Platon et les RPG japonais sont bien d’accord : « Apprendre c’est se souvenir, LOL ». Pour le rôliste monomaniaque, l’amnésie est un trouble fréquent, voire inévitable lié à l’adolescence de son avatar et à un début de scénario toujours très convenu. Ar tonelico, RPG japonais presque caricatural à force de poses kawaï, évite au moins l’écueil d’une mise en bouche comateuse : Lyner, adolescent fougueux et chevalier d’Elemia (au grand dam de son politicien de père qui aimerait le voir prendre sa succession) dispose de toutes ses facultés mentales. Mais il ignore tout du monde qui vit en dessous de sa ville Platina. Ce n’est qu’à l’occasion d’une mission de sauvetage (ramener un cristal capable d’enrayer l’attaque d’un virus contre Platina) qu’il découvre le Lower world, sa « France d’en bas » et ses moeurs étranges.

Alors qu’il s’apprête à réparer son vaisseau et ramener le précieux artefact à Platina, Lyner rencontre des jeunes femmes qui utilisent leurs chants comme des armes, les Reyvateils. Commence alors pour ce gros puceau de la vie une odyssée en forme d’éducation sentimentale : un caractère galant, chevaleresque, et un pedigree de haute lignée lui attirent immédiatement la concupiscence rose bonbon des jeunes filles issues du petit peuple. Ar tonelico, sous son habillage 2D old school négligé et son esthétique manga plan-plan, n’est décidément pas un RPG conventionnel. Un point de sauvegarde tous les 20 mètres ; le héros systématiquement acclamé partout où il passe, récoltant les honneurs et les faveurs des citoyens lambda impressionnés par son rang ; une bourse toujours bien pleine qui ne sert pas à grand-chose (les donjons fournissent en quantité tout ce dont le joueur a besoin) ; des montées de niveaux plus spectaculaires qu’une poussée d’acné… Ce RPG de Guts représente un peu l’antithèse des productions Atlus les plus vicieuses (Shin megami tensei et Etrian odyssey en tête), plus radines et surtout nettement plus létales – un petit pas pour moi, un grand pas vers la mort. Indulgent, Ar tonelico l’est jusque dans son système de combat qui mélange du tour par tour classique et la direction (comme un chef d’orchestre) du chant de la Reyvateil qui fournit son lot d’attaques spéciales et de sorts de soutien. Original et somme toute assez riche, ce système ne souffre que de la trop grande facilité des combats, un déséquilibre d’autant plus flagrant que leur fréquence est plutôt faible et les donjons très courts. Tout l’intérêt des affrontements est finalement concentré sur la relation fusionnelle entre Lyner et la Reyvateil : Lyner encaisse un coup à la place de sa chanteuse, et voilà que la jauge d’harmonie de notre couple guerrier décolle jusque dans des proportions proprement dadaïstes. Moralité : on est plus fort quand on s’aime. Roooh, c’est trop mignon.

Ar tonelico fera peut-être date en tant qu’authentique RPG de l’immaturité sexuelle renvendiquée. « Level 40, toujours puceau », en somme. Au-delà de ses donjons prétextes, de ses combats vite torchés, et de son intrigue sympatoche, ce sont surtout ses errements grivois et ses tribulations intimes qui donnent chair à Ar tonelico : « Je connais sa vraie couleur de cheveux », « tiens, tes seins ont grossi », ça se crêpe sauvagement le chignon entre prétendantes à l’affection de Lyner, qui défilent, une à une, l’oeil humide et la tenue légère, dans sa chambre pour discuter de leurs sentiments et de leur trouble croissant. Et plus le joueur écoute sa Reyvateil, moins cette dernière hésite à lui dévoiler son intimité la plus profonde.

Entre le dépucelage progressif, crypté, et une relecture de Freud par Hello Kitty, l’une des grandes trouvailles de Ar tonelico réside dans ces voyages intérieurs au cours desquels Lyner doit pénétrer l’inconscient de sa partenaire pour en dénouer les conflits refoulés (et lui apprendre, par extension, de nouveaux sorts dévastateurs). Scénarisées de façon parfois simplistes mais toujours d’une cohérence parfaite, ces visites mentales n’en demeurent pas moins marquantes. Etrangement, le joueur / avatar n’en ressort jamais plus instruit ou moins puceau. Rester puceau donc, le coeur léger, jamais fatigué par les combats / ébats, jamais inquiété par un passage à l’acte qui s’éloigne au fur et à mesure que l’on s’en approche.