Cela faisait presque cinq ans qu’on était sans nouvelles du projet principal de Markus Acher (Lali Puna, MS John Soda, 13 & God…). Avec ses atmosphères grises et sa mélancolie insistance, The Devil, you + me figure pourtant un come-back en demie teinte après le succès flamboyant de Neon golden, comme contaminé du doute de l’époque. Eclaircissements avec l’intéressé.

Chronic’art : Il y a quelque chose de tempéré, d’apaisé dans ce nouvel album, comme si vous aviez dépassé l’envie d’en découdre, d’impressionner et de séduire pour vous concentrer sur vos formes et vos mélodies… Quelque chose a-t-il changé depuis Neon golden ?

Markus Acher : Pas vraiment, nous avions envie d’exprimer quelque chose de précis, musicalement et au-delà, dans lequel, j’espère, quelqu’un se retrouvera. Nous n’avions pas de projet esthétique précis en tête quand nous avons commencé à travailler sur le disque, à peine quelques idées. Nous avons beaucoup écouté de trucs psychédéliques des 60s en enregistrant, et c’est quelque chose que nous avons toujours eu derrière la tête. C’est ce qui a servi de carrefour pour les différentes sonorités qui font le disque : l’idée d’un chanteur songwriter qui chante au premier plan d’arrangements en couches très complexes, comme les disques de Syd Barrett, ou le premier Neil Young. Nous voulions également à tout prix éviter de faire un disque en forme de déclaration d’intention, du genre, « voici notre album dubstep », « le disque du retour aux guitares », « notre opus expérimental »… Tous ces éléments sont bien présents dans le disque, mais ils devaient absolument former un tout sonore, qui est le notre. La raison principale du silence prolongé du groupe, c’est tous les projets parallèles auxquels nous avons participé : pendant quatre ans, nous n’avons cessé de faire des disques et de tourner avec nos autres groupes, Lali Puna, MS John Soda, Tied + Tickled Trio Console. Nous avons également enregistré des musiques de film (notamment pour Kanalschwimmer, documentaire de Jörg Adolf, édité en CD sur leur propre label Alien Transistor, ndlr). Et nous avons passé près de deux ans sur ce nouveau disque, même si ce n’était pas à plein temps. On a connu des breaks plus longs par le passé.

Le processus créatif s’est donc étalé sur une longue période…

Pendant ces deux ans, nous avons développé notre musique de nombreuses manières : à travers les idées, la composition instrumentale à proprement parler, la combinaison de fragments. Et nous n’avons cessé de nous les échanger. Nous avons beaucoup enregistré. Neon golden n’a rien changé à notre amour des idées : nous enregistrons dès que nous en avons une à l’esprit, pour enrichir les arrangements. C’est ce qui prend le plus du temps. Cette fois, nous avons passé énormément de temps à modifier et altérer toutes sortes d’instruments… notamment des instruments acoustiques, le clavecin, le glockenspiel… ainsi que l’Andromeda Mega Express-Orchestra, un orchestre de vingt personnes basé à Berlin.

The Devil, you + me est également votre disque le plus doux, le plus contenu, le plus prudent en quelque sorte. On y décèle comme une réaction au boucan un peu systématique de bon nombre de groupes actuels ?

Ce n’était pas une décision volontaire, nous nous sommes contenté d’arranger les chansons comme nous voulions les entendre. Mais nous écoutions certainement beaucoup trop de disques calmes, à forte obédience folk, à ce moment-là… C’est sûrement une réaction au côté braillard de beaucoup de jeunes groupes actuels, aussi, oui. Mais je pense également que c’est lié à notre manière de travailler dans le temps. En ce qui me concerne, je peux dire que j’adore Mount Eerie, Grizzly Bear, Ben Frost, Animal Collective, Efterklang, Shackleton, mais aussi beaucoup de musique du passé, Blind Willie Johnson, les Stanley Brothers qui sont une énorme influence. Et j’écoute toujours Gillian Welch, parce que c’est la meilleure, tout simplement.

Une caractéristique de la musique de The Notwist est sa précision redoutable, son sens du détail. Comment arrivez vous à concevoir des objets aussi cohérents en collectif ?

Des fois, nous partons d’un schéma électronique dans le séquenceur, comme Where in this world. D’autres fois, tout est composé sur une guitare acoustique. Tout survient toutefois en studio : tout peut muter, tout peut se trouver bousculé. Des fois, on jette toutes les idées d’arrangement électronique, d’autre fois, on efface la piste de guitare. Dans le cas de nos deux derniers albums, nous avons beaucoup accumulé de sons pour chaque morceau, pour ensuite les réduire à nouveau, et ne garder que ce qui faisait sens à la fin. De cette manière, nous arrivons à préserver autant la simplicité naturelle d’une chanson que sa complexité inhérente, en quelque sorte… On essaye, on garde, on jette. Cette fois, nous avons enregistré dans une grande pièce, qui est à la fois notre studio et notre local de répétition, et où tous nos instruments sont à portée de main. Ainsi, tout le monde est impliqué en permanence. Nous avons beaucoup joué ensemble, et nous avons vraiment composé en collectif.

C’est également votre disque le plus mélancolique. Il est même assez sombre à plusieurs égards.

C’est vrai. C’est un disque qui parle de la mort, de la maladie, des catastrophes intimes. J’ose espérer qu’on y trouve aussi de quoi réagir positivement à tout ça. Nous sommes tous très chanceux : nous avons des familles, nous jouons de la musique, nous avons l’opportunité d’évoquer les choses difficiles, et c’est une grande force.

Les paroles des chansons de The Notwist impliquent souvent un dialoque entre un « je » et un « tu ». As-tu déjà pensé à ce systématisme de ton songwriting ?

Ce narrateur n’est pas toujours moi. Mais il parle toujours de mes expériences. Qu’il évoque une image, une histoire, un rêve ou des pensées obsessionnelles, il évoque toujours un thème précis. J’aime soulever un problème en l’abordant de plusieurs angles à la fois, comme un miroir cassé. J’aime les contradictions, plutôt que les slogans, car c’est beaucoup plus révélateur. J’aime « traduire ». J’aime les fautes, les échecs. Comme Leonard Cohen dit : « there’s a crack in everything. That’s where the light gets in » (« on trouve des fissures dans toutes les choses. C’est par là que s’insinue la lumière »). La chanson The Devil, you + me qui donne son titre à l’album raconte l’histoire d’un couple qui vit dans une petite ville. Le titre fait croire qu’il y a trois protagonistes, et à une vraie petite histoire. Mais le diable de l’histoire, c’est avant tout les choses étranges qui nous entourent.

Propos recueillis par

Lire notre chronique de The Devil, you + me.
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