Ex fleuron du mythique studio Looking Glass, Thief était resté en jachère depuis une décennie. Déboulant à l’heure où l’un de ses pères fondateurs, Ken Levine, saborde son propre vaisseau (Irrational Games), ce reboot laisse un arrière goût d’échec industriel à l’image de ce que vit, un peu, le jeu vidéo en ce moment. Ressuscité de derrière les fagots alors que les lyonnais d’Arkane rêvaient de le faire renaître (raté, ils compenseront avec Dishonored), Thief revient après un long développement aux tâtonnements encore apparents – des restes d’une mouture plus Assassin’s Creed remontent parfois à la surface. Le jeu reprend pourtant son concept initial : un personnage de voleur en cousin occidental du ninja, de l’infiltration en vue subjective, un décor grand breton à l’atmosphère steampunk, un espace ouvert où butiner ses missions et faire évoluer une intrigue. Des bases restituées plus ou moins intactes, bénéficiant parfois d’un travail étonnant lorsqu’on s’attarde sur des détails d’ambiance (clairs-obscurs, brume, particules), ou la complexité apparente du level design. Apparente car c’est là que le jeu trouve aussi vite ses limites. Thief n’est qu’un masque d’upgrade posant sur son format d’origine un skin distrayant et cachant (à peine) ses vraies lacunes.

Très tôt, on comprend que ça ne va pas. Que l’intrigue a autant de mal à s’installer qu’elle laisse indifférente. Que la découpe de la carte en parties avec chargements à la clé est aussi laborieuse que confuse. Que l’architecture des niveaux, a priori vertigineuse, est généralement sans enjeux puisque tout y est contextualisé, émaillé de balises indiquant toujours quoi faire et où – au cas si le joueur de 2014 était décidément celui éduqué à la facilité en tout. Pire, l’IA, gag permanent générant des situations impossibles où les ennemis se tiennent à quelques centimètres du personnage sans broncher. On ne pouvait rêver mieux pour jouer la furtivité maximale et tracer dans le jeu sans être découvert, soit. Il n’est pas très difficile de se sentir sur-puissant et la chose a logiquement quelque chose de grisant – à condition de renoncer à la moindre forme de challenge. Mais accepter ce deal du jeu mou, sans réelle difficulté, c’est aussi céder devant cette idée que l’intelligence du joueur n’aurait plus besoin d’être mise à l’épreuve (puisque c’est de ça dont il s’agit). C’est se faire le complice de tout ce que l’équipe de Looking Glass combattait intuitivement en essayant, au contraire, de donner au joueur les moyens de bâtir sa propre expérience, alors qu’ici on lui prend gentiment la main – sans forcément l’avouer, ce qui est sans doute encore pire.

Reste alors cette atmosphère, le travail fait sur la ville, quelques moments fascinants où la trace d’un monde vivant émerge de derrière les décors. De quoi pousser à voir plus loin, pour le plaisir de la balade, ou d’un détail volé : ici une verrière en fer forgé au rendu délicat, là une tour en flamme dont il faut s’échapper des décombres. C’est pas grand chose mais ça suffit à justifier de mener le jeu jusqu’à son terme. Constatant alors, et aussi, l’ampleur de ce petit échec qui à force de chercher le consensus, a oublié de mettre vraiment le joueur au centre ; de lui donner sa confiance, des moyens pour qu’il se construise avec le jeu comme partenaire, et non suive maladroitement un schéma reprenant un héritage dont il fut l’un des pères, mais qui depuis à tant de fois été repris par d’autres. Au moment où se pose partout la question du AAA et du blockbuster en général, comme format économique, créatif, Thief montre une fois encore les contraintes d’un système où il faut faire preuve d’une ruse de sioux ou d’un vrai talent pour s’en sortir par le haut. Il en fallait certainement plus pour refaire exister, même intact, le titre emblématique du studio texan. Ou bien on rejoue à Dishonored.