L’an dernier, une erreur d’aiguillage dans les rayons de sa bibliothèque valait à Roland Emmerich de sortir son pire navet (l’accablant et costumé Anonymous, sur Shakespeare), et à ses fans, une grosse frayeur. Que tout le monde se rassure : l’auteur d’Independance day, qui planche en ce moment sur Independance day 2, n’a pas renoncé à « faire la chose ».

 

Dans White House down, c’est Jamie Foxx, en ersatz d’Obama chaussé d’une paire d’Air Max (et d’une partition cool impuissante à rivaliser avec celle de son suave modèle), qui demande à pouvoir « faire la chose » – do the thing. Soit : une cabriole qui ouvre et clôt le film, exécutée par l’hélicoptère présidentiel au dessus du bassin jouxtant le Lincoln Memorial, la version acrobatique du pèlerinage de Monsieur Smith dans le film de Capra. Patriotisme et acrobaties : on ne tricherait pas en situant, ici, la formule éprouvée depuis quinze ans par le cinéma de citizen Emmerich. Lequel la désigne d’ailleurs d’une manière proche quand il fait dire à Maggie Gyllenhaal, chargée d’assurer la sécurité du Président en baskets, qu’elle carbure à ce double cocktail : « caféine et patriotisme ». Le cocktail, une fois de plus, se révèle très efficace.

 

White house down, donc, est un remake fort sympathique de Die Hard, ramené dans le giron emmerichien du patriotisme acrobatique – comme il y a du ski ou de la gym acrobatique. John Cale (qui sous les traits de Channing Tatum n’a rien à voir, on s’en serait douté, avec celui de Paris 1919) se rêve une carrière de bodyguard présidentiel, que son CV lui interdit. Coup de bol : une visite guidée de la Maison Blanche, avec sa fille, lui offre un examen de rattrapage inespéré quand des ennemis de l’intérieur font irruption pour 1-s’en prendre au mobilier ; 2-kidnapper le Président sympa ; 3-envoyer au sous-sol un hacker à lunettes cracker les codes nucléaires, en sifflotant. À la fin – attention spoiler – John Cale a tué tous les méchants, aidé par le sosie d’Obama qui s’est initié au bazooka sur la pelouse présidentielle.

 

Ainsi son détour par Shakespeare n’a, fort heureusement, pas détourné Emmerich de la formule qui lui vaut d’être l’auteur de l’oeuvre hollywoodienne la plus régulière des deux dernières décennies. Cette œuvre, on ne l’a pas complètement élucidée si l’on se contente de dire que son goût va à la destruction de la maison Amérique, et plus encore à sa reconstruction, menée sur trois plans : familial (c’est encore une histoire de père divorcé que sa bravoure aidera à reconquérir sa progéniture), national (c’est une reconquête du drapeau), global (à la fin, allez savoir pourquoi, le Moyen-Orient tout entier accepte de signer un plan de paix cuisiné plus tôt par le Air-Président). Ce qu’il faut bien voir, c’est que le péril menace toujours, d’abord, l’histoire de l’Amérique – à laquelle Emmerich avait d’ailleurs réservé les enluminures de son Patriot. Au début d’Independance day, le vaisseau alien commençait par faire s’effacer, sous l’effet de son vrombissement, les traces laissées sur le sol lunaire par la mission Apollo 11 – autrement dit, le grand mythe américain de la conquête. Ici l’attaque terroriste vient, avant tout, perturber la visite guidée de la Maison Blanche, et donc le catéchisme de la leçon d’histoire nationale. Fort significativement, le plus hargneux des terroristes finit par s’en prendre à un portrait de George Washington, tandis que le gentil guide s’affole de la destruction du patrimoine collectif dans les bris du mobilier. Le pire qui puisse arriver à l’Amérique d’Emmerich, c’est qu’on l’empêche de « faire la chose », qu’on la prive du spectacle de la mémoire nationale.

 

Que le film s’ouvre sur le plan d’un White House de plastique plantée dans une boule à neige, rappelle que la geste nationale n’est pour Emmerich qu’un folklore, et que ce folklore suscite chez lui autant d’admiration que d’ironie. Rythmé comme un cartoon et globalement très bien fichu, White House Down est en cela infiniment plus léger et plaisant que la pelletée de blockbusters gros bœufs, et nettement moins inoffensifs idéologiquement, sortis récemment sur les écrans. Face à eux, les tours de grand huit patriotiques d’Emmerich ont tout du vestige, et leur drôle de mélange de candeur et de dérision est un antidote, certes dérisoire, mais toujours bon à prendre. Apprenant que sa fille, patriote en herbe, vient de s’illustrer dans un concours de talents en pratiquant le « twirling drapeau », le personnage de Channing Tatum s’étonne que le secouement frénétique de la bannière nationale puisse constituer une activité en soi. Il demande : « c’est un talent ? ». Oui.