Le rappeur-producteur connecté du moment se nomme Roi Heenok. Avec un buzz démarré en trombe en 2003 sur Internet, le Roi québécois renouvelle profondément les formes d’investigation de la langue française, via son « rap mongol » et ses armes de propagande verbalement désaxées. « T’entends, jeune pédé ? ».

Entre charisme et faux-semblants, vaudou haïtien et drogues dures, lexicologie cinglée et bijoux qui feraient rétrécir l’ego de plus d’un pape, le rappeur canadien d’origine haïtienne Roi Heenok pousse très fort vers le futur. Avec pour leitmotiv des théories capitalistes affirmées (« Mon but est l’oseille ») se frottant paradoxalement à la cause Palestinienne, ce Roi affirme admirer Ben Laden et descend régulièrement l’entreprise Enron ou la famille Bush. Se prétendant trafiquant de drogue ou injuriant les auteurs rappeurs francophones (via le morceau J’garde le Kalashnikov, qui lui valut notamment un clash avec Booba), le Roi Heenok est moins connu pour son rap (qui se caractérise par un débit extrêmement lent) que pour ses saillies verbales qui émaillent nombre de vidéos sur Internet. Roi Heenok se distingue dans ses interviews par l’emploi d’un langage déroutant et d’une syntaxe alambiquée, émaillée d’expressions récurrentes (« T’entends, jeune pédé ? »), souvent surprenantes (« Mon médaillon touche à mon pénis », « Tous mes négros, j’dis bien tous mes négros sont allumés bordéliquement », « Mon T-Shirt du Pakistan, han ? De la merde Israélite, jeune pédé »), voire confuses (« Ah non, ah non ah non mais qu’est ce qui s’putain d’passe avec cette pute nègre ? »). Souvent surnommé « le Jean-Claude Vandamme du rap », Heenok a des monceaux de proverbes et d’expressions hors du commun et, comme JCVD, il s’est fortement inscrit dans l’inconscient collectif du peuple du Net, dans cette matrice ultime où les projecteurs cherchent le buzz éternel. Les mots et la démarche lestes de Heenok s’illustrent via son site officiel et ses vidéos tournent depuis belle lurette sur Dailymotion et autres Youtube, dans un rapport amour-haine parfaitement équilibré avec son public : « Que tu aimes ou pas, ton intérêt augmente mes ventes ». Heenok, c’est comme Sarko, c’est du 50/50.

Franco Folie

Sorte de descendant de Toussaint de Louverture, cet héritier réfléchi provient d’une lignée et d’un mouvement noir dont il n’a peut être pas encore réussi à canaliser les limites et les frontières. En terme de production et de CV, de crédibilité de rue ou de bijoux diamantés, Heenok Beauséjour n’a rien à prouver. Formé du côté de Queensbridge (New York), à l’instar de Dj Whoo Kid ou des rappeurs 50 Cents, Kool G Rap ou Imam Thug, il a quitté les Etats-Unis au début de ce siècle pour retourner au Québec, après avoir vu son poulain et ami Shawn « Bam Gotti » Chestnut se faire shooter pour de sombres salades de drogues urbaines et d’argent sale. South Jamaica Queens est un des quartiers les plus violents de Queensbridge, voire de la planète rap, et regorge d’une tripotée de rappeurs de renom, tous venant de la rue et des égouts, à l’instar des stars Nas, Run Dmc ou Mc Shan, mais aussi des vertigineux Infamous Mobb (formation avec laquelle Heenok travaille actuellement, notamment le rappeur God Father Part III), ou Onyx, Cormega, Killa Sha, Ali Vegas, ACD, Littles, Capone… Ces rappeurs-producteurs certifiés or et platine ont des liens de rue et de sang : ils sont pratiquement tous connectés par leurs racines haïtiennes. On a un aperçu brut de décoffrage du dommage collatéral qui s’est inscrit dans son cervelet à la découverte de l’univers du Roi Heenok. Car il a choisi la francophonie, Paris et ses lumières, Québec-City et son quartier Rive Sud pour balancer un nouveau lexique dans la mare des rappeurs. Lorsqu’il déploie ses expressions décalées et délurées – mais totalement en adéquation avec son état d’imagination créative -, son esprit de faux-monnayeur du vers ne se fait jamais (r)attraper. Lorsque son verbe s’affole, Heenok excelle comme personne.

Sémantiquement incorrect

Tout a été dit. Seul le changement et / ou l’aménagement du sens des mots apporte des rajouts de vie lexicale dans nos dictionnaires : la déviation des sens, l’annulation de certains hyponymes, la poussée d’autres… Parmi d’autres, Godard, le plus suisse des Français, et son Alphaville illustraient déjà cet adage il y a plusieurs décennies. Car la langue française reçoit un apport annuel de néologismes venants de la rue (kiffer, rebeu), de la toile (iPod, podcast), du rap très souvent, et bien entendu du langage parlé. Mais loin de tout ce bordel écartelé par l’Académie Française, les québécois luttent pour la francophonie épurée, Roi Heenok en premier lieu, aidé par son CV bourré d’artifices et de cicatrices, et son décalage horaire terminologique surréaliste. Ce mutant noir et grand artisan de l’hyperonyme a explosé les normes de la langue rapologique de l’Hexagone, en bien et / ou en mal, notamment via sa sémantique atypique et sa francofolie qui fait se croiser des néologismes à foison (le « bling-bling » devient « brille-brille », les « guns » des « grille-pains », le « gangsta-rap », du « rap bandit »). Son « rap mongol » inonde les mondes virtuels, aidé par un charisme et un langage unique qui tisse avec malice des punchlines calibrées pour le Net (« Je sais que tu veux Heenok sur ton disque dur »), provoquant des avalanches de répliques surréalistes (« Ca va devenir vrai dans cette pièce pour quelques instants ! ») et des scènes vaudevillesques, comme si sa recette inédite se trouvait à mi-chemin entre les très belges JCVD, Dikkenek ou Striptease et les très noirs 50 Cents, Richard Pryor ou Jean-Jacques Dessalines. Impossible de rester insensible à la vue et à l’écoute de ses oeuvres déclassées, citations-recettes atypiques qui enchevêtrent gimmicks gangsta proche de Mobb Deep et histoire linguistique qui n’en finit plus de dérouler sa langue. Une langue au jour le jour, construite pour fabriquer un présent du futur en mouvement constant.

Tout est vrai

A coup de samples de musiques orientales et de rimes maladivement arrogantes, Heenok éclaire le show(business) sous un aspect incomparable. Beauséjour s’entoure d’une grande tribu, en permanence en train d’accueillir de nouveaux renforts. Pour exemples, son frère rappeur Kinimod retient ses armes lexicales au chaud, tandis que Ugoboss et Maze chargent leurs « grille-pains » et font reluire leur « brille-brille » ; Rap Iso pointe son Uzi en l’air, tandis que le Roi trône sur des tonnes d’hydroponique non coupée. Pas très loin, la jolie Lynn assure certains refrains, conduit la 4/4 royale sur des montagnes de cocaïne, aidant à passer des armes lourdes vers les frontières du réel. Tous posent des versets en provenance de Québec-City, de l’Arabie Saoudite, de la Palestine, de Paname ou encore de Queensbridge, la Marie-Jeanne étant toujours disposée bien en vue dans des pochons géants, en grande quantité, constituant sans nul doute la plus importante accompagnatrice de ce linguiste couronné. La fusion est ainsi enclenchée pour faire grossir les comptes en banques suisses et les chargeurs de 357 Magnum. Tout est vrai. Tout est violence du côté de ces lascars riches et (déjà) célèbres pour leurs actions collatérales et verbales. Les journaux « grand public » (Le Nouvel Observateur en tête) et les télés québecoises (la chaîne TQS) ont déjà longuement contribué au buzz du producteur royaliste, relayant une dépêche AFP (« Le rappeur montréalais, très connu sur Internet pour ses clips d’apologie du rap « gangsta », a été interpellé à son studio d’enregistrement. Des armes, des munitions et des stupéfiants ont été saisis ») qui certifie des accusations de détention d’armes et de stupéfiants à son encontre. Les services des renseignements canadiens auront tout de même attendu cinq ans avant de vérifier que les flingues brandis sur YouTube n’étaient pas en plastique et que la blanche à la louche n’était pas de la farine…

Musique Capitaliste

Aujourd’hui, ce Roi dérangeant, qui oeuvre pourtant plus pour le divertissement que pour la vente de poudre, commence à peine à sortir ses griffes. Il est effectivement en train de concocter un plan mass-media d’ampleur et met à l’épreuve l’auditeur, continuant à travailler ses nouvelles œuvres pétées du crâne (l’album Musique capitaliste à venir), ses morceaux, ses clips, sa ligne de vêtement (« Ghetto Elegance ») et autres « reportages-images ». Avec un tel phrasé, ce dictateur de la parole assumée impose un diktat bousillé à la France des Chiffres et des lettres, déployant un sens inné de la communication à l’américaine, appuyé chaque jour par l’excès d’une tripotée de fanatiques qui ne jurent que par ses expressions et son attitude de star du rap installée. Le grand Hee est souvent arc-bouté sur ses machines et ses studios, ses caisses de luxe et sa couronne en or. Sans compter sa cour type « Roi Soleil » qui s’intéresse de près à ses mathématiques islamiques, ses spéculations métaphysiques sur « Dieu, l’homme et l’univers, ceux qui prennent racine dans les traditions ésotériques juives », mais aussi « aux gens qui souffrent, à la cause palestinienne, aux gens qui ne partent de rien et arrivent à tout… ». Avec un tel ramassis de folie parfaitement maîtrisée, Heenok pourrait devenir le premier gourou d’une secte qui irait au-delà du rapologisme de base. Que chacun prenne garde : ce 357 humain vient cracher dans nos dictionnaires Larousse, naviguant à l’infini et en continu dans nos espaces virtuels préférés.

Roi Heenok – Cocaino rap music CD / DVD (G&G / Nocturne)
Roi Heenok – Propagande américaine (G&G / 2Good)

Voir le site officiel de Roi Heenok