Il suffit de lire ou voir les interviews des créateurs de South Park pour s’en rendre compte: loin d’être un petit jeu bassement adapté (comme ce fut le cas avec South Park, FPS sorti par Acclaim en 1998 ou South Park Rally, deux ans plus tard), The Stick of Truth aura mobilisé les efforts de Trey Parker et Matt Stone, décidés à sortir une oeuvre intégrant non seulement l’esprit de la série, mais qui témoigne aussi d’un intérêt réel pour le jeu vidéo. Preuve encore de cet intérêt, la série compte elle-même de nombreux épisodes où l’actualité vidéoludique est traitée avec justesse et humour: Cartman trépignant d’impatience pour la sortie de la Wii, Stan et Kyle cherchant les acclamations des foules virtuelles de Guitar Hero, l’école de South Park formant une guilde pour sauver le monde de Warcraft d’un troll, jusqu’au dernier épisode en date, mettant en scène deux factions (que The Stick of Truth reprend pour bâtir son histoire) qui livrent bataille pour la sortie des Xbox One et PS4, dans une parodie de Game of Thrones.

Dans la grande histoire de South Park (dix sept saisons au compteur tout de même), ces épisodes marquent aussi un humour typique que la série aura su progressivement mettre en place, tournant autour du rapport de l’adulte à l’enfance. C’est que derrière des atours originellement vulgaires et scato, le rire dans South Park est toujours tapi dans le sérieux: au jeu des enfants répond ainsi celui des adultes, mais différemment, entraînant alors des situations d’une absurdité grandissante. Pas si éloigné en cela d’un épisode de la série, The Stick of Truth reprend exactement cette structure. L’on y joue un enfant qui après son déménagement à South Park se retrouve pris dans un univers d’heroic fantasy auquel les enfants se plaisent à jouer (Cartman en grand sorcier, Stan en guerrier, Butters en paladin etc.), et où une simple branche d’arbre (le bâton de vérité) fait office d’anneau pour lequel tout le monde se bat. Le jeu n’est ainsi pas tant une parodie de RPG détournant ses codes et son univers (comme peut le faire Shrek avec les contes de fées) qu’un véritable RPG, construit d’abord sur un monde feint sur le mode de l’enfance, et ensuite sur l’intervention des adultes qui s’immiscent dans le jeu avec le plus grand sérieux (du père de Stan qui entraîne le héros à maitriser ses sphincters au grand méchant de l’histoire, croyant aux pouvoirs supposés du bâton de vérité).

Intelligent dans ses intentions, The Stick of Truth n’atteint cependant pas le génie qui fait la réussite des meilleurs épisodes de la série. Par excès de générosité envers des fans (qui seront sans doute pour la plupart ravis), le jeu écrase finalement ses trouvailles au milieu d’une quantité impressionnante de références aux différents épisodes passés, réduisant ses nouveautés au stade du gimmick (comme celui du zombie nazi). Au final, le jeu aura simplement effleuré son potentiel, qui faisaient qu’en véritable RPG, on pouvait non seulement l’apprécier en tant que spectateur, mais surtout en tant que joueur guidé par cette forme d’humour singulière. Restent ces meilleurs moments entrevus, où le jeu prend par exemple le parti de se moquer du joueur, lui indiquant des combinaisons infaisables, où lui montrant l’illusion de certains de ses choix, tout cela au milieu d’une grande machine folle, mais tournant un peu à vide.