Faut-il entrevoir une référence à Dark Souls dans le titre « Titan Souls » ? Indubitablement. Les deux jeux partagent outre leur austérité un ingrédient symptomatique : une difficulté poussée à l’extrême. De telle sorte qu’avant d’espérer occire du monstre dans Titan Souls, il est indispensable d’apprendre à accepter la défaite et à côtoyer la mort. Inlassablement. Dès les premières secondes de jeu, le ton est donné : vos seules boussoles dans cet univers cruel au croisement de Zelda, From Software et Shadow of the Colossus seront la persévérance et la perspicacité. Pas de panique, donc, si votre ratio kill/death tombe rapidement à 3 pour 50, car ce n’est qu’un début. Le début d’un voyage s’inscrivant loin, très loin en marge du divertissement traditionnel.

Titan Souls est né dans le cadre de la Ludum Dare 28, compétition de game design dont l’enjeu était de développer un jeu en 48h sur le thème « you only get one » (« vous n’en avez qu’un »). Le joueur y incarne ainsi un personnage muni d’un seul point de vie et d’une seule flèche. Flèche qu’il est possible de récupérer comme le ferait un Jedi avec son sabre-laser. Histoire d’équilibrer un peu la balance, les ennemis n’ont – eux non plus – pas le droit à l’erreur. À la différence près qu’ils sont capables d’assener des attaques redoutables pour assurer la défense de leur point faible, le plus souvent représenté par un organe vital.

Au début de l’aventure, le premier adversaire se présente comme un slime démesuré à la Dragon Quest, au sein duquel flotte un cerveau malade. On pense un instant au navigateur de la Guilde spatiale issu du film Dune de David Lynch. Malheureusement, envoyer une flèche en plein dans cet encéphale se révèle plus cornélien que prévu, puisque chaque tir induit la division en deux de la créature. En découle des slimes chaque fois plus petites et rapides, créant rapidement un champ de bataille périlleux. Progressivement, le cerveau finit toutefois par se retrouver isolé de la masse gluante. Le tout est alors de se montrer suffisamment rapide pour le transpercer avant que les slimes n’absorbent notre personnage.

En pratique, les contrôles se limitent à trois actions dans Titan Souls : courir, esquiver, décocher/rappeler une flèche. Une jouabilité parfaitement équilibrée à laquelle il serait fallacieux d’attribuer vos débâcles répétées. À noter qu’il est toutefois déconseillé de jouer au clavier, sous peine de vous arracher rapidement les cheveux. Même si la progression suppose simplement de terrasser sans transition les boss rencontrés sur notre route, les parties n’en sont pas pour autant monotones. Pourquoi ? Parce qu’Acid Nerve a concocté des logiques de combat diamétralement opposées pour chaque colosse. Tant et si bien qu’il est à chaque fois nécessaire de s’approprier de nouveaux codes, avant de pouvoir porter le coup fatal. C’est à ce prix que Titan Souls prend toute son ampleur : la moindre victoire sonne alors comme un exploit jubilatoire.

Plastiquement, le jeu puise ses influences du côté des premiers Zelda, singeant leur vue aérienne et leurs patchworks anguleux plein de candeur. Mais cette apparente naïveté n’est qu’un pis-aller rendant plus éclatante encore la cruauté structurelle de Titan Souls. Un dispositif qui n’est pas sans rappeler la grande époque de la Game Boy, Wizards and Warriors : Fortress of Fear en tête. Sauf que l’on cultive ici davantage l’épure, en ne conservant qu’une poignée d’aspérités (quelques énigmes et secrets) et en ne se lestant d’aucun accessoire (pas de récit, pas de rencontres). Évidemment, cette orientation schématique et toujours au bord du précipice, frôle le trop-vide. Mais le voyage s’arrête heureusement juste à temps. Et l’on ne peut au bout du compte qu’encenser le laconisme fécond de Titan Souls, malgré l’indigestion de pixel art qui guette.

C’est même précisément ce parti pris aride qui établit son métalangage. Qui pousse le joueur éclairé à projeter sur chaque tableau monochrome les fulgurances de Fumito Ueda, sur chaque combat la créativité venimeuse d’Hidetaka Miyazaki. Alors certes, tout ou presque est cryptique dans Titan Souls, mais peut-être faut-il y voir là les prémisses d’un post-jeu vidéo. D’un nouvel espace vidéoludique où les ingrédients classiques ont laissé place à un récit qui ne dit plus son nom, à un environnement plus pragmatique que superfétatoire. La démarche en laissera sans aucun doute plus d’un sur le carreau, mais fascinera durablement les autres.