Un Woody Allen, un autre, qui conclut une trilogie londonienne, après Match point et Scoop, et poursuit une sorte d’European tour qui le mènera prochainement à Barcelone, après que son projet parisien ait été annulé. On sait que le New-Yorkais ne s’embarrasse plus vraiment de casting, et de l’agenda des vedettes : désormais il tourne avec des équipes locales, et des acteurs qui sont disponibles au moment du tournage. La première surprise du Rêve de Cassandre se trouve justement là, du côté des acteurs. Ewan McGrego et Colin Farrell, deux comédiens pas possibles, surtout le second nommé, s’avèrent plutôt bons, ici, en fratrie cockney. L’un (Farrell) répare des voitures de luxe, et s’entête à jouer au poker pour arrondir ses fins de mois. L’autre (McGregor) gère le restaurant familial, mais rêve de gros coups financiers et s’enthousiasme pour un obscur projet d’hôtels californiens. Les deux frères réalisent leur rêve en acquérant un voilier, baptisé Cassandre – c’est dire si ça s’annonce mal. Car leurs ennuis d’argent les conduisent à demander l’aide de leur richissime tonton, qui a fait fortune dans la chirurgie esthétique, qui leur accorde une somme conséquence à une condition : zigouiller son associé, qui s’apprête à balancer devant les tribunaux la vérité sur ses magouilles.

Ça commence donc comme un Ken Loach lounge, ça vire à la comédie hitchcockienne (comment buter un type quand on n’a jamais songé à un truc pareil) et ça se termine du côté de Dostoïevski (un remix assumé des Karamazov et de Crime et châtiment, quand le frère meccano sombre dans une crise mystique de culpabilité). Ces trois temps donnent au film sa structure, simple comme une avalanche ou une pierre qui roule et amasse mousse. S’y coulent un certain goût allenien pour le bavardage (sans doute trop, ici) et une mise en scène calme, presque plate. La pépère attitude de Woody s’y trouve sinon régénérée, tout du moins assumée, à bonne carburation, en altitude de croisière. Allen, c’est un peu un Chabrol maigrichon : il ne vise plus, depuis longtemps, le grand film, mais empile les cartons. Celui-là, souvent plaisant et convaincant par son application, en vaut bien d’autres.