L’époque où il était bon ton de marteler que le jeu vidéo était le disciple du cinéma est heureusement révolue. Mais il est encore des jeux, plus rares, qui peuvent se monter sur le fantasme d’une seule séquence de film. Récent cas d’étude : Payday : The Heist, FPS coopératif en ligne sorti il y a deux ans, qui regroupait quatre gangsters masqués sur des missions de braquage, à réaliser en temps record, sans se faire descendre par les forces de l’ordre envoyées par vagues et contrôlées par l’IA. Comment ne pas y voir alors, devant l’ambiance, le suspense de certaines prises d’otage, la brutalité des échanges armés, jusqu’au son des armes, un emprunt volontaire à Heat et son immense séquence de fusillade entre flic et voyou. Comme une matrice, répétée à l’envie, un shoot cinéphile institué en règle de gameplay.

 

Malgré un succès mérité, ce premier épisode apparaît aujourd’hui comme un gentil prototype face au cap proposé par sa suite. Payday 2 porte tous les signes évidents d’une optimisation (plus beau, plus de missions, plus d’armes, plus de possibilités tactiques), mais n’en demeure pas moins une réévaluation totale de ses acquis.  Le jeu se fend d’abord d’une dimension évolutive, avec système de classes et d’expérience, autorisant des contrats de plus en plus ardus au fil de la progression. Mais surtout, le jeu offre un découpage mieux scénarisé de son contenu : certaines missions peuvent courir sur plusieurs chapitres, et certains objectifs peuvent changer au hasard, ou selon l’attitude collective sur le terrain. Bien plus permissive, la jouabilité permet même, si la synchronie et l’entente parfaite règnent entre les coéquipiers, de réussir un braquage sans avoir à alerter la police ni verser une goutte de sang. Même si l’exploit est plutôt rare – les parties virent souvent à l’orgie de plomb – cette liberté dynamique de choix (infiltration/agression) rappelle les meilleurs heures d’Hitman, pour sa mise au défi d’une intelligence collective (donc faillible) à démonter l’écheveau instable d’un casse parfait bâti par l’ordinateur. Il faut aussi louer le talent d’écriture d’Overkill d’avoir poussé les scénarios capilotractés très loin, pour encourager les stratégies les plus surréalistes. Ici, un transbahutage de bijoux finira en guet-apens sur un pont cerné ; là un musée à infiltrer pour ne voler que les tableaux marqués d’une grande exposition ; ici encore un assaut de cooking house de méthadone, digne de Breaking Bad, où l’on finit par « cuisiner » la drogue manquante, tout en résistant à l’invasion policière, etc.

 

En dépit de cette variété de situations, le cœur du jeu, lui, ne dévie jamais d’un iota : l’attente alerte de l’ennemi, l’adrénaline de subir l’éternel Fort Alamo, avant le duel final. On pourrait d’ailleurs reprocher au jeu de ne pas permettre de jouer le camp opposé, ou à son IA de manquer de logique stratégique, pour finalement singer celle d’une meute, voisines des zombies de Left for Dead, grignotant l’espace comme un virus, acculant le groupe dans des retranchements de plus en plus précaires. Pourtant, l’intensité de jeu se joue peut-être sur cette idée terminale : délaisser toute implication morale du criminel, pour ne se focaliser que sur sa logique de survie et l’énergie d’être en cavale. La comparaison avec la meute zombie fait alors sens. Au-delà de sa contamination mortifère, c’est bien sa sensation de finitude qui régit l’esprit de chaque partie : faire ce braquage comme si c’était le dernier. On finit toujours sur Heat.