Depuis sa présentation à Cannes en mai dernier, une lourde attente pesait sur les épaules, pourtant fragiles, de ce premier film français aussi singulier que séduisant. Parce qu’il s’y invitait dans des habits inhabituels et bigarrés (un patchwork où seraient cousus ensemble Duras et Albator, Garrel et Bava, Pasolini et David Friedman) et sous l’étendard d’un goût retrouvé pour la poésie et l’innocence des artifices, on l’a fait monter, seul ou presque, au front de la bataille du Jeune Cinéma Français contre l’hydre naturaliste. De fait, le film a, un peu malgré lui, des allures de manifeste. Et ce manifeste, on ne peut évidemment qu’y souscrire sur le principe. Car il y a en effet un vrai plaisir à voir ramenés d’entre les morts (ici le cimetière des eighties caraxiennes, où le film plonge goulûment) pareils goûts, pareille ambition. Parce que ces goûts, ensuite, sont en partie les nôtres, et qu’au-devant d’eux on ne saurait réprimer l’élan d’une adhésion, disons, culturelle. Cette affinité, précisons-le enfin, n’est peut-être pas un hasard : l’auteur du film, Yann Gonzalez, est d’autant mieux connu de nos services qu’il dirigea longtemps les pages cinéma de Chronic’art. Pour autant, ce n’est pas forcément rendre service au film que de vouloir le voir seulement à travers les mailles de ce manifeste – c’est lui en demander à la fois trop et trop peu. Et parce que la partouze est son protocole, il nous autorisera à lui retirer ses habits de gala pour voir à quoi il ressemble tout nu.

 

Dans le décor théâtral d’un loft rétro-futuriste, les convives d’une partouze arrivent les uns après les autres, se présentent (sous les traits des fantasmes que résument leurs noms – la Chienne, l’Etalon, l’Adolescent…), font la conversation d’une voix blanche, pointent au « juke box sensoriel » qui crache des morceaux inspirés par leur humeur. Chacun est venu avec son récit, pour le frotter au récit des autres dans ce qui est d’abord une orgie de mots et d’images. C’est que le film, lui-même, est une partouze – ou un juke-box : comme les convives qui défilent à la porte, les idées, les images, les emprunts à d’autres films, pointent et attendent leur tour. Difficile, pour qui avait été sensible aux courts métrages talentueux de Yann Gonzalez, de ne pas ressentir une légère déception devant cette pièce montée d’idées, qui peut donner l’impression qu’au lieu de se confronter à la forme longue, il trouve le moyen d’offrir plutôt un panaché de nouveaux courts. Lesquels condamnent en partie les personnages à servir de passe-plat, et le spectateur à évaluer au coup par coup le menu qu’on lui sert, façon Master Chef. Reste que, si l’inspiration de ces récits est inégale (Béatrice Dalle semble un peu perdue dans un remake anecdotique d’Ilsa, la tigresse du goulag), tous ont pour eux une grande beauté plastique : en matière de direction artistique, le film est en effet sans équivalent dans le cinéma français actuel.

 

Si elle est la limite du film, cette logique de feuilleté ne l’empêche pas de nourrir une grande ambition, visant à marier le froid (le dandysme de ce panaché camp d’images et d’influences) et le chaud (l’intensité romantique que le film cherche, paradoxalement, à faire monter depuis ce hiératisme cool). Défi osé, qui était déjà au programme des courts métrages et que Les rencontres d’après minuit ne relève qu’à moitié. S’il y échoue dans un premier temps, c’est avant tout par la faute des dialogues auxquels revient la lourde tâche de souder ensemble les blocs d’idées. Quelque chose semble mal réglé, dans ces répliques prononcées par des voix blanches aussi appliquées que maladroites. Ce n’est tant leur sérieux volontiers naïf qui pose problème, que le sentiment que chacune a vocation à résumer le film entier, ôtant tout mystère au thème qu’elles martèlent, et  condamnant ce thème (romantique, donc) à avoir l’air de n’être qu’un motif parmi d’autres, un peu utilitaire, au milieu de la partouze générale.

 

Et pourtant ce romantisme, éminemment garrelien (passion pour les spectres, fixation adolescente sur le suicide) finit bel et bien par rencontrer l’intensité promise. Parce que le ridicule occasionnel des dialogues s’efface finalement sous la sensibilité de la mise en scène, et la belle frontalité avec laquelle celle-ci va cueillir l’émotion sur les visages. Ce grand bain d’exaltation adolescente, Gonzalez le prend à l’évidence très au sérieux. C’est-à-dire : avec un sérieux d’adolescent, qui l’autorise à recueillir pleinement, et avec une innocence assez désarmante, les deux états qu’il cherche à filmer simultanément – extase et mélancolie, orgasme et dépression post coitum. Le film suit en cela une direction toute musicale, réglée sur le radiateur des nappes synthétiques qui finissent, dans un finale très émouvant, par le recouvrir complètement. Ce finale au petit jour, qui confirme le goût du film pour l’entre-deux tout en le faisant sortir enfin de son cabinet de curiosités, résonne in extremis comme une promesse tenue, et un rendez-vous encourageant pour la suite.