C’est un fait, Battles se bonifie avec l’âge. Après un deuxième album boursouflé, plein de featurings pas tous indispensables – seule la présence d’eYe sur le dernier titre se justifiait réellement – les New-Yorkais ont affiné leur modus operandi et atteignent, avec La Di Da Di, un équilibre absent du furax Mirrored et du labyrinthique Gloss Drop. Passés d’un hybride surprenant de math-rock et de musique expérimentale dure (les excellents Tras, EP C et B EP, qui avaient fait forte impression sur nos oreilles il y a dix ans) à quelque chose de plus électronique et de plus pop, le trio a fait ici le choix judicieux d’un relatif minimalisme. Au trop-plein (de formes, de mélodies, de voix) des premiers albums, La Di Da Di nous la fait minérale et sèche jusqu’à l’os. Finies les démonstrations de virtuosité technique : la musique enregistrée pour ce troisième album pourrait presque sembler sereine. Ian Williams s’en expliquait lorsque nous l’avons rencontré : « Certains personnes trouvent plus profonde une musique parce qu’elle est plus compliquée. Je ne crois pas que cela soit juste : c’est un vrai défi pour nous de faire oublier la technique. C’est plus difficile pour un écrivain de transmettre une idée ou une émotion avec 50 mots qu’avec 300, et c’est plus intéressant pour nous de faire plus avec moins. Créer une musique accessible qui soit aussi complexe est un challenge très plaisant pour nous. »

Dont acte : Battles marche désormais à l’économie. La musique du trio reste fondée sur des principes identiques aux quelques axiomes originaires : un groove très marqué, monorythmique et puissant, assuré par John Stanier, autour duquel gravitent des boucles conçues avec un ordinateur, un synthé, deux guitares et une volée de pédales d’effets. En dix ans, la musique de Battles présente toujours le même air de famille qu’à ses débuts, mais l’évolution s’est jouée dans les détails. Peu à peu, le groupe a quitté les sphères du math-rock pour produire une techno mutante, organique et électrique. On a beau retrouver cette dimension foraine qui s’invite parfois au détour d’une mélodie, ces petites ritournelles entêtantes construites comme des guirlandes de sons débiles au synthé, cette dimension crypto-kawai, tous ces petits ornements qui, en somme, rendent la musique du trio étonnamment accueillante, il n’en fait de plus en plus qu’à sa tête, obsédé qu’il est par la boucle et le rythme. Mais comme Williams nous l’expliquait, la généalogie de cette méthode n’a rien d’univoque ou de simple : « Terry Riley et Steve Reich étaient eux-mêmes influencés par d’autres musiques répétitives, primitives, africaines, par exemple. Ce sont des pulsations. Nous travaillons à partir de boucles et cela produit les mêmes effets, mais ce sont des éléments musicaux universels et nous ne nous inscrivons pas consciemment dans une filiation de type « post-minimaliste ». On connaît toutes ces références, y compris la techno, qui utilisent la répétition. Cela vient-il de Steve Reich, comme certains le soutiennent? Je n’en suis pas si sûr. » Effectivement, les musiques répétitives qu’on entend au travers de celle de Battles viennent toutes d’horizons très différents, des polyrythmies africaines aux progressions techno, développant, grâce à la multiplication de boucles, de strates, des micro-mélodies, des harmonies très subtiles qui circulent dans des fréquences très fines, de manière aussi cérébrale que physique. Ce que La Di Da Di apporte à la musique du trio, c’est une cohérence qui lui faisait parfois défaut et sans laquelle il perdait en force d’impact.

Tout est resserré dans La Di Da Di, tout obéit à un double principe de plaisir, où la jouissance un peu autiste des trois membres du groupe rencontrait miraculeusement la jouissance festive des auditeurs qui viennent danser à leurs concerts. Là se trouve peut-être la vraie évolution, dont Stanier semble avoir conscience, à rebours des « gear-heads » et autres geeks du plugin et de la pédale d’effets qui forment depuis longtemps le gros de leur fandom : « Je préfère voir les gens danser et avoir du bon temps en écoutant notre musique, même si elle est compliquée, je préfère qu’ils se la représentent d’une manière plus « digeste » plutôt qu’ils cherchent à savoir quelles notes joue quel instrument. Mais il faut toujours que cela soit excitant pour nous. » Cet art du moyen terme, parfaitement au point ici, ménage tout de même quelques échappées surprenantes. On n’en dévoilerait qu’une : cette guitare surf nimbée de wah wah qui s’invite à la toute fin de l’album, comme si le trio était devenu, le temps d’une boucle qui s’étire et s’étire, le backing band glamour et nerd de Mac DeMarco.