L’intention est louable : prouver une fois de plus le pouvoir alternatif du jeu vidéo à se faire langage panthéiste, apte à faire parler n’importe quel phénomène du monde terrestre. Le vent avec Flower, la pluie avec Rain, et maintenant : l’ombre avec Contrast, avec son personnage de trapéziste, capable de se projeter en ombre portée sur n’importe quelle surface éclairée. Sommée de jouer les anges gardiennes d’une petite fille ignorée par ses parents en pleine de crise de couple, l’héroïne parcourt une série de niveaux qui sont autant de casse-tête architecturaux, liés à cette alternance entre ombre et lumière, et des différences dimensionnelles qu’elle fait naître. Peu avare en métaphore, le jeu déplace sa fable œdipienne dans un Paris imaginaire des années 20, peupléd’attractions foraines en ruine et d’habitants réduits à des ombres chinoises sur ses murs. Le discours (sur)signifiant est clair : jouer à Contrast, c’est pouvoir se faire le funambule entre une réalitéet son simulacre, en tirer profit pour redonner forme et vie à un monde et une famille à la dérive.

 

Sur le papier, Contrastincarne le prototype parfait de l’Expérience de jeu vidéo, de celles qui révèlent la dimension poétique d’un phénomène optique par son art du bricolage. Comme bon nombre de puzzles-games métaphysiques avant lui (Portalen tête), le jeu use et abuse des confusions de perspective, des aplats et des reliefs, des trompes l’œil entre bi et tri-dimensions que peut faire naître le jeu des ombres. Ici, le décor forain en convalescence se fait support d’un discours : Contrastmilite pour une préservation de l’illusion artisanale, qu’on doit sauver comme un amour familial en voie d’extinction. Mais il a surtout le défaut de croire qu’artisanal signifie « intouchable ». Contrastsouffre moins d’une sous-performance technique – réelle mais qui reste secondaire – qu’une vrai carence de jouabilité, souvent approximative dans ses phases de plateforme, quand elle n’est pas totalement à côtéde la plaque. A vouloir surligner son innovation conceptuelle, le jeu en oublie presque son langage principal : l’interaction harmonieuse entre un personnage et son décor. Le constat est d’autant plus visible que le décor est aussi support d’une réflexion en énigmes, sans cesse frustrée par sa mauvaise gestion de l’espace et de la physique. A force de se vouloir œuvre, Contrastoublie d’être un jeu.

 

On pourrait aussi résumer son problème à partir d’une seule scène du jeu : prisonnière de la narration d’un théâtre d’ombre à l’ancienne, l’héroïne évolue dans un jeu de plateforme 2D, tout en clair obscur. La référence est claire : le jeu tente de reproduire un niveau de Limboet son gameplay. En vain, tant la rigiditédu personnage et de ses sauts gâche tout plaisir de l’hommage. La leçon, ironique, est éloquente : Contrastmarche dans l’ombre des grands.