Malgré l’expérience accumulée sur Final Fantasy XI, le lancement fin 2010 du second MMO de Square Enix a été une véritable catastrophe industrielle, multipliant les erreurs de débutant : un contenu rachitique, un game design osé mais perclus d’archaïsmes, un netcode calamiteux. Face à la levée de bouclier des joueurs, le développeur a décidé de repartir de zéro, et de confier le projet à Naoki Yoshida, passionné de MMO mais novice en tant que producteur de jeu online. Bien leur a pris. Sorti à l’été 2013 sur PC et PS3, Final Fantasy XIV : A Realm Reborn a eu l’effet d’un Phoenix down. Square Enix revendiquait plus de deux millions de comptes crées en avril 2014, et les revenus des abonnements ont permis à l’éditeur d’équilibrer des finances pourtant fortement malmenées. Petit tour du propriétaire alors que le jeu vient de sortir sur PS4.
Depuis que World of Warcraft a perdu de sa superbe, les joueurs de MMO sont devenus impatients. A la recherche du prochain titre qui les accrochera durablement, la communauté a tendance à sauter d’un jeu à l’autre : tantôt Rift, tantôt Guild Wars 2, bientôt Wildstar peut-être… Aussi ce n’est pas sans appréhension que l’on se lance dans un jeu qui a plusieurs mois d’existence : les zones de départ risquent d’être désertées, et les maladresses des néophytes ont toutes les chances de provoquer la colère de vétérans. Heureusement, A Realm Reborn est encore bien vivant, et le lancement de la version PS4 a permis de peupler les serveurs de personnages de bas niveau avec qui partir à l’aventure. D’ailleurs FF XIV incite fortement les grognards à aider les débutants, par le biais de récompenses quotidiennes, et dans l’ensemble la communauté reste relativement accueillante. S’il est plus facile de trouver une place en donjon en tant que tank ou que soigneur, et que les magiciens devront faire preuve d’une certaine patience, ils pourront tout de même trouver assez facilement un groupe.
Les premières heures de jeu sont peut-être les moins enthousiasmantes, dans la mesure où il faut faire ses classes — aux deux sens du terme, puisqu’il est nécessaire de monter plusieurs classes avec un même personnage pour décrocher les jobs et les pouvoirs indispensables à la progression de haut niveau —, et où les quêtes initiales manquent singulièrement d’originalité. Tout au long de l’histoire qui accompagne le personnage jusqu’au niveau 50, une bonne partie du temps sera consacré au solo, à massacrer des monstres à la douzaine, à jouer les messagers, à tourner en rond dans des zones relativement restreintes, et souvent à s’ennuyer quelque peu. Le jeu multiplie les activités annexes comme un riche système d’artisanat, le carnet de chasse et les aléas, quêtes publiques en plein air ; dommage que ces derniers tiennent plutôt du button mashing sans queue ni tête que du défi. La montée de niveau peut être abrutissante, et il faudra apprendre à débrancher le cerveau et à se laisser prendre par le flux de la checklist d’objectifs à remplir pour ne pas perdre tout allant. Le scénario, aussi peu intéressant que mal raconté tient plus du prétexte un rien envahissant que d’autre chose, et la recette qui consiste à allonger la sauce pour garder les joueurs actifs risque d’en décourager plus d’un.
Ce délayage est compensé par une direction artistique sans failles, fidèle en cela à la tradition Final Fantasy. Si les zones sont relativement étriquées — puisque le jeu doit tourner sur PS3 — par rapport à celles de World of Warcraft ou de Guild Wars 2, elles sont souvent magnifiques : longues plages de sable blanc baignées de blue sky, forêts d’émeraude, cités du désert, paysages méditerranéens semés de lointains palais de fée constituent un arrière plan pittoresque. Certes, on pourra regretter que la plupart des structures soient en trompe-l’œil, mais elles contribuent à donner aux heures de farming un côté ensoleillé, radieux. Les monstres ne sont pas en reste, et l’on retrouve toute la fantaisie du bestiaire de la série : crocodiles laineux, béliers kawaii, moustiques géants, voilà qui nous change des nuées d’orcs et de trolls. Même sens du style et du détail en ce qui concerne l’apparence et les vêtements des personnages. Oubliez les épaulettes de quarterback et les décolletés de bimbo, les mages d’Eorzéa portent des coules fashionable, les guerrières des armures coupées avec goût, les bardes portent le petit chapeau à plume crânement de travers. Et si certaines tenues un rien bondage laissent voir pas mal de chair, les beaux garçons sont au même régime que les jolies filles. Evidemment personne ne prendra en défaut Square Enix quand il s’agit de flatter les fans. Outre les inévitables chocobos et les bateaux volants fabriqués par Cid, c’est la bande son dirigée par Masayoshi Soken qui se distingue. Les thèmes de Nobuo Uematsu et des autres habitués de la série enveloppent les heures de farm et de quête. De la fanfare au heavy metal, des grandes orgues au minimalisme, c’est un délice de bout en bout, qui profite il est vrai de notre nostalgie. Mais comment résister au Chocobo theme ou aux multiples remixes du Battle theme ?
Pour réussi que soit l’emballage, il ne suffirait évidemment pas à nous retenir si le jeu ne sortait pas de sa manche un atout décisif : un contenu de groupe aussi riche qu’épatant, des donjons et des combats de boss sans concession. Il faut certes attendre le niveau 30 — soit un bon paquet d’heures tout de même — pour que ces aspects prennent toute leur ampleur. Les premiers donjons, impératifs pour progresser à partir du niveau 15, tiennent du gentil tutoriel ou de la promenade de santé pour les joueurs expérimentés. Mais très vite la difficulté augmente considérablement, ce qui montre une certaine bravoure de la part de Square Enix dans le contexte actuel de MMO de plus en plus destinés au plus petit commun dénominateur. S’ils n’ont rien d’impossible, des donjons comme Brayflox et surtout des boss comme les Primordiaux Ifrit ou Titan exigent des joueurs de bien s’accrocher. Les premières tentatives tourneront vite à la déroute, et les aventuriers mangeront le sol à plusieurs reprises avant de triompher, ratatinés, éjectés, empoisonnés, brûlés, balayés… Ce qui ne rendra la victoire que plus satisfaisante.
C’est à travers ces combats de groupe, et plus tard dans les raids de haut niveau (que je n’ai pas eu le temps d’essayer, mais qui semblent rencontrer un réel succès) que le système de jeu, un rien monotone en solo, brille. A Realm Reborn fait dans le classique, sur le modèle de World of Warcraft et de son prédécesseur Everquest, en adoptant la fameuse trilogie tank (je prends les coups) – soin (je répare les bobos) – DPS (j’envoie la sauce, je saute dans le tas à la lance ou je grille à la boule de feu), là où un Tera ou bien un Guild Wars 2 essayaient d’imposer des dynamiques de groupe moins figées. Mais ce système a le mérite de la clarté puisque chacun connaît son rôle. Et il y a tout intérêt tant certains affrontements sont tendus à l’extrême, comme celui qui nous a opposé à Garuda : course-tornade contre le temps, tempête de plumes, de dégâts de zone à éviter dans un ballet mortel, un beau rush d’adrénaline. Si un délai de quelques secondes entre chaque utilisation de pouvoirs et un léger lag (les serveurs « européens » sont situés au Canada) peuvent donner une impression de mollesse, celle-ci est compensée par la nécessité de combattre en mouvement et d’apprendre vite de ses erreurs.
Avec A Realm Reborn, Naoki Yoshida, dont le sens de la communication a fait une star presque instantanée, a non seulement réussi à redonner vie à Final Fantasy XIV, mais il a aussi prouvé que le MMO classique avait encore de belles heures devant lui malgré le déclin de la locomotive World of Warcraft. Plus léché que novateur, le jeu a néanmoins tout pour attirer aussi bien les vétérans qui regrettent l’évolution actuelle du genre que les amoureux de Final Fantasy et les débutants qui voudraient appréhender le choc qu’a pu constituer le MMORPG dans le courant des années 2000, tout en bénéficiant d’un jeu actuel, vivant, en devenir. Belle gageure pour un coup d’essai.