Black Isle, division d’Interplay, va-t-elle s’attaquer à tous les mondes de l’illustre jeu de rôle de TSR, Advanced dungeons & dragons ? C’est souhaitable ! Il n’y a qu’à se jeter souris et âme dans ce Planescape torment pour s’en convaincre à nouveau. Petit rappel historique. Pour Noël 98 débarque en fanfare sur la marché vidéoludique un jeu que nos amis rôlistes attendent comme le messie : Baldur’s gate. A l’origine du projet, trois médecins férus de jeux de rôle et de micro-informatique. Constatant qu’il n’est pas né le JDR micro capable de rivaliser avec le JDR sur table, nos hommes fondent en 1995 leur propre studio de développement et embauchent une fine équipe de concepteurs, tous désireux de s’atteler à la tâche. Laquelle ? Celle de concevoir le JDR ultime, celui que la communauté des rôlistes devenus accros de jeux vidéo attend depuis belle lurette. Coup de bol, Interplay vient d’acheter les droits d’utilisation des mondes d’AD&D de TSR et contacte illico l’équipe de Bioware pour entamer l’adaptation. Baldur’s gate sort dans les temps et pulvérise tous les records de vente habituellement enregistrés pour ce type de jeu. Normal, totalement légitime, BG fait partie de ses bombes ludiques qui marquent en beauté la courte histoire des jeux vidéo. Le secret de cette éminente réussite ? Une profondeur de jeu inégalée, une trame scénaristique éblouissante, un paquet de sous-quêtes passionnantes et une intelligence artificielle ultra-sophistiquée. Au total, plusieurs dizaines d’heures d’aventures incroyables.

Plus louable encore, car c’est ici que le bât blesse généralement dans le genre, l’interface de jeu est remarquable et le JDR se fait aussi maniable que le meilleur des jeux d’aventure micro. Un régal ludique, une bien belle œuvre numérique également : graphismes et sons ne sont pas pour rien dans cette immersion virtuelle hallucinante. Le monde du jeu dans son ensemble jalouse Interplay, propriétaire du Bioware infinity engine, le moteur au cœur de cet exploit. Pas vraiment étonnant donc que cette prouesse technique soit reprise telle quelle aujourd’hui dans Planescape torment. Certes, on constate ici quelques évolutions, comme la possibilité, d’un simple clic droit sur l’un de vos personnages, d’accéder à un menu des fonctionnalités les plus couramment usitées en cours de jeu (combat, sorts, pouvoirs spéciaux, objets, etc.). Très pratique. Voire quelques modifications notoires : dorénavant, le joueur peut personnaliser les cartes en inscrivant par exemple quelques notes à propos des lieux visités. Essentiel. Ou encore lorsque vous fouillez dans votre inventaire lors des combats, le jeu se met automatiquement en pause. Globalement pourtant, il s’agit bien de la même interface et du même moteur, les graphismes ayant toutefois été encore améliorés. C’est vous dire l’excellence visuelle atteinte dans les décors, les animations et les rendus en général.

Finalement, ce qui fait de Planescape un jeu radicalement différent de son prédécesseur tient dans son scénario, mais plus encore dans le contexte. Oubliés les Forgotten Realms découverts dans BG, gentil monde pépère et relativement cohérent si on le compare à celui de Planescape, un tout autre univers lui aussi tout droit sorti du vaste catalogue des mondes d’AD&D. Drôle de monde en vérité : une sorte d’univers parallèle où se côtoient les vivants et les morts, les anges et les démons. Le bien et le mal régissent certes ce no man’s land, mais ici-bas, même pas sûr que cette notion signifie quoique ce soit dans les esprits des « autochtones ». Va savoir… D’ailleurs, l’incertitude et le flou ambiants se confirment assez vite, dès lors que vous entamez vos premiers pas dans la morgue à Sigil. Vous êtes « sans nom », un simple guerrier d’alignement « neutre »… et sans aucune mémoire ! A l’inverse de BG, vous ne créez pas ici votre personnage. Et pour cause : vous êtes censé ne rien savoir de vous, si ce n’est que vous êtes immortel. Et maculé de tatouages insignifiants pour vous, mais qui en disent long sur votre passé pour qui sait les décrire… Amnésique, il va falloir visiter les environs pour recomposer le puzzle de l’histoire alambiquée qui est la vôtre et composer l’avenir. Au fil de vos agissements, votre alignement penchera clairement d’un côté : le bien si vous jouer les bonnes âmes, le mal s’il vous prend l’envie de malmener la populace… Jeu de rôle oblige -c’est le cas dans BG comme dans la vie !-, votre destin dépend foncièrement des autres. Rencontres et discussions sont au cœur du jeu et vous n’avez pas fini de tomber nez à nez avec de drôles d’énergumènes sortis d’on ne se sait où. Morte, par exemple, est un crâne en apesanteur qui se bastonne avec ses dents quand on l’emmerde. Forcément un personnage auquel vous avez affaire puisqu’il s’agit du premier compagnon de route enrôlé d’office dans l’aventure. Pour compléter l’équipe, il convient de tomber sur les bonnes personnes, mais aussi d’employer les formules adéquates. Soyez diplomate pour séduire le mage-guerrier Dak’kon, Githzeraï schizo qui parle à son arme, la voleuse Annah, une femme rate, ou encore le mage noir Ignus.

Le fait que vous soyez immortel est un autre facteur qui distingue clairement le jeu de son prédécesseur. N’ayez pas peur de mourir, car en plus de constituer une excellente échappatoire lors d’un combat qui tourne mal, c’est aussi parfois l’occasion de retrouver un morceau de mémoire. Le choc de la mort vous illumine… Dans un premier temps, il vous faut retrouver votre journal et discuter avec un certain Pharod que l’on trouvera sous terre dans le square des Chiffonniers… Ne manquez pas pour autant les nombreuses sous-quêtes, idéales pour gagner facilement quelques points d’expérience. Vous l’avez deviné, Sigil est un bled archi-cosmopolite. En ce sens, toutes les fantaisies sont permises et les concepteurs en ont bien profité, sans en abuser. Mais vous n’avez encore rien vu… Sachez que ce n’est pas tout à fait un hasard si on surnomme la ville « la cité des portes ». Vous le constaterez assez tôt, des portails s’affichent régulièrement ici et là dans les environs. Chacun d’eux doit être franchi en utilisant la méthode adéquate et cachent de nouveaux espaces : l’Outreterre et les Plans extérieurs, de nouvelles forces et de nouvelles croyances qui gouvernent les « multivers »…

Planescape n’est pas sans défaut. On peut notamment regretter quelques faiblesses au niveau de la gestion des déplacements et des positions de combat des coéquipiers. Parfois, ceux-ci se gênent le passage et perturbent vos actions. Quant aux dialogues avec les PNJs, primordiaux bien sûr, ils sont ici bien plus étoffés que ceux de BG. Autrement dit, il va falloir s’enfiler et faire défiler un paquet de textes pour comprendre les tenants et les aboutissants du jeu. Disons que ça pourrait bien décourager les plus impatients. Notons pour finir qu’il n’est pas rare d’entendre les personnes rencontrées radoter dans leurs réponses… pénible. Malgré ses quelques imperfections, la note maximale s’impose. On pourrait d’ailleurs s’étaler bien plus longuement encore sur l’écran pour vous convaincre de l’intérêt, immense, qu’offre Planescape torment. Mais pour ce faire, tous les argumentaires ne vaudront jamais la pratique. Lancez-vous.