Richard Garriot est un personnage fascinant. Songez qu’il symbolise à lui seul toute une génération de programmeurs ayant décidé de pondre du code dans leur garage SANS s’appeler Bill Gates. Incroyable, donc. Flash-back. 1980 : le petit Richard n’est pas encore multimillionnaire en dollars. Le cheveu blond, l’œil vif et pétillant, il décide de s’inventer le monde médiéval fantastique qui lui manque dans la vraie vie. A l’époque, Donjons & dragons, premier JDR sur table, cartonne et effraie les parents, qui voient d’un mauvais œil leurs chères petites têtes blondes (nous sommes aux USA) s’extasier à grands coups de jets de dés. Bien entendu, les ligues de vertus de l’époque n’en finissent plus de fustiger ce jeu nouveau genre qui ne fait rien qu’à corrompre toute cette belle jeunesse passant son temps à génocider du gobelin plutôt qu’à étudier sagement dans le but d’occuper un poste à responsabilités chez General Motors, General Electric, ou même, plus tendance, chez IBM. Mais revenons au petit Richard. Comme tous les génies prépubères, il ne s’intéresse guère aux filles, leur préférant la compagnie de son Apple IIe, un ami austère, mais plein de bonne volonté dès qu’il s’agit d’émettre de sonores bips et d’afficher de gros pixels verdâtres. Le jeune Garriot commet alors son tout premier jeu : Akalabeth. Résumons l’intrigue : un sombre mage lâche sur un royaume qui n’avait pas besoin de ça des hordes de démons très sauvages. Lord British, gentil souverain du royaume en question, vous appelle à la rescousse… Faiblard, mais redoutable d’efficacité (plus tard, les créateurs inventeront le principe du « allez donc me chercher là-bas ce truc très important et vous serez fort récompensés car c’est que j’en ai rudement besoin », principe dit de la « quête annexe »). Ce petit objet informatique à vocation ludique pousse le gameplay un brin plus loin que Pong et immerge le joueur imaginatif dans un monde médiéval fantastique à peu près aussi innovant comparé à Donjons & dragons qu’a pu l’être Miami vice comparé à Starsky & Hutch. Vous vous en doutez, Akalabeth préfigure ce qui va devenir la saga avec un grand S (la Saga, donc) : Ultima. Cet opus 0 ayant été très apprécié par lui-même, le jeune Richard Garriot s’enflamme et des circonvolutions de son génial cerveau sort Ultima 1 : The First Age of darkness, sur Apple IIe, IBM et Commodore 64. Carton. Pas fou, le jeune Richard a bien compris qu’il tenait là un filon en or massif, et vlan, crée sa propre compagnie qu’il nommera en toute simplicité Origin Systems…

Vingt ans plus tard, le jeune Garriot a pris du ventre, s’est laissé pousser la barbe et a engrangé des dollars. La série Ultima s’est enrichie d’une dizaine d’opus, plus quelques dérivés (Ultima underworld 1 et 2), plus le premier véritable JDR en ligne massivement multiplayer, judicieusement nommé Ultima online. Le monde d’Ultima, Britania, a pris de l’épaisseur. Le background s’est développé, la mythologie s’est enrichie. Sans aucune originalité, évidemment, mais l’essentiel est fait. On se demandera tout de même où est passée la créativité de ces faiseurs de mondes. Car enfin, l’aventure / rôle ne dispose-t-elle que de dragons, chevaliers, mages et artefacts magiques pour exister ? On se référera à l’excellent Fallout pour répondre non. Quant à Ultima IX, prenez un Avatar, un Lord British, un très sombre et méchant Gardien, secouez le tout, faites revenir à feu doux sur une machine de course (le genre PIII 600 256 Mo de Ram avec carte 3D plus que robuste) et vous obtiendrez un jeu d’une grande richesse graphique, fondamentalement immersif, et doté d’un fond pataphysicomystique à couper au couteau.
Résumons : le Gardien a corrompu les huit vertus sacrées de Britania, le royaume s’en trouve sens dessus dessous et votre Avatar est appelé à la rescousse. Pour peu que vous ne soyez guère réfractaire au genre médiéval fantastique, Ultima IX vous procurera les sensations attendues : l’interface et le gameplay 3D sont plus que bien pensés, le système de sorts mérite que l’on s’y intéresse (une cinquantaine de sorts auxquels réactifs et incantations magiques amènent leur lot d’ésotérisme), le monde est globalement immense et plutôt bien peuplé (200 PNJ, 60 types de créatures). Le tout donne une atmosphère de JDR hardcore que l’on n’avait pas connu depuis l’immense Baldur’s gate. Oubliez donc (pour ceux qui connaissent) le calamiteux Ultima VIII orienté action / plate-forme, ce nouvel opus renoue avec le JDR pur : lent, complexe, détaillé, et long… très long ! Comptez près de 200 heures de jeu (soit un mois de travail à temps plus que complet pour un jeune cadre dynamique) pour venir à bout de la chose et appréciez avec modération. Car on hésitera entre l’enthousiasme forcené du joueur accroché par un jeu immédiat et l’hésitation de l’aguerri, rompu aux atmosphères préformatées. Jamais loin, l’ennui ne viendra pas, tenu à distance par le sans-faute de la réalisation. On découvrira alors une vérité première du jeu vidéo : les bons « jeux de genre » font recette, comme les bons films de genre remplissent les salles. D’un principe bas du front, Ultima IX fait un succès à gros budget. On rentre dans ce blockbuster ludique comme on visionne Rio Bravo, l’air est plus que familier mais le plaisir de jouer se contente parfois de bonheurs simples.