Alors que les pages défilent et se ressemblent, quelques francs-tireurs de l’internet persistent et signent, animations Flash à l’appui. La technologie se démocratisant, les majors du web s’approprient les nouvelles formes graphiques. Historique et plans d’avenir d’un apogée annoncé.

Début des années 90. Sous la lueur pâle d’un halogène, notre modem fait buffering sur buffering dans un territoire mystérieux jonché de déconnexions et autres lenteurs insoupçonnables. La magie, pourtant, est là. Premier pas dans des virtualités d’une logique de réseau en développement, la découverte d’internet et de ses ramifications à l’infini a causé chez les premiers internautes un profond schisme dans les mécanismes de la pensée. Au hasard des liens souvent brisés et des moteurs de recherche approximatifs, la découverte de pages maladroites, privilégiant l’informatif à la recherche graphique. Progressivement apparaissent devant les yeux explosés du net-addict en gestation quelques sites mieux designés, quelques îlots fascinants où se font et défont les tendances globales d’une exploration plus pointue et novatrice.

Depuis, l’époque est à l’uniformisation. La plupart des sites commerciaux, du plus gros portail (Yahoo, Amazon, Lycos, etc.) à la start-up la plus éphémère et la plus inutile (do you kelkoo ?), cèdent à une politique de clonage improductive. Et que vive le websucker ! Couleurs répétées à l’identique, concepts de navigation intégralement recopiés, ergonomie spartiate et supra-fonctionnelle imposent passivement une charte invisible où chaque site appose son logo pour espérer trouver un semblant d’identité.

Pour échapper à cette grégarité ambiante, la création web se fait en marge de ce système imposant du design commercial. Et à nouvelles aspirations, nouvelles technologies. Exit le html, ses tags encombrants et sa relative improductivité graphique ; le dernier outil du chaos importé du Wired est le Flash et tous ses dérivés. Créé par Macromedia pour contrer ses concurrents de toujours -Adobe et ses produits phares Photoshop et Illustrator-, le langage flash est un dérivé direct du fameux logiciel multimédia orienté objet Director, le tout servi par des procédés vectoriels et en version light, internet à bas débit oblige. La suite, tout le monde la devine : les hauts débits câble puis ADSL aidant, la généralisation d’un Flash d’une grande qualité commence à s’imposer. La disparition des sauts de connexion et l’apparition de flux continus donnent aux streaming audio et vidéo une base d’envol inespérée. Cette nouvelle technologie va bien au-delà du streaming tel que le pratique Real et ses déclinaisons.
C’est via le portail du concepteur de ce nouveau médium culturel que tout va réellement commencer. En imposant progressivement le téléchargement de plug-in Flash, le site Shockwave.com habitue l’internaute old school à intégrer dans sa vision du réseau une nouvelle dimension, au-delà de l’informatif. Les sites commerciaux attendent le développement massif de cette technologie pour imposer ce nouveau langage ; pendant ce temps, le web alternatif, qui compte tout ce qu’il y a de plus marginal en graphisme déviant artistique, incorpore le nouveau venu à plein temps. La création graphique, au-delà du web-designing classique, se fera désormais avec ce nouvel outil. Paradoxalement, on retrouve dans la philosophie du Flash et de ses utilisateurs une certaine négation de l’esprit d’internet tel qu’il est développé actuellement. Drôle de retour en arrière que de proclamer à grands coups de films « décalés » et de conceptions avant-gardistes que le web est mort, que le réseau et toute sa logique ne sont plus que des avatars d’une société de « marchandise marchande ». Et si, par hasard, ces francs-tireurs de la toile ne s’égaraient pas tant que ça ?

Les marges ont encore pour quelques années le contrôle de ce langage révolutionnaire. Les créateurs les plus connus qui se retrouvent dans ce nouvel outil léger et maniable sont à chercher du côté des auteurs de South Park ou de David Lynch, qui s’est vu commander une série de 13 épisodes d’animation, selon une charte précise. Progressivement, l’idée d’une création uniquement virtuelle semble ainsi s’imposer dans l’esprit des agitateurs. L’activité culturelle online se concentre pour se diriger vers un consortium invisible, une école artistique évanescente qui semble se renier elle-même.

Trois axes pour le Flash se dessinent alors clairement. Le premier, « proto-commercial » si l’on peut dire, se retrouve déjà dans la généralisation de jeux online sur la plupart des portails des gros holdings. L’objectif est simple : habituer doucement l’internaute, via le ludique, le futile à une banalisation du contenu, cachée sous des montagnes d’effets gratuits. Second volet : les sites commerciaux qui, conscients de leur retard, investissent à corps perdus, en incorporant des animations sommaires mais fonctionnelles au sein de leurs pages ; en quelque sorte, les précurseurs d’un matraquage encore plus pesant. Dernier camp : celui, créatif, où se mêlent volonté pop-art exacerbée, entre Gen X et art total version cyber, et techno-révolutionnaires radicaux. Pionniers, ces derniers amènent un contrepoids salvateur à la grande dérive commerciale en devenir. Au sein de ces processus évolutionnistes, l’avant-garde graphique sera toujours en avance de quelques années sur le mercantilisme conservateur des mastodontes du web et autres dérivés start-upiens. What’s next ?