Entretien très « Recording Magazine » avec Christian Mazzalai et Deck D’Arcy de Phoenix, à propos de leur troisième album It’s never been like that. Ou quand Phoenix fait son « retour du rock ».

Chronic’art : C’est vous-mêmes qui avez enregistré ce troisième album ?

Phoenix : Oui, c’est nous, mais toujours avec l’aide de Julien Delfaud, qui nous suit depuis le premier album. Il était assistant de Philippe Zdar, et nous a également aidé sur celui-ci, comme ingénieur du son, producteur… Il est actuellement en train de mixer le nouvel album d’Herman Düne. C’est un ami. Donc, on est partis tous les cinq en Allemagne et on a enregistré là-bas.

Le son est assez proche de celui des albums précédents (United notamment), avec ces compressions de batterie très belles qui vous rendent tout de suite identifiables, qui font partie de votre identité musicale…

La batterie a toujours été pour nous l’élément central de notre style. On pense qu’on peut juger un disque sur le son de sa caisse claire, du point de vue stylistique. C’est hyper important pour nous. On a choisi le studio à Berlin en fonction de ça. On a trouvé un vieux bâtiment, une ancienne radio d’Allemagne de l’Est, avec des pièces spécialement conçues pour créer des bruitages sonores à destination de pièces de théâtre radiophoniques, des salles faites avec amour par les Allemands, dans les années 50. Des lieux conçus non pas pour enregistrer de la musique, mais vraiment pour recréer des ambiances, avec des escaliers en bois, en fer ou en moquette, qui ne menaient nulle part, mais qui servaient juste à créer des sons… c’était assez surréaliste. Il y avait une pièce aussi censée représentée le « plein-air », c’est-à-dire, rien. Et nous on adore ça : le son mat, mort, le vide. C’était une pièce énorme, avec des graviers, du sable au sol. Rien qu’en marchant dans cette pièce, on savait qu’on avait trouvé notre son. Donc, on a enregistré tout l’album live dans ce studio, où personne n’avait jamais enregistré de groupe de rock avant.

Le studio est important, mais le matériel aussi, non ? Comment obtenez-vous ce son de batterie compressé ?

Déjà, le talent du batteur y est pour beaucoup. C’est Thomas Hedlund qui joue avec nous désormais, qui est très, très fort. Et puis la compression, bien sûr, c’est super important. On a toujours fait plus ou moins nous-même la pré-production et toujours attaché beaucoup d’importance aux préparatifs de l’enregistrement. On a appris la compression des rythmiques avec la house et le hip-hop. On est dans cette école là, plutôt que le rock. Ou alors, l’école Beatles : les batteries des Beatles sont très belles, extrêmement compressées, plus que les gens ne le pensent. Mais on a commencé en 1996, en même temps que la house, quand tout le monde faisait du home-studio avec des compresseurs pourris. Et on a toujours beaucoup travaillé cet aspect de notre musique. Là, on a utilisé des compresseurs Telefunken, des vieux compresseurs de radio qui se trouvaient là et qui étaient très efficaces. On compresse un peu à la prise et un peu au mixage.

Du coup, ça vous fait un son un peu intemporel, à la fois 70’s et très moderne…

Oui, beaucoup de groupes des 70’s avaient de très beaux sons de caisses claires. Mais encore aujourd’hui, il y a des gars qui font de super sons de batterie. Mis à part le hip-hop, on aime bien les productions de Tony Visconti, les disques de T-Rex, ou certains trucs de Gil Scott Heron… Melody Nelson est aussi une grosse influence en terme de production…

Et vous êtes un peu nerds par rapport à ça, la production… ?

On l’a beaucoup été pour Alphabetical. On a passé deux ans dans notre studio, et un an sur un seul morceau. Maintenant qu’on a réalisé notre fantasme de son, pour ce nouvel album, on s’est moins focalisé là-dessus. On a cherché le cadre sonique d’abord : la pièce à Berlin, une chaîne de pré-amplis et quatre types de guitares, des Fender un peu cheap des années 80. Et puis après, on ne s’est plus du tout soucié de la partie technique, et on s’est focalisé sur les morceaux, le songwriting, pour aller à l’essentiel, être direct, plus brutal. On est arrivés en studio sans aucun morceau, et on a tout composé sur place, en trois mois. C’était complètement à l’opposé de la démarche du deuxième album. L’idée, c’était de se faire peur, pour dégager un truc nouveau.

Après un deuxième album plutôt r&b, très sophistiqué, vous avez fait votre « retour du rock », finalement ?

Oui, suite à la tournée, on s’est rendu compte que l’interprétation, quels que soient les morceaux, était toujours rock. Après nos deux derniers concerts, on a décidé soudainement de rester à Berlin et d’enregistrer très vite le nouvel album. C’était un peu improvisé comme ça. On voulait retrouver ces sensations, plus brutes, qu’on avait ressentis sur scène. Et le studio nous permettait ça. D’habitude, les studios sont très confortables, il y a des canapés moelleux partout, des mini-bars et des disques d’or accrochés aux murs. On voulait absolument éviter ça, ce professionnalisme de merde. On pensait d’abord louer une grande maison et enregistrer de manière un peu confinée, et puis on a apprécié le fait que Berlin soit loin de toutes nos habitudes, ce qui nous engageait à faire quelque chose de nouveau.
Vos morceaux sont rock, bruts, mais toujours assez complexes en termes de songwriting. Ca nous a beaucoup fait penser aux Strokes…

Oui, on s’est concentrés là-dessus exclusivement, sur l’écriture et la composition, beaucoup plus que sur les textures et les détails de production. A propos de ce nouvel album, on a entendu énormément de comparaisons. On les accepte toutes. Je trouve que les Strokes sont surtout de très bons songwriters, il y a toujours une mélancolie, une tristesse très profonde derrière des mélodies plutôt joyeuses. Je pense qu’on a ça en commun avec eux.

C’est vrai que les paroles de vos chansons sont assez mélancoliques. Ca parle beaucoup de séparations, de ruptures, de départs. On a un peu l’impression que c’est un disque de tournée.

Il n’a pas été écrit en tournée, mais il s’en est inspiré. La frustration et l’exaltation que peut procurer une tournée font partie des thèmes abordés. D’habitude, on se partage le songwriting, mais sur cet album, c’est Thomas (Mars) qui a écrit toutes les chansons, parce qu’on voulait obtenir une vérité un peu brute comme ça, subjective, donc ne faire parler que l’un d’entre nous. C’est presque entièrement autobiographique.

Dans Courtesy laughs, il chante « I hate that kind of wrong affection ». C’est une réflexion sur les rapports un peu superficiels qu’on peut avoir dans ce milieu, avec le public par exemple ?

Ca pourrait l’être, mais non. C’est personnel. Il parle d’une fille qu’il a connu…

Dans Consolation prizes, la phrase « If one is easy then hard is two » pourrait être interprétée comme la difficulté à faire un deuxième album ?

Non. Mais c’est vrai qu’on en a bavé, pour Alphabetical. On a tous été malades, on est tous allés chez le docteur, à cause de cet album. Mais on avait besoin d’en passer par là, de faire un album claustrophobique, pesant, surtravaillé. On a travaillé ça détail par détail, c’était complètement obsessionnel, un cercle vicieux. On n’a vu personne pendant deux ans. Ca nous a rendu malades mentalement.

Et après, cette longue tournée a du être libératoire, alors ?

Oui. Mais on avait déjà fait une longue tournée pour United. On a sorti un live, Thirty days ago, en sortie limitée, qui était un premier pas pour l’album. On était en Scandinavie et on sentait qu’il se passait quelque chose entre nous, sur scène, et on a voulu faire exactement le contraire d’Alphabetical, c’est-à-dire sortir un album live, très rapidement, trente jours exactement après son enregistrement. Ca nous a ouvert un peu les yeux, et ça nous a donné envie de procéder d’une manière radicalement différente pour l’album suivant.

Vous vous situez où sur la scène internationale ? Vous êtes un groupe français, mais vous semblez être plus connus à l’étranger…

C’est difficile… mais en fait on vend à peu près autant partout dans le monde. Peut-être un peu plus en Allemange, en Scandinavie ou en Angleterre, mais en fait, on a notre public un peu partout.

Avec l’utilisation d’un de vos morceaux dans Lost in translation de Sofia Coppola, vous avez acquis une crédibilité un peu arty et internationale. Ca fait quoi d’être plébiscité de cette manière ?

On ne recherche pas vraiment à être dans des films ou dans des pubs. Ce sont des plans qui viennent de manière très naturelle. Mais on a été fiers d’être dans ce film. Elle nous a dit qu’elle écoutait beaucoup Too young et nous a demandé si elle pouvait l’utiliser dans son prochain film. On a bien sûr accepté, parce qu’on aimait déjà beaucoup Virgin suicides. Mais on pensait que Lost in translation serait un petit film underground tourné en DV avec un petit budget, et en fait, ça a été un gros succès. Mais ce qui nous rend le plus fier, je crois que c’est d’être à côté de nos idoles sur la B.O. Kevin Shields par exemple.

Vous pensez que votre musique est adaptée aux images ?

Pas vraiment. On nous a beaucoup demandé notre musique pour illustrer des pubs, mais on en a accepté très peu. On ne trouve pas que notre musique soit vraiment adaptée. Même la présence de Too young, dans le film, me semble bizarre. De même que dans un film des frères Farrelly, où le même titre avait été utilisé, je ne trouvais pas que ça collait vraiment. Mais notre rêve serait de faire une B.O., de se mettre en groupe au service d’un réalisateur, sans pour autant ne faire que des instrumentaux…

Vous avez pourtant un très bel instrumental sur ce nouvel album. Qui fait un peu penser à la Ritournelle de Sébastien Tellier…

Oui, un peu. C’est un peu notre Ritournelle à nous, les mêmes accords qui tournent… D’ailleurs, c’est le morceau préféré de Sébastien Tellier. Comme pour pas mal de gens qui ont écouté l’album… Je pense que ce morceau serait tout à fait adapté pour un film. C’est un domaine où il y a plein de choses à faire, on a plein d’idées. On a notamment envie d’expérimenter des formats de chansons différents. C’est notre projet pour l’avenir…

Propos recueillis par

Lire notre chronique de It’s never been like that