L’industrie musicale est peut-être moribonde, mais quand il s’agit de faire la promotion du premier album d’un rappeur dont le nom est sur toutes les lèvres, elle ne lésine pas sur le storytelling. De l’histoire personnelle de Travi$ Scott, en forme de conte d’Hollywood, au générique des producteurs et invités présents sur « Rodeo » (un who’s who des branchés du moment qui inclut même un certain Justin Bieber) jusqu’à la figurine de la pochette conçue par un diplômé en économie de Harvard, tout sert d’appui au lancement. Quelques fins limiers du marketing se sont peut-être dit que toutes ces informations feraient figure de pépites dans le flot ininterrompu de mixtapes provenant d’artistes dont presque personne ne parle si il n’y a pas au minimum un million de vues sur YouTube – triste réalité du rap game.

Ainsi, on apprend à la lecture d’interviews que c’est en 2012, alors qu’il est sans domicile fixe à Los Angeles et banni du foyer familial, que le rappeur de Houston est contacté par T.I, artiste d’Atlanta. Ce dernier le signe un peu plus tard sur son label Grand Hustle. En parallèle, et parce qu’un bon plan n’arrive jamais seul, un ingénieur du son aide Travi$ Scott à rencontrer Kanye West. Il le signe en tant que producteur sur son label G.O.O.D Music après lui avoir offert un mauvais taco qu’il s’est forcé à manger. Il a bien fait: l’année suivante il signe des productions sur trois albums qui se retrouvent en tête des ventes: « Yeezus » de son nouveau mentor – rendez-vous compte ils sont tous les deux rappeurs/producteurs et « college dropout« , la filiation est toute trouvée – « The Gifted » de Wale et « Magna Carta Holy Grail » de Jay Z. A partir de là, tout semble fait pour créer un personnage, paver la voie à la sortie d’un album. D’abord une première mixtape (« Owl Pharaoh« ) bichonnée avec Kanye dans laquelle il cause fric/drogues/sexe/Texas mais aussi parents-pas-sympas et stylistes renommés (Yohji Yamamoto, Salvatore Ferragamo) tout en samplant Z Ro, un pionnier du son Dirty South des années 90. Il se taille ensuite une réputation scénique explosive, tourne avec Young Thug, enfonce le clou avec une deuxième mixtape (« Days before Rodeo« ) et s’amuse à produire un peu tout le monde, de Mr Hudson – un petit anglais de Birmingham – jusqu’à une certaine Rihanna. On résume un peu car cette ascension fulgurante est tellement sur-détaillée qu’elle en devient presque risible. Voyons donc maintenant ce que vaut vraiment ce premier opus de « La Flame » – le surnom du bonhomme, en français presque parfait s’il vous plaît (et surtout en émoji).

Le moins qu’on puisse dire c’est que ça ne commence pas très bien puisque T.I, le boss de Grand Hustle, se croit obligé de faire une introduction pour marteler le parcours de « rebelle » de Travi$ Scott. Et ce dernier de renchérir, tête haute, ne cachant rien de son ambition (« we gon’ rule the world »). On se croirait dans « Empire« , la médiocre série « hip hop » de la FOX. Le deuxième morceau – avec un featuring de Quavo des très bling-bling Migos – ne change rien à cette impression de grande platitude. Le single « 3500 » – titre qui fait référence aux 3500 dollars dépensés par la femme de Kanye West pour acheter un manteau de fourrure à sa fille de deux ans (sic) – peine tout autant à donner un peu de mordant. Idem pour « Wasted » qui invite le vétéran Juicy J (du groupe Three 6 Mafia). On commence à se dire que Travi$ Scott a abusé de « purple drank » (« take a sip, drowning in this shit » souffle-t-il dans « Wasted ») car le brulôt tant attendu commence à ressembler à un pétard mouillé. Il faut attendre le huitième morceau, l’agressif « Piss on your grave » avec Kanye West, pour retrouver un peu de la fougue qui a fait la réputation de Scott: un enragé qui provoque des émeutes dans ses concerts et assume son côté kamikaze (« I’ve been coming up and down, a nigga can’t take no more / Kamikaze over commas / Benjamins, dividends stuffed in my jeans / I can’t fit in »). Le tempo redescend ensuite plutôt adroitement dans « Antidote », sorte d’hymne pro-drogue (« Poppin pills is all we know ») calé sur une production langoureuse, avant d’enchaîner sur le minimaliste « Impossible ». Malheureusement, on retombe ensuite dans la platitude des débuts du disque: R&B mou du genou, refrains insignifiants  (le sommet étant « Call you friends, let’s get drunk » sur « Maria I’m drunk ») et overdose d’auto-tune. Les  deux titres supplémentaires de l’édition « deluxe » relèvent à peine le niveau : même l’excellent Schoolboy Q se fourvoie dans le très moyen « OK Alright ».

Difficile ne pas être déçu par ce premier album de Scott, englué dans des productions faiblardes à mille lieues de ses premières mixtapes et de son indéniable charisme scénique. A seulement 23 ans, Scott aura sans doute des occasions de se rattraper mais peut-être lui faudra-t-il pour cela se tenir davantage à distance des frasques épuisantes de Kanye West, à l’instar de Kid Cudi, son rappeur préféré.