Alors que le lancement de son label Return to Disorder (pied de nez au courant artistique réactionnaire Retun To Order qui apparut dans l’entre-deux guerres) est annoncé dans les gazettes à la page, Helena Hauff sort son véritable premier album chez Werkdiscs, sous-division de Ninja Tune pilotée en sous-main par Actress. Plutôt que de s’enferrer dans la brèche techno bruitiste ou le renouveau deep house dans lequel ses confrères (et consoeurs) s’ébrouent avec plus ou moins de bonheur, la belle Helena préfère puiser directement à la source: moignons electrofunk, tremolos acid et accroches new wave se taillent ici la part du lion. Le sex-appeal y est retranché derrière une rigidité de façade, avec la volonté de se démarquer du tout-venant de la house et d’aller toujours de l’avant, loin du divertissement de masse des raouts techno. En cela, on peut la rapprocher d’autres artistes au diagnostic similaire, de l’anglais Powell au français Low Jack qui y vont tous de leurs labels « antagonistes ».

Si la sécheresse est toujours de mise, les mélodies s’avèrent bien plus saillantes et moins revêches que par le passé. Plus bigarré que ses précédents EPs, Discreet Desires prend ses distances avec les suées du clubbing pour affiner ses improvisations machiniques où prédominent les filtres sifflants de MS20 et les boîtes à rythmes (indémodables TB-303 et TR-808) déroulant comme des coups de fouet leurs boucles métronomiques. Tout fleure bon le « joué à la main en temps réel », caressant l’idée d’un futurisme à rebours où l’empreinte humaine aurait supplanté le tout-digital et les sonorités glossy peaufinées en studio.

Seulement voilà, Helena Hauff est loin d’être la première à emprunter la voie du rétrofuturisme lowtech, et l’on ne peut s’empêcher de ressentir une impression de familiarité, la majorité des morceaux renouant avec l’electro teintée de synthpop et de postpunk du début des années 2000 (Piece of Pleasure, à ce titre, en serait la pierre de touche): on y retrouve les arpèges désossés de Drexciya, les picotis coldwave de Xeno & Oaklander, le tempo martial de The Hacker, les fulgurances mélodiques d’Actress, la jackin’ touch de Legowelt – bref, une pluie de références qui placent la demoiselle à l’égale des héroïnes electro d’antan, l’élégance en sus. Une sorte de geniale dilletante version 2015, encore dotée de toute sa fraîcheur.

L’approche séduit dans un premier temps, avant de susciter un effet de redondance, et par conséquent, de monotonie – comme une réplique à dix ans d’intervalle des voies tracées par la diaspora batave (Bunker, Creme Organization, Viewlexx et autre Clone, ça vous parle?). Au demeurant, il s’en dégage une douce exhalaison, une volupté mise au ban de la techno pompière qui a aujourd’hui le vent en poupe.

Si le trépidant Spur, les deux parties de Sworn to Secrecy (ambiance glaciale assurée) et Funereal Morality (avec son orgue gothique sautillant et ses tressaillements acid) suscitent une adhésion immédiate, on n’en dira pas autant de tous les morceaux, qui tirent parfois à la ligne et auraient sans doute gagné à subir davantage d’editing. Tryst ou Silver Sand ont tendance à s’emprisonner dans leurs propres limites, sonnant de manière un tantinet convenue dans leur rugosité analogique. Dreams of Colour et sa petite mélopée de clavier façon Stranglers qui clôt l’album en douceur trouve malgré tout une voie de sortie salutaire. Aussi discrets soient-ils, les désirs d’Helena sont des ordres et on aura beau jeu de la critiquer : notre cœur continue de palpiter à chacune de ses apparitions. Cours, Helena, le vieux monde est derrière toi !