Grandia n’est pas un jeu, c’est un manifeste. Un mètre étalon de ce qui doit être fait pour concocter un jap’ RPG digne de ce nom, qui picore à droite et à gauche parmi ce qui s’est fait de mieux en la matière pour finalement s’affirmer comme une référence malgré son côté compilation de déjà-vu. C’est que pendant les deux longues années qu’il a fallu à Game Arts pour transposer Grandia de la Saturn vers la PlayStation, on a eu le temps d’approfondir notre propre culture du genre RPG-console et d’assimiler ses récurrences. On n’aura donc pas trop de difficultés à repérer les similitudes avec la série phare de SquareSoft, Final fantasy, notamment le mix science-fiction/heroic fantasy. Et plus particulièrement avec l’opus numéro sept auquel Grandia ressemble beaucoup, du moins dans sa première partie. Mais à l’opposé des héros mythomanes, antisociaux et pétris de culpabilité shakespearienne des Final fantasy, Grandia propose une galerie de personnages gentiment concons, à première vue sans épaisseur, faisant preuve d’un optimisme béat en toutes circonstances et d’une fâcheuse tendance à ricaner sans qu’on sache vraiment pourquoi -les voies de l’humour japonais sont parfois impénétrables…

C’est que Grandia est un jeu sur la découverte. Son héros, Justin, est un apprenti aventurier qui essaye sans cesse d’aller toujours plus loin pour retrouver l’ancienne civilisation d’Angelou. Et effectivement, une fois que Justin passe de l’autre côté du « bout du monde », une grande muraille-frontière qui sépare l’univers de Grandia en deux, le jeu prend une tout autre tournure. Les donjons académiques de la première partie du jeu (mines, ruines, prisons high-tech) laissent la place à des lieux nettement plus surprenants -voir les délires hawaiiens du village de Gambo, ou bien encore Cafu, dont les habitants vivent dans des fruits géants. Et même si le jeu est globalement optimiste, coloré et bon enfant, quelques événements dramatiques épars finissent par s’incruster et donner une épaisseur insoupçonnée à l’intrigue qui se révèle petit à petit, à l’instar des Final fantasy.

A force de classicisme désamorcé, Grandia finit donc pas être aussi addictif que ses estimables concurrents et s’impose largement comme l’outsider le plus crédible face aux productions SquareSoft. Avec ses 50-60 heures de jeu, c’est de plus un investissement franchement rentable…
Seule ombre au tableau : il accuse légèrement son âge. Techniquement moins abouti que FFV III, Grandia loupe de peu sa cinquième étoile, à cause de ses fréquents ralentissements -pour l’excuser, on précisera que les décors sont en 3D temps réel- et ses quelques entorses à la sacro-sainte règle du level-up -personnages quittant l’intrigue en plein milieu du jeu. Mais en se posant comme la contrepartie lumineuse de l’obscur FFV II, Grandia est finalement parvenu à s’imposer comme un des meilleurs fleurons du genre, sans matraquage marketing, ni poudre aux yeux infographique. Franchement, ça force le respect…