Quiconque cherchera la filiation entre ce French Cowboy et les Little Rabbits s’embarque dans une sacrée quête. Peut-être même une énigme. Le nouveau groupe de Federico Pellegrini, bien que composé de quatre ex-Rabbits, semble tout à fait affranchi de la pop hexagonale et s’est mis en route pour un ouest américain en v.o., du côté de Tucson, Arizona, sur les terres du fidèle Jim Waters. En fait, le présent album est surtout le frère jumeau de Bang !, disque que Federico avait conçu en tandem avec Héléna Noguerra, l’année dernière, sous le sobriquet de Dillinger Girl & Baby Face Nelson. Campant à leur manière une sorte de Bonnie & Clyde folk, nos deux amis avaient proposé un beau disque dont l’aridité (deux voix, deux guitares et basta) a sans doute déconcerté autant le public des Rabbits que celui d’Héléna.

On retrouve d’ailleurs dans ce nouvel opus pas moins de quatre titres échappés de Bang ! mais exécutés cette fois-ci par quatre lascars tout à fait à leur place dans leur rôle de folk-rock heroes. Le son est naturel, se donne du temps et de l’espace et les musiciens sont économes de démonstrations, préférant se mettre au service de chansons à l’esthétique épurée et concise. A la différence des années Rabbits, l’accent a été mis sur le chant et, plus que tout, sur les choeurs. Et le résultat risque de séduire davantage de monde. Tandis que beaucoup de français s’essayant à l’anglais donnent l’impression de s’exprimer via des clichés sélectionnés à la va-vite dans une langue étrangère, French Cowboy parvient à occulter cet écueil : les chansons sont habitées, sonnent juste et une écoute un tant soit peu attentive des paroles ne laisse planer aucun doute sur le terreau émotionnel traumatique dans lequel les chansons ont pris racine. Composés à la chaîne, il y a deux ans, par un Federico Pellegrini en plein doute, hanté par une mort symbolique – celle du groupe – et une autre bien réelle – celle d’une amie très proche -, les titres de ce disque tournent le dos à l’écriture distanciée et un rien cynique dont il usait (et abusait, de son propre aveu) dans les Rabbits. Portées par une voix quelque part entre la fragilité d’un Vic Chesnutt et la nostalgie d’un Michael Stipe, chacune des chansons est une variation autour du thème de la perte (la superbe ritournelle tire-larmes Happy as can be, avec Hemingway en ombre chinoise), de la frustration (ce Stranger qui rentre la bite sous le bras ou cette Jeannie qui se fait tant prier pour nous secouer ce qu’il faut dans Shake) ou de l’incommunicabilité (un Second skin particulièrement poignant ou – un des trois titres francophones du disque – un Dis-moi désespéré où Federico dévide ses desiderata : « Dis-moi les mots qui font du bien, des calmants / Des mots, des conneries, des mots / Parle-moi, dis-moi tout va bien / Dis-moi quand le bâtiment va tout va »). Cette collection de vignettes spleenétiques évite fort heureusement de donner dans un ton trop systématiquement monochrome et anthracite grâce à des changements de climats bienvenus. En effet, le French Cowboy sait envoyer du bois, comme sur le remué Shake, ou sortir les guitares à gros grain papier de verre, comme sur ce Supermarket qui flirte avec le meilleur du punk mélodique circa ’77. Pas chien, l’homme à face de bébé se fend également d’une pop song velvetienne ensoleillée, Leather boots, dont le fétichisme un brin morbide n’a d’égal que son évidence mélodique, soulignée par le cuivre baryton de Mr Tidipaws. Le mariage des contraires est toujours réjouissant quand il accouche de belles maladies. Seul véritable vestige du passé cuniphile, La Ballade de Baby Face Nelson, fait un clin d’oeil (que certains pourront trouver trop appuyé) au vieux Gainsbourg : la nostalgie, camarade ?

A l’issue de la traversée d’un album qui, de toute évidence, nous accompagnera bien au-delà des frimas, on ne peut que saluer le renouvellement non feint dont Federico Pellegrini à su faire preuve (changement de registre, d’écriture, de ton et, même, retour à une indépendance assumée via une création de label). Ce premier album contredit le vieil adage des héros qui finissent inévitablement fatigués : soudés et ragaillardis par une source nouvelle, le gang chevauche ces nouveaux territoires avec brio, sans se retourner sur le passé. So long, French Cowboy.