Yeti Lane (lire notre chronique) est le nouveau projet musical de Ben (voix, guitares, portasound, synthétiseurs), Loac (voix, guitares, basses, synthétiseurs, orgue, mellotron) et Charlie (batterie et percussions, synthétiseurs, orgue, mellotron, boîte à rythme et boucles), tous trois anciens membres du groupe Cyann & Ben. Les trois musiciens s’éloignent sur leur premier album des atmosphères éthérées et des envolées lyriques propres à Cyann & Ben au profit d’un indie-rock plus direct et rythmé : le champ des influences s’élargit en mêlant sans complexes mélodies pop et rythmiques tribales, synthés krautrock et guitares hypnotiques. Interview à l’occasion de leur concert à Paris samedi 27 septembre à la Maroquinerie.

Chronic’art : A quel moment et pour quelles raisons avez-vous décidé de mettre un terme à l’histoire Cyann & Ben et de créer Yeti Lane ?

Charlie : L’aventure Cyann & Ben s’est terminée officiellement en février 2008. Après la sortie du dernier album nous avons pas mal joué, beaucoup à l’étranger, et aussi travaillé en parallèle sur un ciné concert commandé par le festival de moyen métrage de Brive et présenté par la suite à Paris et à Toulouse. Cette année 2006-2007 a été assez dense et riche en expériences pour nous. Et après 3 albums, nous avions la sensation d’avoir clos une trilogie, de devoir évoluer plus radicalement pour le 4e. Et c’est à ce moment peut-être que les visions de cette évolution ont commencé à différer d’un membre du groupe à l’autre… Nous avons commencer à composer en hiver 2007, et sommes entré en (home)studio fin janvier 2008 pour enregistrer 7 titres. C’est à l’issue de cette session que Cyann, qui se sentait s’éloigner artistiquement de Ben, Loïc et moi, a annoncé qu’elle quittait le groupe, car elle ne se sentait plus motivée par les orientations que l’on explorait alors, et qu’elle avait besoin de faire un break avec la musique pour se retrouver un peu… Nous de notre côté nous étions plutôt intrigués et excités par les nouveaux morceaux, nous avons donc décidé de continuer sous un autre nom, et d’en profiter pour accélérer les changements amorcés. Des 7 titres de cette session avec Cyann nous avons terminé (et remaniés plus tard) Solar, Heart’s architecture, et Tiny correction (sur lequel Cyann ne joue pas). C’est assez étrange d’ailleurs avec le recul en écrivant ces mots je me rends compte que ce sont peut-être les plus lumineux !

Loac : Il était clair qu’après le 3e disque avec Cyann et Ben, nous étions arrivés à un moment où on se posait pas mal de questions, comment rebondir, comment intégrer de nouvelles envies musicales, quelles options choisir. Ces questions venaient du fait qu’on avait l’impression de faire du sur place, on se sentait un peu encroûté dans notre « image » (entre nous, Sweet beliefs, que j’adore, n’a pas réellement rencontré un énorme succès et ça n’a pas été facile à digérer pour nous après toute l’énergie qu’on avait mise dans ce disque), mais surtout, on n’avait pas tous les mêmes attentes. Les premiers morceaux de l’enregistrement ont été réalisés sous le nom de Cyann et Ben mais je crois qu’on essayait de faire survivre quelque chose qui était déjà bien amoché. C’est vite devenu évident qu’on ne pourrait pas continuer ensemble si on n’y prenait pas du plaisir. Quand Cyann nous a annoncé son départ, on était déjà prêts, je pense que la page était déjà tournée pour nous trois et on n’avait pas envie de tout arrêter. On a simplement continué à avancer, sans trop se poser de questions. On avait juste envie de faire ce disque et cette envie s’est transformée en besoin de montrer qu’on était aussi capable de le faire et de le faire différemment.

De nombreuses chansons de l’album semblent mettre en scène la relation amoureuse sous l’angle douloureux de la rupture. Peut-on y voir aussi une métaphore de la séparation de Cyann & Ben ?

Loac : C’est fort possible. Ce qui est clair, c’est que la dynamique de groupe a été à redéfinie totalement après le départ de Cyann : les forces mises en jeu n’étaient plus les mêmes et le travail de chacun au sein du groupe a été modifié. Je me suis aussi posé pas mal de questions, ça doit se ressentir dans les textes. Un morceau comme Black soul par exemple pourrait très bien s’adresser à Cyann mais il aurait pu tout aussi bien me concerner à un certain moment…

Ben : Relations amoureuses, amicales, relations avec des proches. Tout est lié. De mon côté, je ne m’adresse à personne en particulier. Et je pense que ça peut être interprété de plusieurs manières, pour plusieurs situations. Lorsque ça a été écrit, c’était en pleine séparation, en plein changement. Ce sont des moments où l’on remet pas mal de choses en question. Les bonnes comme les mauvaises. La rupture c’est toujours douloureux, mais ça peut être libérateur. Je pense que l’on a voulu s’offrir de nouveaux horizons.

Globalement, l’album commence par des textes assez tristes, sombres, et s’illumine progressivement, jusqu’aux deux derniers morceaux, très ouverts et optimistes. Avez-vous réfléchi au tracklisting dans ce sens ?

Ben : Je ne dirais pas triste mais plutôt un poil mélancolique et assez terre à terre. Et effectivement ça s’illumine en avançant dans l’album. Je dirais plus que c’est la magie du hasard… Ce tracklisting a été envisagé comme deux faces d’un vinyle. On voulait un album pas trop long. Deux faces de cinq morceaux. Je pense qu’inconsciemment on a voulu marqué la différence avec Cyann & Ben, être plus directs. Je ne pense pas que ce soient les textes qui aient déterminé le track-listing mais plutôt le souci d’obtenir un ensemble cohérent musicalement. Comme le dit Ben, on a pensé l’album comme si c’était un 33 tours. Deux faces pour deux aspects d’un groupe. On connaît tous ces vieux albums de légende pour lesquels on est capable, quand on l’écoute en CD, de savoir quand est-ce qu’il fallait changer de face à l’époque. On a ressenti ça en se ré-écoutant Exile on Main Street des Stones il y a quelques jours dans le camion.

Que pensez-vous de la formule du trio pour un groupe de rock ?

Charlie : C’est un équilibre assez agréable. Ca laisse beaucoup d’espace à chacun, l’interaction est plus directe. En fait ça me plait beaucoup, je ne sais pas si j’irais jusqu’à dire que c’est la formule idéale, c’est peut-être un peu cliché, mais pour pas mal de raisons elle nous convient très bien. On a hésité à intégrer un 4e musicien quand Cyann est partie, mais finalement on joue ensemble depuis trop longtemps, faire rentrer quelqu’un dans le groupe quand on joue ensemble depuis plus de sept ans et que le disque est déjà quasiment composé ça ne nous semblait pas envisageable. Du coup on galère parfois un peu pour réussir à jouer à trois tout ce qu’on a envie d’entendre, mais sur la plupart des morceaux on a trouvé des astuces, des bricolages, des bidouilles pour retranscrire l’album en live…

Ben : La formule trio, c’est génial. Même si dans notre cas, quelque fois, ça relève de la performance technique pour jouer autant de choses à la fois sur scène. On est donc passé de quatre à trois et la question s’est posée d’intégrer un nouveau membre suite au départ de Cyann. Mais je pense qu’on a voulu conserver bien chaleureusement notre petit univers musical. Se le garder bien précieusement. Le trio répond à des échanges particuliers et plus direct. Avec juste un membre de plus tout change radicalement. A trois, on se repose moins sur les autres, tout le monde doit tenir la chanson, de manière plus tenace. C’est plus fragile et très excitant, stimulant. J’adore.

Vous vous êtes orientés vers des chansons aux formats plus pop. C’était une envie de longue date ?

Je pense que c’était une envie forte au moment où on l’a fait, sans doute en réaction à Cyann & Ben, et l’impression qu’on avait de sombrer dans une routine « prog » ou « post-rock » qui n’était plus forcément le reflet de nos influences, en tous cas pas le reflet de nos attentes musicales… Finalement je pense qu’avec du recul on se remet à apprécier certains aspect de ce qu’on faisait avant et qu’on a un peu renié à l’époque, Yeti Lane est né en réaction à la fin de Cyann & Ben, on en a profité pour faire ce qu’on ne se serait pas vraiment permis de faire si le groupe avait continué. Donc exit les longs passages instrumentaux, les ambiances éthérées et les morceaux de huit minutes… Mais qui sait ce que la suite nous réserve…

Loac : On en revient à la première question. Il était urgent pour nous de ne pas continuer dans des voies toutes tracées. On voulait être là où on ne nous attendait pas. Le changement, en réalité, n’est pas si radical que ça. Je pense que beaucoup d’éléments déjà présents chez Cyann et Ben sont encore là. Je me suis juste interdit les grosses basses et les immenses nappes de synthés. Du coup, c’est plutôt l’aspect rythmique qui a resurgi, d’autant plus que les morceaux qui arrivaient étaient plus up tempo et « légers ». Je pense que c’est peut être aussi l’âge qui joue son rôle, qu’on ne sentait plus trop le besoin de ne flirter qu’avec la mélancolie, on avait aussi envie d’entendre autre chose… Se donner l’occasion de chanter « youpi, tout va bien, je me sens bien aujourd’hui » !! Ca n’est pas toujours comme ça mais même sur les textes les plus sombres (ou introverties), la musique apporte finalement un éclairage plus gai, une ouverture.

Quelles ont été vos influences pour cet album, s’il y en a eu ?

Charlie : On a toujours eu des influences très larges, et on a finalement assez peu de disques en commun… Je ne sais pas si on peut vraiment parler d’influences de « groupe », on ne s’est à aucun moment dit « faisons un projet à la XXX » par exemple. En général quand un titre arrive, à l’état de mélodie de voix accompagnée à la guitare, on essaie de se l’approprier chacun à sa façon, en intégrant ses influences personnelles. En ce qui me concerne si il faut citer des noms, mes groupes cultes au moment de la production de cet album étaient Deerhoof, Akron / family, The Fiery Furnaces, Animal Collective, pas mal de Krautrock et de musique africaine… Je ne pense pas que ça s’entende particulièrement, ce sont peut-être juste des composantes de ce qu’on a produit…

Ben : Ca c’est toujours une question très difficile pour moi. Mais on est trois et elles sont donc multiples. Et très variées. Difficiles de parler d’artistes en particulier. Elles vont des 60’s à aujourd’hui, sauf qu’avant on y enlevait les années 80. A présent je crois que l’on s’y intéresse d’un peu plus près. Mais on a toujours aimé les musiques « tripées » : le Krautrock, le Psyché anglais et américain, les belles chansons pop comme les longues expériences musicales de 20 mn… Bon je tente d’en citer : Can, Kinks, Deerhoof, Beatles, Julee Cruise, Animal Collectice, Konono 1, Clap Your Hands Say Yeah, Neu!, Kraftwerk, Deerhunter, Pavement, The Shadows… et bien d’autres…

Loac : Les enfants, les tortues, l’hébétude devant le fonctionnement de la société moderne, les amis, la peur, les rêves et plein de groupes !

Propos recueillis par

Lire notre chronique de Yeti Lane.

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