous respiration artificielle qui, malgré James Franco, Charlotte Gainsbourg et Rachel McAdams au casting, malgré Alexandre Desplat à la musique et Benoît Debie à l’image, se révèle assez conforme à l’idée qu’on pourrait se faire d’une adaptation de Marc Levy pour M6.

Difficile de savoir par où commencer, tant cet AVC filmique s’apparente à un canular. Son titre, déjà — Everything will be fine — semble n’avoir pour fonction que de rassurer le spectateur sur l’état végétatif d’un récit qui, emmitouflé sous son plaid, prendra un malin plaisir à fuir tout ce qui pourrait le rendre consistant. James Franco y incarne un écrivain en panne sèche, bientôt relancé sur le chemin de l’inspiration à la faveur d’un drame — un accident de la route provoquant la mort d’un petit garçon (mais c’était pas sa faute). Wenders semble vouloir traiter ici de la part ambiguë de la création  : “L’art n’exploiterait-il pas la tragédie du réel ?”. C’était d’ailleurs pour battre en brèche un semblable reproche que Wenders était venu au secours du photographe Salgado dans son précédent film, en tressant mille lauriers philosophico-poétiques à ses images saint-sulpiciennes sur les charniers du monde.

En vérité, on comprend que c’était plutôt les photographies qui venaient au secours du film — à l’instar des chorégraphies dans Pina ou de la musique dans Buena Vista Social Club. Rien derrière quoi se cacher dans Everything will be fine : coupé du monde réel, le réalisateur de Paris-Texas se retrouve tout seul au pied de son immuable marronnier antonionien, qu’il prend soin d’arroser comme une plante rare. Anesthésié par sa certitude d’être un maître, le cinéaste laboure avec une apathie quasi expérimentale un interminable champs de platitudes : sur les affres de la création, la vie qui passe, les gros pulls en maille et les blessures qui ne cicatrisent pas. Rien ne nous sera épargné : ni les saisons qui défilent au fil des ellipses, ni les clichés sur l’écrivain qui déchire ses feuilles et fait comprendre à sa femme qu’elle ne peut pas comprendre. Et il ne faudra pas compter sur le packaging décoratif de pub Timberland, ni la stéréoscopie aussi expressive qu’un rond de serviette, pour sauver du néant ce radotage cinéphile totalement insensible à sa propre nullité — achevant de rappeler combien les années peuvent peser lourd, et faire plus de vieux que de sages.