En 450 entrées, le « Dictionnaire de la pornographie » propose un tour multidisciplinaire de la question. Présentation express par Philippe di Folco, qui l’a dirigé.

Chronic’art : Comment est venue l’idée de ce dictionnaire ?

Philippe de Folco : Ce dictionnaire est plus qu’une idée, une idée qui serait venue « comme ça ». L’industrie pornographique s’est considérablement développée depuis l’ »âge d’or » des années 1969-1976 : on parle aujourd’hui de plusieurs centaines de milliards de dollars en terme de chiffre d’affaire. Dans le langage courant, les gens utilisent aujourd’hui plus facilement des termes issus de cette industrie en même temps que leurs modes de consommation de ces produits manufacturés se sont transformés pour tendre à une banalisation. En 2000, il y a eu en France l’affaire du film Baise-moi : l’hypocrisie générale m’avait frappé, elle perdure encore. Et puis la création contemporaine, des artistes, ont été, et sont encore, sujets à une nouvelle vague de censures. Il y a pire : un « nouvel ordre moral » semble vouloir décider de ce qui est correct ou non, pornographiquement acceptable ou pas. Les juristes y perdent souvent leur latin, ici et là on qualifie tel discours politique de « pornographique », on prête à certaines communautés une haine de la pornographie et j’en passe. Il était donc temps d’essayer de faire un dictionnaire en réunissant quelques personnes de bonne volonté pour y voir clair. Nous avons mis trois ans à réunir toute la matière. Les PUF furent remarquables de patience et d’efficace.

Comment ont été choisis les membres du comité de rédaction, qui viennent de sphères très différentes ?

Nous avions plutôt un « comité de parrainage », assez informel au fond : des personnalités que nous avons contactées et qui ont été séduites par ce projet. La plupart ont décidé de nous écrire une, voire plusieurs entrées. Quand elles ne le pouvaient pas faute de temps, elles nous recommandaient d’autres noms. L’inverse est aussi vrai. Elisabeth Badinter ou Pascal Quignard nous ont adressé des encouragements. Il s’est crée alors une chaîne, rapidement, qui a débordé les frontières françaises, ainsi que celles de l’université, enfin celle du genre masculin : nous sommes heureux que de nombreux auteurs femmes aient pu collaborer à cet ouvrage. En cela, c’est un dictionnaire très actuel, équilibré, ouvert, métissé, transdisciplinaire.

La pornographie vous est-elle apparue au cours des recherches comme un champ sous ou sur-exploré par les sciences sociales et la philosophie ?

Les premières « Porn Studies » labellisées ainsi datent de 2004 (Etats-Unis, Duke University) mais on peut faire remonter les faits à 1947, lorsque le zoologue américain Alfred Kinsey entreprend de collationner du matériel jugé à l’époque pornographique, ou même à 1919, lorsque le sexologue allemand Magnus Hirschfeld lance l’Institut pour la Recherche Sexuelle, détruit par les nazis. En fait, il n’y a pas de « sur » ou « sous » exploitation par les sciences humaines du « champ » d’étude pornographique pour la simple raison que la pornographie peut apparaître pour un chercheur avant tout comme une invention : à partir du moment où ce qui a été jugé pornographique entre dans le cadre d’une recherche, d’une analyse, d’un décryptage, les verrous, bien souvent des « mots parapluies », sautent. Restent alors des comportements très humains, des histoires de désirs que l’on peut regarder froidement, presque de façon neutre, voire scientifique. C’est difficile à admettre. On n’en fera jamais le tour.
Quelle est la spécificité du Dictionnaire de la pornographie par rapport aux autres ouvrages théoriques consacrés au sexe, à ses pratiques, à sa culture ?

Nous avons essayé de désacraliser le terme même de « pornographie » : où sont les frontières avec l’érotisme ? N’y a-t-il pas une mais « des » pornographies ? Si ce n’est pas que du sexe, comment comprendre que c’est aussi des histoires d’argent, de pouvoir, de domination, de résistance, de violence ? Il est beaucoup question dans ce livre de l’obscène, de censure. Au fond, c’est un dictionnaire très politique (au sens où tout le monde peut se sentir concerné) et moral (une historiographie des mœurs censurées, jugées obscènes, est ici produite). Mais ce n’est pas un dictionnaire classique de définitions : nous n’enfermons pas les mots choisis dans des carcans linguistiques. Nous avons plutôt décidé de raconter comment et pourquoi ces mots là apparaissaient. Ce dictionnaire peut servir de décodeur à certaines pratiques, certaines manières de représenter nos sexualités, mais pas seulement. Il est riche d’ » histoires « , de liens, de connexions, de visages et de manières.

Comment ont été sélectionnées, parmi les milliers possibles, les 450 entrées ?

La proposition faite aux PUF à la fin de l’année 2002 comportait déjà un nombre d’entrées proche de 400. Le corpus a quelque peu évolué. Nous avons ajouté des « biographies » de personnalités et des définitions très précises de termes spécifiquement liés à ces univers. Les seules modifications intervenues ensuite provenaient de propositions faites par des personnes désireuses de participer au projet mais qui suggéraient une approche ou un domaine différents. Nous avons aussi renoncé à quelques entrées qui auraient pu sembler redondantes.

Quelles informations que vous ignoriez vous ont le plus surpris lors de l’élaboration du Dictionnaire ?

Justement, les données recueillies à partir des entrées proposées par des chercheurs, terme pris ici au sens large, ayant eu l’idée d’explorer des zones insoupçonnées comme les sports, la musique, ou bien certains concepts comme le camp, le secret, la mort. Une chose est frappante : finalement, rien de ce qui humain ne nous est étranger, rien de tout cela ne peut totalement nous surprendre. On s’en étonne, on peut faire le dégoûté, trouver ça immonde (ce mot a une entrée) mais, au fond, c’est là, c’est arrivé.

Le Dictionnaire ambitionne-t-il d’abord d’être un ouvrage d’érudition tous publics ou un outil de travail pour les chercheurs en sciences humaines ?

Je dirai : les deux. Des chercheurs appartenant à des institutions ont participé à ce dictionnaire mais aussi des écrivains sans étiquette, sans spécialité. 105 personnes en tout, issues de tous les horizons. Nous avons donné comme consigne de ne pas jargonner. Des juristes, des philosophes, des sociologues, des journalistes, etc. : chacun y a mis du sien pour exprimer son point de vue en termes clairs et utilisables par « l’honnête homme », même si cette expression, aujourd’hui, ne fait plus vraiment sens ou recette. Si nous pouvions contribuer à faire reculer l’hypocrisie quant à ce sujet, tellement banal au fond, ce serait tant mieux. Ce dictionnaire n’a rien de racoleur : justement non illustré, il est le fruit d’un énorme travail de mise en relations des Savoirs et nous avons tout fait pour les rendre accessibles.

Propos recueillis par

Dictionnaire de la pornographie, sous la direction de Philippe di Folco (PUF)