A l’origine de Bach Coltrane, la rencontre du saxophoniste Raphaël Imbert (Suite élégiaque, Pieces for Christmas peace) et de l’organiste André Rossi, spécialiste de la musique baroque (qu’il enseigne au CNR de Marseille). Un constat : si éloignés qu’apparaissent leurs univers (le jazz pour le premier, la musique baroque pour le second), ils ont en commun deux traits au moins – la place majeure de l’improvisation et, s’agissant spécifiquement de la musique de Coltrane, celle de la spiritualité. De là l’idée d’un album qui ferait se croiser Coltrane et Bach pour mettre en évidence des proximités cachées, avec la liturgie luthérienne pour fil directeur. On voit l’ambition conceptuelle de l’entreprise, la profondeur de la réflexion musicale (musicologique) qui la sous-tend, et l’on imagine aussi les moyens qu’elle a nécessités (pour concrétiser son projet, Raphaël Imbert a fait appel au saxophoniste Michel Péres, au percussionniste Jean-Luc Difraya, à l’organiste André Rossi, au quatuor Manfred et au chanteur Gérard Lesne). On devine, aussi, les dangers auxquels elle s’expose : à vouloir croiser deux mondes si éloignés, le risque est de laisser l’un engloutir l’autre (ramené au rang de prétexte ou de gadget) ou de laisser s’échapper les deux en perdant ce qui fait l’identité de chacun. Et l’on retrouve les questions qu’avaient déjà posées en leur temps des projets similaires par leur esprit (qu’on se rappelle les controverses ou la perplexité suscitées par les albums de Jan Garbarek avec le Hilliard Ensemble), questions qui surgissent immanquablement face à ce genre de projet… Toutes les attitudes se rencontrent : les uns pourront choisir de prendre la chose pour ce qu’elle est de mettre provisoirement leurs critères entre parenthèses pour la goûter dans son originalité, les autres préféreront prendre ses intentions au pied de la lettre et exiger au contraire que leurs critères soient satisfaits… Quoi qu’il en soit, il faut bien admettre à l’écoute que Bach Coltrane désarçonne un peu (on se demande où l’on est, dans quel registre) et que, dans l’ensemble, l’album penche tout de même beaucoup plus vers le pan « classique » de l’affaire que vers son pan « jazz », vers Bach que vers Coltrane (de swing, point). Coltrane semble loin, le blues aussi, la « rencontre » avec Bach une idée plus qu’une réalisation ; le tout est réfléchi, maîtrisé, trop planifié peut-être. Cela étant dit, Bach Coltrane demeure un très bel album qui mérite d’être écouté pour lui-même, sans réserves relatives au projet qui est à son origine. On songe beaucoup aux travaux pour cordes de John Surman (Coruscating) lorsqu’Imbert virevolte au soprano en compagnie du quatuor Manfred, et l’on est saisi lorsqu’entre en piste l’orgue d’André Rossi. Les beaux moments sont nombreux dans cet album très riche, pas complètement abouti sans doute mais réellement passionnant, où l’on découvre de nouvelles dimensions à chaque écoute. A découvrir, sans préjugés.