Cet homme orchestre, consacré à plusieurs reprises Meilleur comédien, qui a su s’insinuer dans la correspondance de François Truffaut « en se vidant de lui-même pour mieux faire place à l’autre », s’investit depuis trois ans dans Les Rencontres de théâtre en Haute-Corse. Il répète en ce moment Le Grand Retour de Boris S. de Serge Kribus, qu’il interprétera dès le 5 septembre en compagnie de Michel Aumont au Théâtre de L’Œuvre.

: Face au succès remporté par les Rencontres de théâtre en Haute-Corse, vous renouvelez pour la troisième année une initiative théâtrale qui consiste à faire se rencontrer professionnels et amateurs autour de textes élaborés sur place par des auteurs et des interprètes venus de tous horizons culturels.

Robin Renucci : Les ambitions de l’Association ARIA vont bien au-delà de l’expression théâtrale pure. Elles sont nées d’une réflexion politique qui privilégie la création d’espaces ouverts, destinés à accueillir des gens de tous horizons professionnels et géographiques, prêts à échanger leur héritage culturel. Conçues dans un esprit de décloisonnement, elles visent effectivement à mêler amateurs et professionnels autour de textes extraits du Répertoire (Molière, Claudel…) ou emblématiques de notre patrimoine. Seize nationalités sont représentées.

Vous y impliquez la population locale ?

En allant vers les gens et en renouant avec l’esprit de tréteaux, comme le faisaient Jean Dasté et Charles Dullin, je développe un esprit de compagnonnage, à mon sens indispensable à tout travail d’implantation. Il s’agit de former le spectateur à ce lieu de citoyenneté propice aux échanges qu’est le théâtre, et de cultiver l’art de la représentation. Partager la culture comme on partagerait le pain…

Politique et artistique à la fois, cette démarche nous replonge dans les origines du théâtre ?

A-t-on rien inventé de mieux depuis les Grecs ? La vocation première du théâtre n’est-elle pas la formation du public devenu ainsi plus critique, plus responsable, plus conscient ? Dans la cité romaine, il existait un lieu destiné aux soins du corps -les thermes- et un lieu où l’on venait exprimer ses passions et regarder ensemble des tragédies, dont on se relevait à la fin après en avoir compris les objectifs et les particularités. Cette fonction primaire éminemment libératrice qui s’exprime sous forme de pulsion me semble être un des éléments d’expression de la citoyenneté.

Ce n’est pas un hasard si ces Rencontres se déroulent en Corse, dans le Guissani, le pays de votre enfance ?

Ma démarche est effectivement quelque peu patriotique, le berceau familial de ma mère étant à Olmi Capella. La langue corse suscite depuis toujours beaucoup de réflexion dans le cadre de la République. Terre d’accueil et de brassage, la Corse possède une structure qui permet de transformer certains villages en foyers d’accueil, de rencontres. En l’occurrence, les quatre villages dans lesquels se déroulent simultanément les Rencontres sont touchés par la désertification et la non-diffusion culturelle.

Quelle place accordez-vous au langage dans ce cadre également propice au théâtre de rue, la plupart des spectacles se déroulant à l’extérieur ?

Une place prioritaire. Il me semble que seuls le travail et la langue s’échangent. La richesse de l’identité corse mérite d’être juxtaposée à d’autres identités pour lui permettre d’émerger, de ne pas évoluer en autarcie, situation qui menace l’insularité.

Quelle est la spécificité de ces Rencontres ?

Je veux encourager les poètes, les auteurs, les minorités culturelles, pour leur permettre de prendre leur place. Le désir de transmission et le compagnonnage dictent cette aventure. Nous réfléchissons aussi sur l’intégration en recrutant dans nos résidences d’écriture des gens ne possédant pas encore le savoir-écrire mais le savoir-être. Nous leur faisons côtoyer des écrivains pour qu’ils réalisent ensemble un livre, un scénario, une pièce de théâtre. En créant sur place vingt-huit spectacles et en permettant au public d’assister aux différentes étapes de cette création, nous favorisons des échanges permanents et pensons ainsi former des acteurs et des spectateurs responsables.

Quels ont été les temps forts de ces Rencontres qui ont eu lieu du 5 au 11 août dernier ?

Nous avons à cœur de proposer des œuvres qui ont traversé le siècle. Ainsi, Le Soulier de satin, que j’ai joué dans sa première version dans la mise en scène d’Antoine Vitez, est devenu un outil de transmission. Nous l’avons recréé pour les années suivantes avec les participants de ces 3e Rencontres. Pour illustrer le mélange des genres, nous avons proposéen langue corse La Noce chez les petits-bourgeois de Brecht, qui nous a paru intéressante pour évoquer la déstructuration dont est victime notre société. Mais la palette est large et réunit tout à la fois des ballets thaïlandais, du théâtre japonais, des thèmes patrimoniaux, des chants, des spectacles de marionnettes…

Parlons de vos projets…

On songe à la création d’un espace scénique, voire à la formation d’acteurs en Corse, dans un petit village. On réfléchit à l’accueil de stages à l’année, de façon à faciliter le rayonnement de notre pays qui dispose d’un contexte très fort mais d’une politique théâtrale déficiente. J’aimerais aujourd’hui transmettre ce qui m’a été donné.

Quel regard portez-vous sur le théâtre parisien ?

J’y contribue depuis l’âge de 20 ans à raison d’une pièce tous les deux ans. J’ai joué dans le théâtre privé tout comme dans le théâtre subventionné. Il est vrai que je déplore l’aspect de nécessité commerciale qui consiste à ne retenir que des têtes d’affiche connues du public. Personnellement, j’ai toujours rejeté le vedettariat, qui ne fait pas partie de mes préoccupations, au profit d’une notoriété de comédien que j’acquiers progressivement. Je crois davantage à l’acteur invisible, qui laisse place aux poètes et aux auteurs, plutôt qu’au produit marchand d’une distribution. L’acteur invisible est un vecteur extraordinaire s’il essaie de se dépouiller y compris de lui-même.

Sur quels critères repose votre programmation ?

Sur le désir essentiellement. Le comédien a pour mission de ramener l’autre à l’instant des sens. Il me semble fondamental de savoir se replacer dans le mot écrit par un auteur, dans l’instantané de la création grâce à un travail qui amène à l’oubli, au lâcher prise, et fait place au poète.

Propos recueillis par

Robin Renucci en quelques titres :
On l’a vu au théâtre dans Le Soulier de satin (prix Gérard Philipe pour son interprétation de Don Camille), Hamlet, L’Officier de garde, Conversations en Sicile, Golden Joe, François Truffaut correspondance
Au cinéma, dans Dames galantes, Faux et usage de faux, Je pense à vous, L’Ecrivain public, Poisson lune, L’Ordre du jour, La Poudre aux yeux, La Cicatrice
Il a lui-même réalisé La Femme d’un seul homme, La Marelle (pour Enfance et Partage), et mis en scène L’Ecole des femmes.