Groupe adoré, vénéré de nos jeunesses indie, les Pastels de Glasgow gardaient un silence tenu et poli depuis douze ans – à peine perturbé par une mini b.o. ou les activités têtues (Maher Shalal Hash Baz, Future Pilot AKA, Bill Wells, Kama Aina, Nagisa Ni Te) de leur magnifique label Geographic. Il fallait au moins les efforts de leurs amis de Tokyo Saya et Ueno aka les Tenniscoats pour les sortir de leur torpeur et les traîner en studio. Le résultat est une fausse récréation et un petit miracle de douceur volcanique, infiniment long en bouche (lire notre chronique). Stephen McRobbie nous a fait le cadeau d’une entrevue pour fêter ça.

Chronic’art : Mise à part la trop courte b.o. de The Last great wilderness, ça fait douze ans qu’on était sans nouvelles des Pastels. Que s’est-il passé ?

Stephen McRobbie : Ca peut paraître étrange à entendre mais on a été très occupé. On a beaucoup composé. Même si tout s’est un peu fait… au ralenti (rires). On a fait cette B.O., on a composé de la musique pour une pièce de la compagnie écossaise 12 Stars…. Tout ça sans enregistrer une seule vraie chanson des Pastels. On en a pourtant composé pas mal. Nous avons déjà fait deux sessions d’enregistrement avec John McEntire, mais ce n’est pas fini.

Il aura tout de même fallu les efforts acharnés d’un autre groupe, en l’occurrence les Tennisocats, pour vous traîner en studio.

Ce n’est pas la motivation qui nous manque. Mais l’enregistrement avec les Tenniscoats fut très positif. Nous avons ressenti une responsabilité très forte de finir le disque, rien que par respect et amitié pour eux. Ce sont des musiciens très productifs, et nous ne voulions pas les bloquer trop longtemps avec notre rythme escargot. Quand ils sont venus nous trouver, nous n’avions rien de très intéressant dans les cahiers, mais ils en avaient une flopée. L’enregistrement fut donc très détendu, nous n’avions pas d’album en tête en le commençant. Encore moins un chef d’oeuvre en prévision. Nous savions seulement que nous aimions ce gars et cette fille, et ce fut suffisant.

Enregistrer un disque de manière aussi détendue est un bon contexte créatif ?

Un excellent contexte créatif, en ce qui nous concerne. Ca simplifie même les échanges d’idées et les décisions collectives. L’ambiance en studio fut vraiment très joyeuse. Tout le monde était très sensible et concentré. Ca ne se fait pas trop de dire ça parce l’art en dilettante est très mal vu, mais ce fut un disque très facile à faire (rires).

Quand as-tu découvert la musique des Tenniscoats ?

Ca fait longtemps qu’on les connaît. Je dirais depuis 1999, 2000. Saya et Ueno jouaient dans Maher Shalal Hash Baz à l’époque. Ils sont venus à Glasgow quand ils étaient encore un tout jeune couple, et on s’est tout de suite très bien entendus. Et le plus incroyable c’est que quand ils ont rejoint Maher Shalal Hash Baz, ils ont tous les deux dit à Tori (Kudo, leader du groupe, ndlr) que leur groupe préféré était les Pastels. Malgré ça, notre amitié est très forte.

Un album en collaboration avec Maher Shalal Hash Baz ou Nagisa Ni Te semblait tout aussi logique. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ce lien très fort qui semble unir les Pastels à ces groupes que vous sortez sur votre label Geographic ?

Quand nous avons commencé les Pastels au début des années 80, Tori Kudo enregistrait déjà de la musique, mais nous n’avions aucune idée de son existence. Nous avons découvert sa musique à la fin des années 90, et c’est un ami du magazine The Wire qui m’a mis la puce à l’oreille. On est tombé amoureux instantanément. Mais je pense que sa musique est assez éloignée de celle des Pastels : la connexion s’est fait par le cœur plutôt que par la musique. Sortir les disques de Maher Shalal Hash Baz en Europe fut une conséquence logique de notre affection pour le groupe. Je pense même que nous n’avons commencé Geographic que pour sortir les disques de Maher Shalal Hash Baz ! Et nous avons enregistré un morceau avec eux une fois. Mais pour des raisons humaines et pratiques, l’idée d’un album avec les Tenniscoats semblait bien plus… réaliste. Tori est un être entier, complexe, et collaborer avec lui n’est pas une mince affaire.

Est-ce que tu entends tout de même l’influence des Pastels dans la musique des Tenniscoats ? Two sunsets fait vraiment le lien entre vos deux univers, mais ce lien est presque impossible à déceler.

Ce n’est pas sans rapport – il y a des similitudes esthétiques évidentes. En ce qui concerne Two Sunsets, il y a vraiment eu une sorte de contamination mutuelle. Saya et Uneo sont des musiciens très ouverts, très flexibles. D’excellents musiciens. Surtout, chacun de son côté a choisi des chansons qui semblaient convenir à un projet commun. Et le disque ne s’est pas fait par échanges de fichiers : c’est vraiment les deux groupes ensemble dans une même pièce. L’échange fut humain autant que musical. Des musiciens attentifs et respectueux finissent toujours par s’influencer d’une manière ou d’une autre. C’est pareil pour les amis ou les amants.

Pourquoi ne pas avoir choisi un nouveau nom pour ce nouveau groupe ?

C’était dans notre intérêt et celui du label que le disque soit rapidement identifiable par les fans des deux groupes, je pense. Et le titre du disque illustrait parfaitement l’oeuvre de deux entités à la fois distinctes et mélangées, qui mêlent leur rayons de lumière…

Inversement, quelles sont selon toi les principales différences entre les Tenniscoats et les Pastels ?

Il y a des différences culturelles entre nous, c’est certain. Nous sommes écossais, ils sont japonais. Surtout, leur histoire musicale est différente. Et Saya a une formation de musicienne classique. Tout ça s’entend moins dans les mélodies que dans les structures des chansons. On ne s’en est pas vraiment rendus compte avant de jouer les morceaux sur scène, parce que nous avons parfois enregistré des chansons avant de les connaître et des les comprendre, mais elles sont vraiment très différentes de celles des Pastels. Je n’aurais jamais pensé jouer des chansons comme ça un jour.

Jouer les chansons des autres, c’est agréable ?

Très. J’avais composé le gros de la musique pour la pièce de 12 Stars, dont provient la première chanson de l’album, Glasgow Tokyo, et je m’étais vraiment fait violence. En jouant les chansons de Saya, j’ai vraiment enrichi mon vocabulaire sans faire d’efforts. Je ne sais pas encore ce que j’ai appris, mais je me suis rendu compte que quelque chose avait un peu changé en travaillant sur les chansons du prochain Pastels. Quant à celles composées par Katrina (Mitchell, ndlr) et Gerard Love, c’est infiniment agréable : j’ai l’impression d’être à la maison, et de découvrir des nouvelles pièces dont je n’avais jamais soupçonné l’existence.

Quand pensez-vous finir ce nouveau disque ?

On retourne bientôt en studio donc j’espère avant le printemps. Je pense que les gens seront surpris.

Vous semblez être plutôt retiré du monde actuel de la musique. Est-ce qu’il vous intéresse encore ?

Je suis à un moment de ma vie où je me dois de suivre un minimum l’actualité, parce que je fais partie de l’équipe d’un disquaire à Glasgow. Je me tiens donc plus informé que je ne le ferais en temps normal. La situation est un peu désespérée, il y a une grosse tendance au retro un peu moribonde, les choses n’évoluent pas beaucoup mais il y a tout de même beaucoup d’excellents disques qui sortent. C’est aussi beaucoup plus dur de tenir sans faire d’argent. J’ai beaucoup repensé aux Smiths récemment, je ne sais pas pourquoi. Je me suis rappelé de leur succès au milieu des années 80, au fait que tout le monde autour de moi avait au moins un album des Smiths à la maison. Et ça n’existe plus. Chacun vit dans sa niche, les communautés sont beaucoup plus petites. Pour le reste, mes goûts n’ont pas beaucoup changé depuis le début des années 80 : les Modern Lovers, le Velvet Underground, Orange Juice, Swell Maps, Television Personalities, Subway Sect… La grande musique de ma vie.

Two Sunsets commence comme un morceau de Brian Eno. A une époque, ça aurait été inimaginable sur un disque des Pastels.

Je l’ai beaucoup écouté, bien sûr, bien après le début des Pastel – à l’époque je ne connaissais que Roxy Music. On vient de me donner l’album de Harmonia 76 – Eno avec Cluster et Michael Rother – qui est réédité ces jours-ci, et c’est un disque fantastique.

De la même manière, tu sors surtout des disques de groupes japonais alors qu’à l’époque de ton premier label, 53rd and 3rd, tu sortais surtout les disques de tes amis de Glasgow – les Vaselines ou les Shop Assistants.

C’était surtout une nécessité, à l’époque, parce que personne d’autre ne voulait le faire. Je voulais aider. Quand nous avons crée Geographic avec Katrina, les groupes que nous aimions, comme Belle and Sebastian étaient tous déjà signés… La prochaine sortie du label est tout de même 100% « locale », puisque c’est un album solo de Gerald Love de Teenage Fanclub, qui joue aussi dans les Pastels, et sur le disque il y a des membres de International Airport ou Belle and Sebastian. Pour ce qui concerne les autres choix de signature du label, c’est avant tout une histoire d’opportunités. Je ne saurai dire si mon admiration pour l’intensité si spéciale de certains groupes japonais a quelque chose à voir avec une évolution personnelle. Peut-être. Il faudrait demander à mes amis.

Propos recueillis par

Lire notre chronique de Two sunsets