Guillaume Gallienne aime beaucoup sa maman. Il l’aime tellement que les premiers mots de son film sont pour elle : « Maman ? Maman !! MAMAN !!?? ». Il l’aime tellement qu’il a décidé de jouer son rôle, déguisé, façon Norman Bates de la Comédie Française. Guillaume, y apprend-on, a passé son enfance tiraillé entre les activités de garçon imposées par son père, et le monde très almodovaro-iglesiasien (« Vous, les femmes ! ») de sa mère, qui l’appelait « ma chérie ». Ce monde de femmes lui convenait mieux mais, culpabilisé par l’injonction virile de son entourage et de la société (c’est-à-dire : le service militaire), Guillaume traverse une série d’épreuves, une épopée du genre pour savoir enfin de quel bord il est  : pensionnats, sports en tout genre, divans des psys, boîtes gay et soirées entre filles. Persuadé par sa famille qu’il est homo, Guillaume finira par réaliser qu’il n’est qu’une grande folle hétéro.

 

En fait, Guillaume ne comprend simplement pas la loi du genre, qui veut que les garçons partent à la chasse tandis que les filles prennent le thé en papotant. L’idée est bien amenée, et surtout très actuelle : le film mérite le label à la mode de comédie populaire  « transgenre » qui l’accompagne en salles. Sauf que sous cet éloge très bien-pensant de la différence et du petit grain de folie, couve évidemment un autre culte, contemporain et régressif : celui du narcissisme vorace. Le rejet des normes du genre, pour lequel milite le film, recoupe en fait un rejet plus large de la loi, une pulvérisation du surmoi – et avec lui de la mise en scène, brouillonne et télévisuelle, noyée sous des vagues de musique publicitaire.

 

Adapté d’une pièce autobiographique à succès, Les garçons… transpire bien sûr la sincérité, cette sincérité qui dessine sur le visage de Galienne le sourire béat qu’il adresse, sur scène ou sur les plateaux, à son public. Ce grand sourire, c’est à la fois le souvenir de maman et de la guérison, mais aussi l’extase d’un petit garçon tyrannique submergé par l’émotion narcissique : celle de voir son public tout ouïe, prêt à engloutir son refrain sur papa-maman, prêt à entendre ce que Deleuze appelait le « sale petit secret » de la psychanalyse. Dans le film, les sales petits secrets pullulent. C’est la porte de la chambre ouverte par la père, surprenant Guillaume déguisé en fille. Ou celle des toilettes, ouverte par Guillaume, nez-à-nez avec sa mère qui s’essuie les fesses. Les garçons… est fait de ces portes qu’on n’aurait jamais dû ouvrir, de ces histoires qui, retournant la sincérité en une embarrassante crudité, refusant toute sublimation à l’autobiographie, ne peuvent être racontées que du point de vue des orifices.

 

Le film consacre en cela une forme de chantage à la sincérité qui est l’excuse de beaucoup de films français récents (de La guerre est déclarée à Un château en Italie), et signe la victoire de ce terrorisme narcissique qui voudrait réduire le monde à une scène vidée où, dans le halo d’un projecteur unique, ne reste qu’un auteur-acteur jouant tous les rôles. Face à lui, le public est tenu d’écouter en silence, comme un analyste démultiplié. Et d’ailleurs le film, évidemment, se dénoue comme une analyse : à la fin, Gallienne délaisse l’amour de maman pour celui d’une fille.

 

Tout le reste, au fond, est accessoire et purement folklorique, ne laissant émerger aucun personnage sinon sous la forme de vignettes comiques, comme la scène où Diane Kruger, en infirmière allemande, est invitée à inspecter l’anus du héros. Ou encore celle où Reda Kateb, en Arabe homo, l’embarque à Pantin pour une partouze entre rebeus. Enfouie tout au fond de la brioche narcissique, cette dernière parvient presque à faire oublier qu’elle est, quand même, un peu abjecte. Qu’importe : tout, de toute façon, rayonne depuis le même foyer, qui est la scène du one-man-show. Ici, « on se dit tout », comme en analyse. Et d’ailleurs l’analyse n’est plus utile : l’inconscient n’a plus de secrets, il est devenu une scène de one-man-show filmée par la télé.