Après bientôt deux décennies d’existence, le survival horror dresse aujourd’hui son bilan. De Alone in the Dark à Dead Space en passant par Resident Evil et Silent Hill, le genre a connu le meilleur comme le pire. Il a surtout été l’un des maillons essentiels de la démocratisation cinématographique du jeu vidéo. Sans Shinji Mikami et son Resident Evil, 1 ou 4, le paysage actuel ne serait sans doute pas le même. Il fallait penser cadrage, mise en scène, montage, pour voir aujourd’hui exister les Modern Warfare ou Uncharted, aussi éloignés soient-ils en apparence des zombies du japonais avec leur surenchère spectaculaire. C’est cette conception cinégénique, et aussi cette terreur enfantine du monstre derrière la porte, que Dead Space avait repris à son compte pour décupler les sensations du premier Resident Evil. Au départ son plus grand héritier, le jeu de Visceral Games fut le temps d’un épisode un concentré impressionnant et salvateur de tout ce que le genre a pu produire avant lui. Ironiquement, c’est en revenant à Alien (là où Resident Evil, derrière l’épouvantail de Romero, cachait le traumatisme des films de Scott et plus encore Cameron), que Dead Space concentra toutes ses ambitions ; qu’il su renouer avec le jeu d’angoisse où tout ce qui compte, c’est d’abord le hors champ. Initialement jeu taiseux, plongeant son joueur dans les longs couloirs étroits d’un vaisseau où la perspective fait loi, Dead Space fut une lente épreuve nerveuse où l’irruption de l’horreur prenait le mot épouvante au pied de la lettre.

 

Ce génie de la mise en scène dont Dead Space a fait preuve, Visceral Games l’a perdu. Comme si le studio avait voulu rattraper, en accéléré, son époque (le premier jeu date pourtant de 2008), il a mis sa licence en vitesse rapide et jeté tout l’héritage de Mikami dans un shaker. Cela fait longtemps que Resident Evil a préféré l’action (le 6 s’offrant tel un pudding du blockbuster actuel). Ses racines ont même toujours été un peu plantées dans l’arcade avec sa politique du challenge (finir le jeu en 1 vie en un minimum de temps et d’armement). Sauf que le chemin pris par Dead Space, en seulement trois jeux, là où celui du japonais Capcom en compte beaucoup plus, est nettement moins intéressant. Il n’est cohérent que par rapport à une époque où le jeu vidéo, le plus riche et plébiscité du public se doit d’être un gros rail d’adrénaline, brutal, rapide et facile d’accès. Dead Space 1 était un chef-d’œuvre de lenteur, invitant son joueur à évoluer seul dans les niveaux en retenant son souffle. Dead Space 3, à l’ordre du jour, se joue limite en mode commando, au pas de course, en dézinguant frénétiquement de l’alien dans des niveaux remplis à la gorge. Démarrant sur les chapeaux de roue, l’aventure commence même dans un plus pur style Gears of War qui sent bon le hors sujet ; heureusement le jeu revient après à ses mécaniques, mais tout de suite on comprend que l’aventure tourne mal et qu’en voulant étoffer l’univers de son jeu, Visceral se tire une balle dans le pied.

 

Ce virage que le deuxième épisode laissait pressentir est désormais accompli. Dead Space est devenu un jeu bourrin, mettant le paquet sur des séquences qui aimeraient assurer la sidération et l’horreur, quand elles provoquent surtout la lassitude et l’ennui. Il n’y aurait pas de quoi se sentir blasé si l’action tenait la route – après tout Resident Evil 4 reste un modèle dans le genre. Seulement la relative pauvreté de l’expérience (par sa linéarité, son manque de subtilité, ses références mal digérées) rend Dead Space 3 aussi laborieux que pénible tant il veut violenter son joueur. Hyper agressif, déversant ses ennemis enragés en rafale, le jeu vire presque au matraquage compulsif et complaisant sans véritable raison d’être ; ni sans proposer un nouveau bestiaire alien qui en vaille vraiment la peine. Avant, il fallait se frayer un chemin dans l’attente et la peur, tout n’était que profondeur de champ, sursaut au moindre bruit, l’armement étant compté. Désormais, le jeu fait la publicité de son mode coopératif, non-sens absolu si on s’en tient au programme solitaire du premier épisode, et distribue les munitions en pagaille. Il vise surtout à tout déballer, tout montrer, exit l’effroi de l’invisible, place à l’exhibition gore et l’intrigue parasite. L’univers torturé, anxiogène et bizarre d’antan laisse place au grand guignol saoulant. Parfois il suffit d’un léger changement de rythme ou de conception pour que toute une perception soit modifiée.

 

Mathématiquement parlant, on pourra dire qu’il s’agit toujours de survival, et d’horror. Que Dead Space 3 contient même quelques séquences qui ont de l’allure, comme après le crash d’un vaisseau sur une station enneigée renvoyant furieusement au The Thing de John Carpenter (ou au Lost Planet de Capcom). Le jeu n’est pas honteux, il est juste en adéquation avec la tendance molle et un peu gonflante, à force, du moment. Cette tendance cannibalisante et sans éclats qui se vole les mêmes mécaniques de jeu et voudrait, encore une fois ironiquement, ressusciter le brio de Resident Evil 4 ; jeu d’action pur qui imposait un rythme dingue à son joueur. Sauf que Dead Space 3 a oublié que le génie de Mikami reposait sur une finesse de dosage dont pourtant Visceral semblait autrefois se souvenir. A sa manière, le jeu résume ainsi la trajectoire d’un genre qui initia ce qu’est devenu tout un pan du jeu vidéo d’aujourd’hui. Il a voulu en faire trop, faire plaisir à un public dont il a exagérément écouté les goûts (tout le problème est aussi là), jusqu’à faire une croix sur des détails qui donnaient au jeu sa force, son étrangeté voire sa complexité théorique (autrefois simple figure mutique et masquée fascinante, le héros est devenu d’une banalité narrative édifiante alors qu’il avance toujours plus à visage découvert). Le prix à payer est lourd pour Dead Space, qui se renie et s’ouvre à peu d’autres alternatives qu’un rétro-pédalage. Mais à la fois, à quoi bon ? Le premier épisode était un chef-d’œuvre de maniérisme post Resident Evil. Il serait temps de tourner complètement la page. Ce qui, en un sens, vaudrait presque comme un pari de renouveler intégralement la tendance actuelle en changeant tout son paradigme.