La crise actuelle est « un tsunami comme on en voit un par siècle », a déclaré Alan Greenspan, le plus haut responsable du système économique mondial, reconnaissant qu’il y avait une « faille » qu’il n’avait pas bien mesurée. « La Finance mondiale – Tout va exploser » (Editions Léo Scheer) permet de comprendre ce qui vient de nous arriver et d’envisager ce que nous réserve, peut-être, l’avenir. Il explique les différentes bulles spéculatives dont l’éclatement provoque les crises financières successives. Il permet d’évaluer la façon dont l’économie réelle va être touchée par la crise de la déréglementation financière et de s’interroger sur les moyens d’en sortir. Il décrit comment « tout va exploser » pour nous faire entrer dans la prophétie d’Aldous Huxley : Les classes moyennes vont disparaître,il restera les Alphas de l’argent et les Omégas de la misère. Entretien fleuve avec les auteurs, Morad El Hattab et Philippe Jumel.

Chronic’art : D’où vient la crise ?

Morad El Hattab & Philippe Jumel : Le mécanisme de formation des crises financières devrait être connu car il a été expliqué dès 1862 par Clément Juglar. Selon lui, les crises financières les plus simples comprennent traditionnellement deux phases : les spéculateurs achètent des actifs (placements ; investissements) risqués à crédit. Ils pensent que la valeur des actifs va grimper très vite, et que donc le court du crédit restera beaucoup plus bas. La différence peut donner de très juteux bénéfices, en langue de bois d’économiste distingué cela s’appelle l’effet de levier. Les spéculateurs (et les banquiers qui sont en fait des têtes sans mémoire) oublient régulièrement un vieil adage de banquier : « Les actifs s’évaporent, les dettes s’accrochent. » C’est se qui se passe à l’arrivée de la deuxième phase de la crise car la valeur spéculative des investissements se révèle et les banquiers ne renouvellent plus leurs crédits aux spéculateurs, cela s’appelle le désendettement forcé : chacun cherche du crédit et n’en trouve pas. C’est d’ailleurs l’aspect essentiel de la crise actuelle.L’explication conventionnelle affirme que la crise actuelle provient des « subprimes », c’est-à-dire de prêts hypothécaires aux acheteurs de logements aux Etats-Unis (l’hypothèque est une garantie que le prêteur prend sur le logement si l’emprunteur tourne de l’œil et ne paie pas). Les « subprimes » ont parfois été appelées « prêts menteurs », le banquier prêtait jusqu’à 125 % du montant du prix d’achat du logement et ne demandait pas de renseignements sur les revenus de l’emprunteur car il estimait que la hausse des prix de l’immobilier devait tout payer. Mais « les arbres ne montent pas jusqu’au ciel » et lorsque l’immobilier devient trop cher, même les gros salaires n’ont plus les moyens d’acheter un logement. C’était simplement le cas en été 2007. Les spéculations sur l’immobilier de logements n’ont sans doute pas été les plus importantes car à New-York, Londres, Shanghai, Séoul et dans le Golfe pétrolier, de nombreuses tours de bureaux ne trouvent plus preneurs. Des fonds spéculatifs appelés « Hedge funds » qui empruntaient 85 % de leurs investissements ont acheté des entreprises à crédit bien plus cher qu’elles ne le valaient (cela s’appelle des opérations « LBO »). Les « subprimes » ont provoqué le début de la crise, les « Hedge funds » et les « LBO » vont prolonger la crise en 2009 et au-delà… Les spéculateurs empruntaient en émettant des titres d’emprunt sur le marché. Les banques ont souvent prêté plus que leurs dépôts (25 % de plus en France ; 50 % de plus aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne) et ont emprunté sur les marchés. Reste à trouver les prêteurs : des fonds de pension (qui investissent pour financer les retraites aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas) mais aussi les banques elles mêmes et des fonds spéculatifs qui empruntaient pour prêter. Lorsque la vraie valeur des actifs spéculatifs se révèle, les spéculateurs perdent leur argent, et les prêteurs aux spéculateurs ne retrouvent plus l’argent prêté. Les titres émis sur le marché ne trouvent plus d’acheteurs, ils perdent de leur valeur (moins 40 % en moyenne en un an, et ce n’étaient pas que des actions !). Lorsque les fonds de pension perdent ainsi leur argent, il y a du souci pour les retraites qu’ils versent, ils n’achètent donc plus et ne prêtent plus sur les marchés. Les autres prêteurs empruntent pour prêter, or ils ne peuvent eux-mêmes plus emprunter. Le marché cesse alors de prêter et il n’y a plus d’acheteurs ! Voilà pourquoi les banques qui ne trouvent plus de prêteurs sur le marché cherchent de l’argent partout et finissent par en quémander à l’Etat. Le vieil adage du banquier frappe alors : « Les actifs s’évaporent, les dettes s’accrochent » et lorsque la crise éclate, il n’y a plus de crédit car en effet « le banquier est un monsieur qui vous ouvre le parapluie lorsqu’il fait beau et qui le ferme lorsqu’il pleut », et surtout « la fourmi n’est pas prêteuse et c’est là son moindre défaut… »

Quelle est l’ampleur réelle (si l’on peut dire) de cette nouvelle crise en comparaison de celles de 1929 et de 2001 (la bulle Internet) ?

L’actuelle crise est évolutive avec plusieurs phases. Elle résulte de plusieurs bulles spéculatives toutes financées à crédit. Elle est donc similaire à la crise de 1929, elle se révèle plus ample et plus complexe que la crise de 2001 caractérisée par la bulle Internet.

LA CRISE DE 1929

La crise de 1929 correspond d’abord à la liquidation de deux bulles financées toutes deux à crédit. La formation des deux bulles financées à crédit, la bulle immobilière et surtout la bulle des cours des actions correspond à la première phase de la crise de 1929.

La Première phase
La bulle boursière est la plus connue, elle s’est caractérisée par une hausse déraisonnable des cours des actions des entreprises. Les actions sont des parts d’entreprises échangées par achats et ventes sur le marché des actions, pour les Etats-Unis le NYSE (New York Stock Exchange) à Wall Street. L’évaluation du caractère raisonnable du cours des actions se mesure traditionnellement sur le fondement du « PER » ou « Price Earning Ratio », en français le multiple cours bénéfices, c’est-à-dire combien d’années de bénéfices représente le cours. Si le multiple est élevé, le cours est vraisemblablement surévalué, en résumé il vaut mieux acheter des actions à petit PER pour vendre des actions à grand PER. Souvent la surévaluation des actions sur les marchés telle qu’elle résulte des PER trop élevés est balayée par des interviews des grands noms de la finance, ce fut le cas en 1928 lorsque le Professeur Irving Fisher de l’université de Harvard annonça la venue d’un « New Age » porteur d’une prospérité croissante soutenue par le développement de nouvelles technologies telles que la radio et l’aviation, leurs perspectives réelles de bénéfices et de rendements n’avaient tout simplement pas été évaluées… La bulle des actions s’est donc d’abord caractérisée par une « inflation des actifs » c’est-à-dire une hausse des cours telle qu’elle constituait par son caractère déraisonnable une inflation. Le financement à crédit de la bulle s’est révélé atteindre un niveau de risque lui-même spéculatif car les acheteurs des actions pouvaient les acquérir « à terme » avec un apport de fonds propres de 10% de la valeur d’achat des actions, les 90% restants étaient financés par des « call loans » c’est-à-dire des prêts à court terme (un mois au plus) et à des taux très élevés jusqu’à 12%. Les prêts étaient consentis par les « brokers », c’est-à-dire les sociétés de gestion qui achetaient et vendaient les actions pour le compte de leurs clients. Ces brokers empruntaient eux-mêmes à court terme (échéances rapprochées de l’ordre du mois) auprès des banques les fonds prêtés à leurs clients. Pour toucher les petits porteurs (en fait les petits spéculateurs, ceux-ci pouvaient acquérir des parts d’« investment trusts » ou de « holding companies » lesquelles achetaient des actions avec les souscriptions de leurs clients, ceux-ci se finançaient par des emprunts garantis par les souscriptions ainsi financées, enfin les « investment trusts » ou les « holding companies » empruntaient pour acquérir des actions. La hausse des cours des actions a donc été alimentée par de véritables pyramides de crédits lesquelles au moment du retournement des tendances à la bourse se sont alors révélées autant de châteaux de cartes. Parallèlement l’immobilier connaît de fortes hausses elles aussi financées à crédit. Au cours de l’été 1929 l’endettement privé américain atteignait quelques 230% du PIB (176% en 2007).

La Deuxième phase
La deuxième phase correspond à la baisse brutale des cours des actions sur le marché du « NYSE » à Wall Street et aux effets immédiats. La surévaluation des cours entraîne des tendances à des prises de bénéfices ou plus exactement à des « ordres stop » permanents de certains spéculateurs auprès de leurs « brokers » ces « ordres stop » prévoient des ventes automatiques lorsque les cours descendent au dessous d’un certain seuil. C’est ce qui s’est passé le 24 octobre 1929. La baisse des cours efface la partie des acquisitions effectuée par les 10% de fonds propres, ils doivent donc être impérativement reconstitués, cela s’appelle des « appels de marge », pour les financer les spéculateurs sont contraint de vendre leurs actifs c’est-à-dire leurs actions, or dans ce cas il n’y a pas d’acheteurs sur le marché les cours alors s’effondrent d’autant plus. Les deux premiers jours, les banques se sont portées acheteuses sur le marché puis elles ont remplacé leurs achats par des déclarations optimistes. Les pertes subies par les petits porteurs ont été d’autant plus sévères que les actions avaient été financées à crédit jusqu’à 90% des valeurs d’achat, à vrai dire cependant de la fin octobre 1929 à l’été 1930, la bourse a connu cinq rebonds c’est-à-dire cinq hausses intermédiaires et au début de l’été 1930 la moitié des pertes avaient été rattrapées, ce phénomène fut plus tard appelé le « suckers’ rally » (la « charge des pigeons »). La crise boursière entraîne une extension de la crise du crédit : Les américains vivent à crédit, les difficultés de remboursement des « call loans », crédits à l’acquisition d’actions s’étendent alors aux autres crédits aux personnes, l’immobilier, les voitures, les cartes de crédit, et enfin les entreprises elles mêmes. C’est l’origine de la troisième phase de la crise de 1929 – 1930.

La Troisième phase
La transformation des créances en créances douteuses érode la valeur des actifs des prêteurs c’est-à-dire des banques les actifs deviennent invendables sur des marchés sans acheteurs les créanciers commencent à exécuter les débiteurs les banques exécutent les brokers qui font faillite, puis les banques s’exécutent entre elles et les plus faibles partent à leur tour le ventre en l’air.

Il n’y avait pas de garanties publiques des dépôts aussi en cas de faillite d’une banque les déposants ne récupéraient qu’une partie de leurs dépôts, ils deviennent donc méfiants et il est naturellement préférable de sortir avant les autres quand cela tourne mal c’est l’origine de la panique bancaire d’abord aux Etats-Unis. En novembre 1930, 256 banques avec 180 millions $ de dépôts font faillite suivies en décembre 1930 par 532 banques avec 370 millions $ de dépôts.

La faillite, le 11 décembre 1930 de la « Bank of the United States » avec plus de 200 millions $ de dépôts porte un coup décisif à la confiance, elle n’était qu’une simple banque commerciale mais son nom même lui donnait une apparence officielle.

Une Quatrième phase se développe alors
Les banques même celles qui ne partent pas le ventre en l’air doivent faire face à de gros retraits de dépôts à vue, elles doivent donc accroître leurs liquidités, en fait elles subordonnent tout à la reconstitution de leurs liquidités que dès lors elles thésaurisent. Elles ne renouvèlent alors pas leurs crédits. Il en résulte alors un phénomène « d’accélération de la crise » (terme employé par l’actuel Président de la « Federal Reserve » lors de ses études doctorales sur la Dépression des années 1930 aux Etats Unis). De 1929 à 1933, les crédits aux entreprises fondent de moitié, devant le refus des banques de renouveler les crédits aux échéances les entreprises vendent à perte pour acquérir les liquidités nécessaires au remboursement des crédits non renouvelés, cela s’appelle une « trappe à liquidités », il en résulte une concurrence sauvage sur les prix de vente, donc une forte déflation (baisse) des prix. La déflation des prix entraîne une réduction de la valeur des actifs des entreprises, mais les dettes restent, elles correspondent alors à une part plus importante du financement des actifs (investissements), et il se produit une évaporation des capitaux propres en quelque sorte « mangés » par la dette, ce phénomène s’appelle la « déflation par la dette ». De plus en plus endettées, les entreprises font fuir d’éventuels investisseurs ou créanciers, pour survivre elles suppriment les dividendes aux actionnaires, et elles reportent à des temps meilleurs leurs investissements de croissance et de productivité, seuls restent les investissements d’entretien. Partout, dans les entreprises qui n’ont pas fermé, la chasse aux emplois pousse une partie de la main d’œuvre à rejoindre les chômeurs des entreprises en faillite, la consommation s’effondre. La crise de 1929-1930 a donc été une crise à la fois complexe et de grande ampleur, moins immédiate qu’il n’apparaît, elle s’est déroulée donc en quatre phases :
– La formation de la bulle spéculative financée à crédit,
– La liquidation de la bulle boursière avec un désendettement forcé,
– La transmission au système bancaire des effets du désendettement forcé provoqué par la liquidation de la bulle spéculative,
– L’arrêt du crédit aux entreprises dès lors forcées de rechercher à tout prix la liquidité, avec pour conséquences l’arrêt des investissements et la chasse effrénée à la réduction des emplois.
Lorsqu’enfin les entreprises et banques survivantes eurent reconstituées leurs liquidités les activités purent alors reprendre.

LA CRISE DE 2001

La crise de 2001, ou « bulle internet » fut à la fois plus simple et de bien moins grande ampleur. A partir du début des années 1990, les Etats-Unis connaissent une croissance économique poussée par le développement des technologies de l’information, surtout l’informatique et internet, vers 1995, ces technologies concourraient à 6% du PIB américain mais à 35-40% de sa croissance. Vers 1997, l’application de ces technologies a attiré des anticipations de croissance et de bénéfices déraisonnables, c’est l’origine de la « bulle internet ». Plusieurs sociétés de télécommunications développent des réseaux de fibres optiques dont les capacités de chacun représentaient plusieurs dizaines de fois les trafics vraisemblables. L’engouement pour les « valeurs internet » cotées au « NASDAQ » ou marché américain des valeurs dites « Hitec » (hautes technologies) en traîne une surévaluation déraisonnable des cours. Euphoriques, les conseillers financiers expliquaient à leurs clients que les analyses à partir des « PER » (multiples cours bénéfices » étaient démodées, et conseillaient à leurs clients des achats d’actions à des cours de l’ordre de 100 fois les bénéfices futurs d’ailleurs les mesures des « PER » n’étaient plus effectuées à partir des derniers bénéfices mais à partir des bénéfices futurs estimés. Vers 1999, la théorie du « New Age » revient en force. La bulle se dégonfle à partir de septembre 2000, les cours des « actions Hitec » baissent en moyenne de 49% sur 26 mois, mais les effets de la liquidation de la bulle ne vont pas au-delà des marchés boursiers, à partir de 2003 les cours des actions montent très rapidement jusqu’en août 2007. La bulle internet fut donc une simple bulle spéculative boursière, mais sa liquidation ne mit pas fin à l’esprit spéculatif. Cela explique dans une large part un gonflement ultérieur d’une bulle spéculative dont la liquidation à partir d’août 2007 a entraîné l’actuelle crise qui d’abord financière spéculative atteint l’économie réelle depuis la mi septembre 2008.

LA CRISE DE LA DEREGLEMENTATION

La première phase : Voir question / réponse suivante.

La deuxième phase de la crise : La crise du crédit.
A partir de la fin 2005, les gestionnaires Alpha de la finance décident d’ignorer les risques ils n’existent pas et de toutes façons les équations de Maryon Scholes y pourvoiront, de fait les placements réalisés en 2006 et 2007 se caractérisent par la simple absence de toute mesure du risque. Autrefois dans les mines charbon il y avait des canaris dont le chant affolé devait avertir les mineurs sur les risques du grisou ou du poussier. Le canari chanta le 22 juin 2007 : ce jour là les fondateurs du « Hedge fund » Blackstone ont revendu leurs participations pour 3 milliards $ les deux tiers aux petits actionnaires et le dernier tiers à un fonds souverain chinois. Les fondateurs savaient, les petits actionnaires sont les derniers à savoir après avoir perdu leur galette, quand aux chinois ils ne sont toujours pas contents (ils auraient dû savoir qu’au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle les américains ont passé leur temps à vendre aux anglais et aux néerlandais à prix fort leurs chemins de fer pourris pour les racheter à prix d’ami après la faillite, c’est l’origine même des fortunes des Grandes Familles américaines, et quand la Banque d’Angleterre n’arrivait pas à éteindre le désastre la Banque de France servait de prêteur en dernier ressort et toujours remboursé, l’histoire économique ça peut parfois servir)… Le 9 août 2007, Bear Stearns cesse de coter deux de ses fonds de placements car même les équations Maryon Scholes n’arrivaient plus à en déterminer la valeur… Cette fois ci sur les marchés financiers les investisseurs institutionnels (les célèbres « zinzins ») décident de ne plus acheter un seul instrument de crédit ni d’ailleurs le moindre titre de dette d’une Banque : la deuxième phase d’une crise financière commence toujours quand « Chat échaudé craint l’eau froide ». Au début les « banquiers raisonnables » et surtout les gestionnaires des portefeuilles d’actions clament que c’est passager que les pertes sont au plus de 50 milliards $ et que « si il faut vendre au son du violon il faut acheter au son du canon » ceux qui ont suivi ce conseil n’ont pas vraiment bénéficié d’une asymétrie favorable d’information… A la mi-mars 2008 le canon tonne toujours et il n’y a plus d’acheteurs sur le marché financier, depuis le 9 août 2007 il est devenu impossible de placer des CDO même notés AAA, et d’ailleurs aucun établissement financier aucune banque ne peut placer un titre de dette quelque soit son appellation. Sur les marchés financiers même les titres de dette financière notés AAA se négocient en théorie à 60 cents le dollar, c’est d’ailleurs théorique car il n’y a tout simplement pas d’acheteurs même les fonds vautours à l’affût des carcasses sur les marchés n’y vont pas. Chez les banquiers anglo-saxons c’est la panique scandalisée : leurs actifs valent en réalité beaucoup pus que l’évaluation d’un marché dominé par les fous. L’ennui c’est que leurs investissements sont évalués d’après le marché (avant 2007 les bénéfices sur les marchés gonflaient les bilans donc les bonus des « traders » et surtout des dirigeants), or depuis la Loi « Sarbanes Oxley » votée par le Congrès américain à la suite du scandale d’Enron (un trader à la comptabilité innovante dynamique inventive et audacieuse pour laquelle son PDG, M. Skilling a été récompensé par 24 ans de prison), les comptables sont pénalement responsables des comptes qu’ils certifient, et évidement le comptable ne veut pas aller en taule à la place du banquier… Les Banquiers espagnols et français pavoisent dans la douceur de l’euphorie : ils ont conservé l’ancienne comptabilité à la valeur d’achat et donc ne sont pas forcés d’afficher des pertes. Que se passe-t-il ? Les investisseurs sont méfiants et c’est connu on ne fait pas boire un âne qui ne veut pas boire, mais surtout, les évaluations mêmes théoriques du marché affichent des pertes sur les investissements financiers des heureuses années notamment 2006 et 2007. Et surtout les investisseurs sont eux même des emprunteurs, or avec la crise l’adage du banquier oublié pendant le gonflement à crédit de la bulle revient en force : « les actifs (investissements) s’évaporent les dettes s’accrochent ». Le phénomène qui domine alors toutes les deuxièmes phases d’une crise (et aussi les suivantes) s’impose alors : tout le monde cherche à se désendetter, ceux qui ont des liquidités fuient le risque et cherchent la sûreté, c’est-à-dire les bons du Trésor des Etats sérieux (dont la France paresseuse des 35 heures, aux innombrables fonctionnaires budgétivores et qui vit au dessus de ses moyens). A la différence de la crise de 1929 la Federal Reserve américaine abandonne la punition du hasard moral, et décide de refinancer les besoins de liquidités des banques pour éviter leur faillite, cette politique constante depuis le début de la crise a incontestablement empêché la faillite systémique bancaire (la faillite du système des banques). Lorsque entre le 13 et le 17 mars 2008, la banque d’investissement (en réalité le fonds requin) Bear Stearns part le ventre en l’air, son partenaire principal Morgan Stanley risque d’être entraîné par le « risque du partenaire », la Federal Reserve participe au sauvetage du partenaire de Morgan Stanley avec la création d’un fonds de financement d’actifs financiers devenus radio actifs financé à hauteur de 29 milliards $ par la Federal Reserve. Cette fois ci tous les traders et même leurs chiens clament « la crise est finie il faut acheter à la Bourse », ceux qui n’ont pas suivi ces conseils n’ont pas perdu d’argent. En effet le sauvetage de Bear Stearns ne fait pas acheter les institutionnels sur les marchés financiers, certes les évaluations des actifs financiers s’améliorent mais de façon fictive puisqu’il n’y a toujours pas d’acheteurs, fin juin 2008 elles reviennent au niveau de mars 2008. La troisième phase de la Crise débute en deux temps, d’abord en juillet 2008 avec l’impossibilité pour les banques de se recapitaliser, puis en septembre 2008, le 15 septembre 2008 la faillite (pourtant programmée depuis la fin mars) de Lehman Brothers relance la crise financière, tandis que la crise s’étend de la crise financière spéculative à la crise de l’économie réelle. A partir de mars 2008 les banques sont fortement incitées à se recapitaliser. Elles essaient pour la plupart d’émettre des actions nouvelles afin de reconstituer leurs capitaux propres mais les cours en bourse sont très dépréciés (souvent -50 à -60% par rapport au printemps 2007), elles essaient aussi d’émettre une catégorie particulière d’obligations (appelées « Covered bonds ») garanties à la fois par la banque et par des investissements particuliers, l’ensemble permet de lever des capitaux mais pas suffisamment. Ces fenêtres d’opportunité se ferment en juillet 2008, deux banques britanniques qui essaient d’émettre des nouvelles actions n’y parviennent pas, des fonds spéculatifs (les Hedge funds) vendent « à terme » des actions de ces banques sans les posséder pour les racheter moins cher, ces spéculations réussissent mais la baisse des cours des actions de ces deux banques les placent au dessous des cours prévus pour l’émission de nouvelles actions, résultat personne ne les achète… La crise financière repart de plus belle en septembre 2008. Tout d’abord les banques cessent de se prêter entre elles, or qui ne connaît mieux les banques que les banquiers ? Si ils cessent de se prêter entre eux c’est qu’ils n’ont pas confiance. Le Trésor fédéral américain procède à l’acquisition forcée de 80% des actions de deux sociétés de garantie des obligations hypothécaires américaines, elles garantissaient 40% du marché américain mais ne disposaient plus des capitaux nécessaires. Le 15 septembre une célèbre banque d’investissement américaine, Lehman Brothers fait faillite, un grand nombre de fonds partenaires de cette banque perdent les actifs (placements) déposés auprès de Lehman Brothers c’est ce que l’on appelle la réalisation du risque du partenaire. Le 18 septembre le Trésor fédéral ouvre une garantie de 85 milliards $ (depuis portée à 120 milliards $ pour soutenir l’AIG c’est-à-dire le deuxième assureur du monde avec 1050 milliards d’actifs gérés, il obtient en échange 80% des actions de l’AIG. L’ampleur de la troisième phase de la crise financière peut se mesurer à partir des interventions des banques centrales et des Etats : en août 2008 le bilan de la Federal Reserve s’établissait à quelques 867 milliards de $ dont près de la moitié prêtés aux banques américaines sur des lignes d’urgence à court terme mais déjà les initiés savaient que ces crédits passaient à terme indéfini, c’est-à-dire la durée de la crise financière ; à la mi-décembre les actifs de la Federal Reserve sont passés à plus de 2 000 milliards de dollars dont 1 700 milliards pour soutenir les banques et 300 milliards de dolars de « papier commercial émis par des entreprises non financières, ce qui est une première dans l’histoire de la Federal Reserve, il est à présent admis que d’ici la fin janvier 2009, les actifs seront dans une fourchette de 2 500 à 3 000 milliards de dollars, ce qui donne une idée du financement d’urgence par la Federal Reserve du système financier américain ; début octobre 2008 le Congrès américain a voté 700 milliards de dollars pour un fonds d’urgence de soutien du système financier américain (17,4 milliards de dollars sont redéployés pour éviter la noyade de General Motors), 335 milliards de dollars ont déjà été engagés. Avec 2 335 milliards de dollars engagés sur 3 700 milliards de dollars déjà prévus le sauvetage du système financier américain mobilise environ 16% du PIB américain. Une quatrième phase de la crise a débuté à peu près en même temps que la troisième, il s’agit de l’extension de la crise à l’économie réelle. Elle concerne d’abord le secteur de la construction : En France les mises en chantier de logements tombent de 500 000 en 2007 à 300 000 en 2009, soit -40%. Le secteur automobile suit de près : depuis octobre 2008 les immatriculations ont baissé de 40% aux USA, 50% en Espagne, 37% en Grande Bretagne, 30% en Italie, 27% en Corée, 18% en Allemagne, 15% en France, en Chine, au Brésil, et au Japon. Les grandes entreprises des secteurs atteints, la construction, l’automobile, mais aussi la sidérurgie et l’aéronautique, subissent des arrêts purs et simples des commandes. De tels chiffres n’avaient pas été enregistrés en France de puis 1932, or l’histoire enseigne que la crise de l’économie réelle des années 30 a débuté dans les secteurs de la construction et de l’automobile. Comme la Crise de 1929, la crise de 2007 se développe par des phases successives avec des délais de réalisation semblables, cela signifie très vraisemblablement que les deux bulles qui ont causé les deux crises sont d’une ampleur (relative aux PIB) semblable, toutefois l’une des leçons de la Crise de 1929 a été retenue, la Federal Reserve n’a pas laissé imploser le système bancaire.
Vous parlez aussi d’une « crise de la déréglementation » pour caractériser le problème actuel. Concrètement, de quoi s’agit-il ?

L’actuelle crise est largement l’effet de la déréglementation conduite depuis le début des années 80 surtout dans les domaines des activités financières en particulier les banques.

Les leçons durement apprises lors de la Dépression des années trente ont confirmé et même appris le rôle essentiel du système des banques dans le fonctionnement harmonieux de l’économie réelle et en même temps leur extrême fragilité face à une crise systémique du crédit. L’expérience des crises a donc au moins dans certains pays ciselé des règles dites de « prudence bancaire » : en France elles furent établies dès la fin du XIXème siècle sous la forme d’usages de la profession à l’initiative d’Henri Germain alors directeur général du Crédit Lyonnais après avoir du faire face d’ailleurs avec succès au retrait de la moitié de ses dépôts lors de la panique en 1882 de « l’Union Générale » décrite par Emile Zola dans un roman L’Argent. Henri Germain établit alors que les dépôts à vue des banques devaient être placés en valeurs rendues liquides par le réescompte de la Banque de France (disparu avec la déréglementation). Il s’agissait alors des billets d’escompte commercial à 90 jours utilisés pour le financement des transactions commerciales (eux aussi disparus) des titres de l’Etat et de la Ville de Paris et des obligations des compagnies de chemins de fer (afin de financer la réalisation du réseau ferroviaire, aujourd’hui l’équivalent correspondrait aux financements des infrastructures et des services publics industriels). Ces règles issues des prudentes analyses d’Henri Germain ont été jetées aux requins au début des années 1980 avec la déréglementation. En Grande Bretagne les banques devaient conserver 30% de leurs dépôts sous la forme de placements soit liquides soit acceptés par la Banque d’Angleterre en échange de prêts de trésorerie, à la suite de la déréglementation le taux de liquidités est tombé de 30 à 1% … De nouvelles réglementations sont apparues à partir des années 1980 à l’initiative de la Banque des Règlements Internationaux dont le siège est à Bâle, d’où leurs nom de « Bâle I » puis « Bâle II ». Concrètement elles exigent que les banques financent leurs actifs (placement et investissements) par des capitaux propres à raison de 8%, mais ces 8% servent de base à des coefficients (c’est-à-dire de pourcentage par rapport aux 8%) de minimum de capitaux propres nécessaires. Elles ont ensuite affiné cette exigence suivant les risques des placements tels que notés par les agences de notation, finalement « Bâle II » a confié aux banques elles mêmes le soin d’évaluer les risques de leurs placement et ainsi le coefficient des 8% de capitaux propres nécessaires. Ces coefficients de minimum de capitaux propres sont d’ailleurs dangereux en cas de crise économique : quand tout va bien il est aisé de réunir les 8% « coefficientés » de capitaux propres, en cas de crise les pertes sont imputées au capital qu’il faut alors reconstituer sur un marché ou la peur fait fuir les investisseurs, les règles de « Bâle I » et de « Bâle II » ont donc amplifié la crise financière. Les règles françaises et britanniques de prudence bancaire avaient évités à ces deux pays les crises systémiques bancaires qui ravagèrent les économies réelles des Etats-Unis et de l’Allemagne, leur abandon a intégré la Grande Bretagne et la France dans l’actuelle crise financière spéculative. A l’abandon des anciennes règles de prudence bancaires se sont ajoutés les placements spéculatifs financés par « l’effet de levier » c’est-à-dire l’endettement massif, la formation de la bulle financière a en quelque sorte consisté à prêter plus cher sans tenir compte du risque des sommes empruntées par ailleurs moins cher, le tout souvent sous la forme d’une pyramide de dettes le désendettement n’en est alors que plus ravageur. La bulle financée à crédit comprend trois éléments :
– La spéculation sur les investissements : Immobilier et entreprises,
– La bulle du crédit,
– La bulle des instruments de crédit.

La spéculation sur les investissements

Elle comprend d’abord un financement par le crédit de la hausse des prix de l’immobilier de logement, dont la hausse devient telle qu’elle va au-delà des capacités d’emprunt des salariés, aux Etats-Unis les prix cessent de monter à partir du milieu de l’année 2005, pour continuer de gonfler la bulle de l’immobilier, les établissements de crédit hypothécaire prêtent au-delà des normes de prudence (70% du prix d’achat, et trois fois le revenu annuel prouvé) pour aller jusqu’à prêter 125% de la valeur du bien et cinq fois le revenu annuel déclaré mais non vérifié, la hausse infinie des prix de l’immobilier devait assurer les remboursements. L’immobilier commercial surtout les tours de bureaux est parallèlement l’objet d’une bulle spéculative financée à crédit. La spéculation se porte sur les achats d’entreprises par le crédit ou LBO (Leveraged Buy Out), financés par des prêts bancaires à 75 voire 85%, par exemple Chrysler par le fonds Cerberus. La spéculation se porte enfin sur… Les fonds spéculatifs (Hedge funds), leurs dirigeants touchent 2% des fonds gérés et 20% des bénéfices affichés (pas toujours réels d’ailleurs), ils sont financés à 15-20% par les souscripteurs, qui ainsi font l’apport des capitaux propres, et à 80-85% par l’effet de levier c’est-à-dire les emprunts à taux élevés auprès des « Prime Brokers » c’est-à-dire les services spécialisés des banques, ce que font les Hedge funds est couvert par la confidentialité nécessaire au succès des diverses opérations spéculatives…

La bulle du crédit

Les prêteurs surtout, les banques, mais aussi les fonds de pension, les assurances, les trésoreries d’entreprises ou de collectivités locales, cherchent à prêter au plus cher ou mieux à emprunter moins cher pour prêter plus cher. Il faut maximiser le rendement par une gestion « Alpha » et surperformer le marché. Pour être sur d’y parvenir les gestionnaires sont recrutés parmi de brillants mathématiciens qui maîtrisent les modèles dérivés des équations de Maryon Scholes, prix Nobel d’économie et auteur en 1998 du premier crash d’un Hedge fund. Il en résulte des pyramides de crédits dont les risques sont masqués par des modèles mathématiques accessibles aux seuls docteurs en mathématiques financière, en France issus de l’Ecole Polytechnique, donc pour les PDG des banques des garanties scientifiques et mathématiques vivantes absolues… L’ennui c’est que la théorie économique affirme que sur les marchés efficients l’allocation optimale des capitaux interdit de surperformer le marché, et qu’il ne devient alors possible d’y parvenir que de deux façons : l’asymétrie d’information, l’opérateur est mieux informé que le marché c’est en particulier le cas du délit d’initié. La prise de risque pour obtenir des bénéfices plus élevés, les modèles dérivés des équations de Maryon Scholes sont censés éliminer les risques…

La bulle des instruments de crédit

Les instruments de crédits ont pour objet de noyer les risques par des instruments appropriés de deux sortes :
– Les paniers de crédits, version moderne des maquignons qui vendaient les chevaux par paires un bon et un mauvais (si le maquignon était honnête !)… Ils étaient appelés CDO pour impressionner l’investisseur en quête de l’inévitable rendement Alpha, et notés AAA par les agences de notation pour rassurer l’investisseur, de toutes façons comme l’a affirmé un célèbre e-mail de Standard and Poor’s : « nous notons tous les montages même s’ils sont faits par des vaches ».

Pour sophistiquer les CDO étaient revendus par tranches à des risques successifs croissants.

– Les fonds de placement souvent souscrits par les clients des banques, présentés sous les couleurs les plus chatoyantes de rendements élevés garantis par une gestion Alpha, ils avaient pour fonction essentielle de faire prendre par les souscripteurs émerveillés les risques du banquier, les plus célèbres sont appelés les SIV (Special Investment Vehicle).

Cette crise touche-t-elle vraiment tout le globe, y compris les nations en plein essor économique en Asie, en Amérique du Sud et en Afrique ?

Jusqu’en septembre 2008, la mode était au « découplement » : la crise resterait limitée aux usa au Canada et à l’Union Européenne, les autres pays en particulier les pays émergents à l’économie développée par une forte croissance échapperaient donc à la crise. Dans la réalité le capitalisme spéculatif ne s’est pas limité au monde atlantique, simplement, en Asie, en Russie, en Turquie et en Europe de l’Est il est resté masqué par la vigueur de la croissance économique, mais comme aux Etats-Unis et en Europe de l’ouest le capitalisme spéculatif a aussi fait gonfler des bulles spéculatives à crédit. En Chine les bourses de Hong Kong et surtout de Shanghai, cette dernière surnommée « le bocal aux poissons d’or » ont connu à partir de 2004 de très fortes hausses spéculatives, de l’ordre de 578% en 2 ans pour Shanghai, le PER (Price Earning Ratio, ou multiple des cours par rapport aux bénéfices) y atteint 50, or il est tout à fait déraisonnable qu’une action vaille 50 fois ses bénéfices. D’octobre 2007 à avril 2008, l’indice des cours des actions de la bourse de Shanghai baisse de 6124 à 3000, mais le PER reste encore à 27. Dès avril 2008, les premiers indices de deux crises immobilières, des logements de luxe et des tours de bureaux s’esquissent, ils deviennent patents en décembre 2008. La Chine connaît alors une triple crise issue de trois bulles spéculatives :

– Une bulle boursière, sa liquidation s’est traduite par une division par trois de l’indice des actions de la bourse de Shanghai.
– Une bulle de l’immobilier des logements destinés aux jeunes cadres dynamiques de la dictature du capitalisme chinois, ces logements ne trouvent plus d’acheteurs.
– Une bulle des tours de bureaux en particulier à Shanghai et à Pékin, qu’elles soient en voie d’achèvement ou déjà achevées les m2 de bureaux qu’elles contiennent ne trouvent pas preneurs.

Enfin depuis octobre 2008, les exportations deviennent difficiles car avec la crise occidentale de l’économie réelle, l’appétit pour les marchandises chinoises se réduit nettement, le ralentissement de l’activité des exportations chinoises entraîne des conséquences décisives sur les cours du pétrole des métaux (aciers et aluminium) des minerais et du fret maritime, avec les très fortes baisses usuelles sur ces marchés quand l’activité mondiale (ici la demande chinoise) se réduit fortement. En Corée, les « Chaebols » ont de nouveau financé leur expansion par du « Carry Trade » c’est-à-dire par des emprunts souvent à court terme en devises étrangères là ou les taux d’emprunt étaient modérés ($), et surtout là où ils sont très faibles (le yen nippon). A présent, les échéances de ces emprunts arrivent, et le won coréen se dévalue assez nettement. Comme les Chaebols ont emprunté en $ et en yen, ils sont obligés de rembourser des $ et des yens qui se sont réévalués, il s’agit un peu de la répétition de la Crise asiatique de 1997, toutefois alors qu’en 1997 les réserves coréennes de devises atteignaient 25 milliards $ et qu’en fait, déjà engagées elles n’existaient donc plus, aujourd’hui les réserves coréennes dépassent les 250 milliards $, elles pourront donc couvrir les engagements irréfléchis des Chaebols.

A cette crise spécifique aux méthodes de financement des entreprises coréennes semblent s’ajouter comme en Chine deux crises immobilières dans le domaine des logements et dans le domaine des tours de bureaux. Après leur brève sortie des crises des années 1990 jusque vers 2004, différents pays d’Amérique latine semblent de nouveau atteints pour deux raisons :

La crise américaine s’exporte depuis octobre 2008 ; après une forte hausse gonflée en été 2008 par une spéculation alimentée par les « Hedge Funds » (fonds de spéculation) et par l’arrière garde des Banques d’Investissements, les prix des matières premières sont retombées au dessous de leurs niveaux de 2006, ce qui entraîne de fortes baisses de revenus surtout au Venezuela, en Equateur et au Brésil. Depuis 2003, la Russie avait connu une forte croissance économique d’ailleurs très facilitée par la hausse des cours du pétrole et du gaz naturel, le retournement des cours entraîne ses effets sur le budget de l’Etat. Pour financer leurs investissements, les oligarques ont massivement emprunté à court terme en $ et en yen ils se sont donc financés comme les coréens par du « Carry Trade ».

« Les actifs s’évaporent et les dettes s’accrochent », il faut donc rembourser les emprunts en $ et en yen arrivés à échéance. A la différence de la crise de 1998 la Russie disposait en été 2008 de près de 600 milliards de dollars de réserve en devises, toutefois la défense de la parité du rouble se révèle coûteuse et les réserves sont tombées à 425 milliards $, au rythme ou elles fondent elles peuvent, en théorie, durer six mois. Les oligarques sont par ailleurs contraints de quémander l’aide de l’Etat, il semble couramment admis que la Sainte Mère la Russie aidera les fidèles (à Vladimir Poutine) et jettera aux requins les mécréants, les choix ne sont pas encore faits mais bientôt l’horloge sonnera… Le cas de l’Afrique est à part, seule l’Afrique du Sud est considérée comme pays émergent, en fait c’est essentiellement un exportateur de minerais, sa santé est donc déterminée par les cours des minerais. En dépit de ses exceptionnelles richesses minières l’Afrique du Sud ne connaît depuis la fin de l’Apartheid (1994) qu’une croissance lente (de l’ordre de 3% l’an). Ce mystère apparent s’explique par une cause restée fort discrète : la fin de l’Apartheid a été négociée en échange du respect absolu des principes de l’économie libérale, surtout la libre circulation des capitaux. Ce principe couvre d’importantes exportations de capitaux qui financent en partie l’exode de la part fortunée de la minorité blanche, ainsi que le redéploiement hors de l’Afrique du Sud des capitaux des grandes sociétés internationales telles que « L’Anglo American » ou la « De Beers ». Les sociétés minières ne font guère d’investissements de capacité et assez peu d’investissements de productivité car les salaires n’ont pas vraiment augmenté depuis 1994, elles ne réalisent donc que des investissements d’entretien en particulier l’amortissement des mines d’or en voie d’épuisement est implicitement programmé. L’Afrique du Sud soufre donc d’importantes exportations de capitaux qui rendent presque impossible une croissance économique alors que la croissance démographique reste rapide. La crise économique touche donc les pays émergents mais tout simplement parce que, comme avant la Crise de 1997-1998, ces pays ont souvent financé des investissements spéculatifs par le « Carry Trade » c’est-à-dire des emprunts à court terme en devises étrangères, par contre leurs réserves en devises sont souvent beaucoup plus élevés ce qui les met plutôt moins à la merci d’un FMI (Fonds monétaire International), désormais haï depuis la crise de 1998 surnommée « Crise du FMI ».

Au fond, quelles sont-elles, ici, les racines du mal ? On parle beaucoup de l’importance et du développement récent des « Hedge funds », ces spéculateurs-particuliers de l’ombre dont les intérêts ne sont pas franchement compatibles avec ceux des entreprises et du système économique international qui se doit de fonctionner sur du long terme…

Une approche de certains concepts de la « théorie économique libérale » peut permettre une meilleure explication de la Crise actuelle, Trois concepts sont essentiels :

– La théorie des « Marchés efficients »
– La théorie de « l’Homo Economicus »
– La théorie de « l’Agent général »

La théorie des « Marchés efficients » affirme que les Marchés efficients assurent par eux-mêmes « l’allocation optimale des capitaux et des investissements ». En conséquence les taux d’intérêt, les rendements et les bénéfices doivent tendre vers le même niveau. Les différences de rendement ne peuvent s’expliquer que par des différences de risque. Il ne peut y avoir sur un marché transparent d’asymétrie des informations à l’exception des « délits d’initiés », très sévèrement punis par la Justice américaine, qui une fois mise en route par des plaintes va jusqu’au bout. L’Homo Economicus est un être parfaitement raisonnable qui sur un Marché transparent, alloue ses capitaux de façon toujours optimale en fonction des prises de risque qu’il sait pertinemment consentir. Ce n’est pas un joueur, mais par contre ses placements participent aux risques de l’entrepreneur qui, en particulier selon l’œuvre théorique de Josef Schumpeter sont le véritable moteur de la croissance économique. L’« agent général » dirige l’entreprise dans l’intérêt de ses propriétaires, ceux-ci ont évidement intérêt à ce qu’il en soit ainsi, c’est pourquoi l’on peut faire confiance aux actionnaires pour que l’entreprise soit dirigée suivant leurs intérêts, la minorité qui ne serait pas d’accord peut toujours vendre et donc infliger comme sanction la baisse des cours en bourse. La théorie des « Marchés efficients », explique l’actuelle crise économique, ceux qui ont voulu faire mieux que le marché n’y sont parvenus que par des prises de risque dont le prix est payé par les pertes sur les actifs (investissements) à risques et par le coût du désendettement des emprunts eux-mêmes risqués. Mais cette explication reste courte, encore qu’elle permet d’expliquer la faillite des deux théories de « l’Homo Economicus » et de « l’agent général ». L’homo Economicus est une construction théorique, ce qui permet d’expliquer l’échec des économistes de la Déréglementation. En réalité, « l’Homo Economicus n’est pas du tout l’être raisonnable décrit dans la théorie des « Marchés efficients, l’ « Homo Economicus » est dirigé par deux sentiments, sinon logiques, du moins fort compréhensibles :
– La cupidité, elle le pousse à prendre des risques pour gagner plus et plus vite, lorsque les prises de risques deviennent collectivement déraisonnables, les cupidités gonflent des bulles spéculatives financées par des crédits risqués.
– La trouille, elle pousse l’Homo Economicus à chercher la sûreté pour ses capitaux donc de se réfugier dans la liquidité de ses placements ou dans la sûreté de ses placements, traditionnellement les Bons du Trésor des Etats jugés sérieux.

Ainsi s’expliquent les cycles spéculatifs financiers décrits dès 1862 par Clément Juglar parfois sous le nom de « Cycles de Juglar » (les anglo-saxons ignorent Clément Juglar, et énoncent le concept de « Business Cycle » ou cycle des affaires). La cupidité gonfle la « Bulle spéculative financière » constituée par des actifs (investissements) à risque, eux même financés par des emprunts risqués. Lorsque la « Bulle spéculative financière » se liquide, la trouille inspire la fuite des capitaux vers les liquidités ou vers la sûreté. Les premiers qui fuient s’échappent, les suivants ont le choix entre payer très cher les places sur les canots de sauvetage ou couler, après il reste les yeux pour pleurer avant d’être jeté aux requins, « La vie est injuste ». C’est pourquoi les crises financières sont brutales, il vaut mieux fuir avant les autres pendant qu’il en est encore temps. Il en résulte un désendettement brutal de l’économie, source de difficultés de financement qui mènent les entreprises spéculatives vers les faillites. Ce sont les crises financières spéculatives, ou plus exactement leurs deuxièmes phases (les premières phases correspondent au gonflement par des crédits risqués des bulles spéculatives d’actifs à risques).

L’« agent général »

La déréglementation s’est en pratique accompagnée d’une indépendance croissante de l’ « agent général », qui échappe désormais au contrôle des actionnaires des entreprises. Ce phénomène se traduit de deux façons :

– L’envol des rémunérations des équipes dirigeantes : JP Morgan le fondateur de la Banque Morgan (scindée en deux à la suite du « Glass Seagall Act » qui jusqu’en 1999 séparait les activités de banques de dépôts et de banques d’affaires), fixait à 20 fois le salaire moyen de l’entreprise la rémunération de son PDG (en américain CEO), Henry Ford le fixait à 40 fois le salaire moyen, (il est vrai dans les deux cas sans les dividendes des actions du propriétaire), depuis les années 1990, il dépasse plusieurs milliers de fois le salaire moyen.

– Les modes de rémunération renforcent l’envol des paiements, en particulier avec des « Stock Options » calculées pour assurer des plus-values sans commune mesure avec le marché, et des « parachutes dorés » sans rapport avec le travail ni le talent, en fait les dirigeants se fixent eux-mêmes leurs fortunes.

Ce n’est plus l’argent du talent mais l’argent du pouvoir, l’« agent général » se paie lui-même dans son seul intérêt. Les bonus des dirigeants et des traders récompensent l’immédiat, lors des pertes futures l’ « agent général » est parti avec ses bonus et les actionnaires subissent les pertes. L’échec de la théorie de l’« agent général » explique largement l’accélération de la spéculation dès les années 1990. La bulle spéculative financière s’explique dès lors non seulement par la cupidité mais aussi par la disparition de la responsabilité des dirigeants des entreprises, cela explique notamment les pertes des traders fous à la Société Générale, aux Caisses d’épargne, et deux fois à Calyon, elles sont le résultat des nouvelles cultures de ces entreprises… Le système financier a donc été ravagé par une culture de la cupidité qui a transformé les décideurs en mercenaires décidés à se payer sur la bête sans vraiment se préoccuper de leurs responsabilités. Le cynisme a pris un aspect quasi-institutionnel avec les différents fonds spéculatifs. Les plus connus sont les « Hedge funds » ou fonds de spéculation officiellement gérés à Wall Street ou à la City mais avec des milliers de correspondants établis dans des paradis fiscaux lesquels sont soit sous souveraineté britannique, soit membres de l’Union européenne, directement ou parfois indirectement. Moins connus sont les fonds « M and A » spécialisés dans le rachat des entreprises par « LBO » (acquisition à crédit), leurs déboires devraient apparaître en 2009. Enfin cinq Banques d’investissement américaines très huppées de Wall Street ont fait plus que les « Hedge funds », depuis, deux ont été rachetées, une est partie le ventre en l’air, deux se transforment en banques de dépôts, mais les ardoises restent et plombent le système financier.

Est-ce que les fameuses « subprimes », a priori à l’origine du mal, ne sont pas uniquement un élément déclencheur de la crise ?

Les « subprimes » sont un aspect essentiellement technique de la Crise, elles ont d’ailleurs été mises en pratique surtout à partir de 2005 pour prolonger une bulle immobilière dont le gonflement, aux USA, en GB, en Irlande, et en Espagne commençait à s’essouffler, au demeurant le livre a d’abord retenu comme causes de la crise les « LBO » (acquisitions d’entreprises à crédit) et les « Hedge funds » (fonds de spéculation). Par contre les montants des « subprimes » sont tels qu’ils entraînent une déstabilisation des systèmes financiers. Couramment estimés à 1500 milliards $ aux USA leur montant cumulé atteint sur cinq ans 2660 milliards de dollars non compris les « AltA » (prêts menteurs) avec 600 milliards de dollars accordés en trois ans. En Grande Bretagne, en Irlande et en Espagne, par rapport aux PIB les montants relatifs sont encore plus élevés qu’aux USA.

Est-ce que la France peut-être en faillite ?

La faillite de la France est un thème très porteur depuis 2005. Certes les finances publiques pourraient et devraient être en meilleur état, mais pour en venir à la faillite il faudrait une dégradation très profonde qui si elle n’est pas absolument impossible est loin d’être inéluctable.

Rappelons qu’actuellement sur les marchés financiers les dettes des entreprises et des banques ne trouvent pas preneur, et que les investisseurs ne souscrivent que les bons du Trésor des Etats jugés sérieux dont la France… Pour être convenablement évaluée la dette publique doit être rapportée au PIB, elle s’exprime donc en % du PIB. La dette présente de la France atteint en fait près de 67% du PIB. C’est beaucoup, mais la dette fédérale américaine (non compris les 50 Etats et les municipalités) atteint quelques 73% du PIB et ce avant les nécessaires mesures de sauvetage de l’Economie américaine. La dette publique allemande atteint quelques 64% du PIB et la dette publique autrichienne quelques 62%. Historiquement la dette publique française a été plus élevée, de l’ordre de 100% du PIB au début du XXe Siècle, or la Signature de la France était jugée la meilleure du monde… Il convient d’ailleurs de replacer la dette publique dans l’endettement total d’un pays. Les finances publiques italiennes sont avec 104% du PIB assez médiocres mais les ménages italiens sont moins endettés que les français (90% du PIB), ou les allemands (105% du PIB). Les finances publiques espagnoles sont apparemment impeccables avec une dette publique de 40% du PIB, mais l’endettement privé dépasse les 130% du PIB. Il en est de même en Grande Bretagne, ou même si la dette publique reste à 40% du PIB, la dette des ménages atteint quelques 176%… Pour mettre la France en faillite, les hypothèses suivantes sont appliquées : en 2017 la dette de la France atteindra 170% du PIB. Cela suppose un accroissement de 100% du PIB en dix ans, ce qui suppose un déficit budgétaire de 7% par an pendant 10 ans, ce qui ne s’est jamais réalisé sauf en temps de guerre puis les deux années d’après guerre… Certes les nécessités de la relance économique pourraient entraîner des déficits budgétaires exceptionnels, mais pas pendant dix ans… En fait les auteurs de la faillite inévitable de la France imaginent d’ajouter à la dette publique le poids actualisé des retraites des fonctionnaires, mais jusqu’à présent aucun pays ne l’a jamais fait. Une telle innovation serait favorable à la Grande Bretagne aux USA et aux Pays Bas ou les retraites des fonctionnaires sont versées par des fonds de pension privés ;

Le problème, c’est que les fonds de pension privés ne sont pas assez provisionnés pour faire face aux retraites futures, ils ne le sont le plus souvent qu’à 85%, et encore dans l’hypothèse d’un rendement des placements de 8% par an ce qui suppose des bénéfices spéculatifs (ce fut aussi le rendement annuel moyen du désormais célèbre fonds Madoff)… D’ailleurs les fonds de pension ont acquis sur les marchés souvent auprès des Banques des actifs qui depuis se révèlent radioactifs, les pertes correspondantes qui ne sont pas affichées dépasseraient 20% des actifs… Le vrai problème de la dette publique française est en fait celui de son évolution et de ses causes. Depuis 1980 la croissance moyenne de la France atteint 1,8% par an, de nombreux plans de relance par la consommation ont été lancés, ils ont eu pour effets essentiels de creuser la balance des paiements par des importations et de porter la dette de la France de 20% à 67% du PIB. Le vrai problème de la France n’est donc pas sa dette publique mais l’absence de croissance de son économie…

Fautives, également, nous dit-on, les agences de notation. Vous recommandez, dans votre essai, pour bien faire, de laisser ce rôle de contrôle / régulation à des organismes étatiques, aux ministères des finances, aux banques centrales (la Coface en France, aussi)… Vous pensez que l’étendu des dégâts et la volonté des gouvernements suffiront à faire en sorte que le fonctionnement du système financier international soit revu et corrigé ?

La déréglementation a été quelque peu couverte par les agences de notation. La notation des actifs financiers et des entreprises a constitué un substitut de la police des marchés enlevée aux Etats par la déréglementation, mais comme sur les places financières tout le monde faisait de l’argent pourquoi pas les agences de notation ? Les agences de notation se sont très bien accommodées de situations à l’origine de ce que l’on appelle des conflits d’intérêt : elles ont en particulier été payées par les emprunteurs qu’elles notaient (et dans ce cas la notation devient suspecte de partialité intéressée), et surtout elles ont été payées par les émetteurs des CDO radioactifs qu’elles ont noté AAA, et dont, sur les marchés financiers plus personne ne veut. Toutefois aucune mesure n’a été prise, la Commission de l’Union Européenne a simplement prévu d’exiger à l’avenir une transparence des notations et la présence « d’administrateurs indépendants » dans les conseils d’administration des agences de notation, aux USA des projets analogues vont dans ce sens.

Alan Greenspan a pourtant longtemps soutenu que les « Hedge funds » représentaient « les abeilles qui fécondent le pollen de Wall Street »… Comment vont aujourd’hui se retourner tous ces spécialistes de la finance internationale promoteur du libéralisme intégral et déréglementé ?

Si les spécialistes de la finance internationale se retournent ce n’est pas dans leur tombe, les plus malchanceux se sont rangés des voitures avec de gras bonus pour financer une vie heureuse. La plus grande partie conserve son pouvoir, la défense s’organise avec les professeurs d’université : elle dénonce les instincts populistes des politiciens décidés à réglementer les activités financières, et la chasse aux sorcières dans la blanche finance. L’Université vient à la rescousse au nom de la défense de l’Economie de Marché, de l’Esprit d’Entreprise et des Fondements du Libéralisme, toutefois les dirigeants financiers et leurs alliés universitaires ne peuvent cacher deux soucis. D’abord, la crise financière n’est pas terminée et ensuite les pertes sont loin d’avoir toutes été révélées, la crise de l’économie réelle s’annonce, avec des conséquences sociales et économiques inquiétantes.
Le Président Obama s’est entourée de l’ancienne équipe Clinton qui avait prolongée la politique de déréglementation initiée par l’administration Reagan, pour les promoteurs du libéralisme intégral, cela est plutôt rassurant, mais le pouvoir politique va tout de même devoir affronter la colère du peuple et aux USA à la fin c’est toujours le peuple qui l’emporte ! En particulier si le peuple veut des têtes, les procureurs (élus au Suffrage Universel Direct) des Etats de New York et de Californie seront obligés de poursuivre, et une fois que la Justice américaine se met en marche rien ne l’arrête et ce sont des jurys populaires qui condamnent ! En Europe le pouvoir politique n’appartient plus au peuple, mais ce qui se passe en Grèce pourrait bien se passer en France, et les moyens de répression normaux, au nom de la défense de « l’Etat de Droit », fort efficaces d’habitude risquent de devenir défaillants.

Alan Greenspan qui fut le plus haut responsable du système économique mondial a récemment déclaré que la crise actuelle est « un tsunami comme on en voit un par siècle ». Pourtant, dans votre ouvrage, vous estimez qu’il n’a pas bien mesurée cette « faille ». Pire, vous écrivez qu’il savait et n’a rien fait ?

Dans les années qui ont précédé la « Crise Internet », puis l’actuelle crise de 2007, la politique de la Federal Reserve a présenté la même volontaire cécité, bien que le Président Greenspan ait été régulièrement alerté par au moins l’un des membres du Conseil des gouverneurs de la Federal Reserve. Les motifs des choix du Président de la Federal Reserve sont expliqués, et dans l’article de l’IHT du 18 décembre 2007, et dans les mémoires du Président Greenspan, intitulées « The Age of turbulence ». Tout d’abord, il semble avoir été favorable au principe même des prêts hypothécaires à haut risque, ainsi qu’il le déclare en 2005 : « Là, où des candidats, jusque là marginaux, n’obtenaient pas l’accès au crédit, les prêteurs sont à présent capables d’évaluer très efficacement le risque posé par chaque demandeur individuel, et d’en établir la prime de risque correspondante ». Surtout, dans ses mémoires, Alan Greenspan révèle sa profonde aversion pour la réglementation des activités financières, et des marchés. Sur le fondement explicite des principes énoncés en 1776 par Adam Smith, il énonce que les individus qui commercent librement, en suivant leurs intérêts particuliers, créent une économie dynamique, et stable, et, même en cas de crise, les économies se stabilisent d’elles mêmes. Alan Greenspan a ainsi proclamé son hostilité à la loi Sarbanes Oxley, passée après les « affaires Enron et World Com », pour garantir la transparence des comptabilités d’entreprises, et la responsabilité pénale des commissaires aux comptes à raison des comptes qu’ils certifient, ainsi qu’à la loi « Glass Steagall », passée en 1933, pour interdire aux banques, et de vendre des actions, et de posséder des filiales à cet effet, afin d’éviter qu’elles financent à nouveau les « call loans » qui avaient financé la crise boursière de 1929. Dans son hostilité à la réglementation des marchés, Alan Greenspan veut que les agences de contrôle soient nombreuses, afin que selon le principe de Montesquieu, « Le Pouvoir arrête le Pouvoir », et que donc, les contrôles deviennent inefficaces. Ce principe s’est, au cours de la bulle des prêts hypothécaires à haut risque, révélé d’une redoutable efficacité : ainsi que le rappelle l’IHT du 18 décembre 2007, lorsque les états de Georgie, et de Caroline du nord votèrent des lois contre les pratiques abusives en matière de crédit, toute enquête auprès des filiales locales des banques soumises aux lois fédérales, fut interdite par l’Office fédéral du contrôle de la monnaie. De même, Sheila Bair, alors assistante du secrétaire fédéral au Trésor, ne parvint jamais à imposer aux prêteurs hypothécaires la moindre règle, même volontaire… Dans ses mémoires, le Président Greenspan adresse un vibrant éloge aux « Hedge funds » (fonds de spéculation), et aux « Private equity funds », (en fait des fonds d’acquisitions d’entreprise par le crédit, ou « LBO »), et affirme ouvertement qu’ils représentent les finances de l’avenir. Aussi, il refuse toute idée de surveiller les activités des « Hedge funds » : « Pourquoi inhiber les abeilles qui fécondent le pollen de Wall Street ? ». Le Président Greenspan observe que le commerce international croît plus vite que les PIB, que la « mort de la distance », issue des progrès décisifs dans les domaines des télécommunications ont développé les transactions financières internationales plus vite que le commerce. Il en déduit la nécessité d’inventer et de développer les formes nouvelles de la finance, tels que les dérivés du crédit, les titres de crédit garantis par les actifs (ABCP ou Asset Backed Commercial Papers), les transactions fictives sur le pétrole (Oil Futures), et surtout les CDS, des dérivés de crédit, sous la forme de titres de crédit émis sur le marché. Il ne voit aucune raison de s’inquiéter des spéculations, car la somme des intervenants élimine les profits anormaux, et tendent à égaliser les rendements, assortis de leurs primes de risque : toutefois, ce 18 décembre 2007, un article de l’IHT, intitulé « Plenty of warning of suprime storm », sous les plumes de Edmund L. Andrews, et de Gretchen Morgenson, a révélé la Vérité : le Président Greenspan est nu ; il a dûment été, à plusieurs reprises, alerté sur le danger des prêts hypothécaires à haut risque, il a toujours refusé d’agir, et même d’enquêter. Six années durant, de 2001 à sa mort en 2007, Edward Gramlich, membre du comité des gouverneurs de la « Federal Reserve », et président de la commission des affaires des consommateurs n’a cessé d’alerter le Président Greenspan, sur l’existence de prêts hypothécaires risqués, et bourrés de vices cachés. Il a en particulier, dénoncé des prêts hypothécaires à haut risque consentis au-delà de la capacité de paiement de l’emprunteur, dont la solvabilité était calculée sur la base des taux d’appel des deux premières années, et non sur la base, bien plus réelle, des taux définitifs, prêts assortis de pénalités dissuasives sur d’éventuels remboursements anticipés pour empêcher les emprunteurs de se tourner vers d’autres crédits moins chers…Tout le mécanisme des prêts hypothécaires à haut risque, appelés « Subprime » était ainsi décrit. En privé, Edward Gramlich supplia Alan Greenspan de dépêcher des contrôleurs compétents pour vérifier les activités des filiales de crédit hypothécaires des banques soumises aux lois fédérales. Plusieurs, dont une filiale de la Bank of America, avaient été mises en cause par des associations de consommateurs, voire même des contrôleurs des états. Edward Gramlich était persuadé que des contrôleurs de la Federal Reserve pourraient, eux, mettre fin à ces prêts, par une action à l’intérieur des banques soumises aux lois fédérales. Alan Greenspan ne cessa de s’opposer à cette suggestion : Faire apparaître que la Federal Reserve surveille tous ces milliers de filiales, et y procède à des audits, alors qu’elle ne dispose pas du personnel nécessaire, pouvait, à contrario, donner le sceau d’une autorisation aux établissements de prêts, dont il ne serait pas possible de détecter les pratiques trompeuses… En 2004, les deux dirigeants de l’institut Greenlining, une association de défense des propriétaires de logement, John Gamboa, et Robert Gnaizda, parvinrent à être reçus en audience par le Président Greenspan. Ils le supplièrent d’imposer un code de conduite volontaire. En réponse, il refusa, il n’était tout simplement pas intéressé par le problème. Selon le « Financial Times (19 septembre 2008), le Président de la Commodity Futures Trading Commission (la CFTC) alerta en 1998 le Président Greenspan sur les risques issus de la croissance massive des dérivés « over the counter » (c’est-à-dire sans « chambre de compensation » (lorsqu’un marché se réalise autour d’une chambre de compensation, les positions acheteuses ou vendeuses ont pour partenaire la chambre de compensation ce qui réduit les risques et permet le suivi donc la surveillance du marché). Ces dérivés sont aujourd’hui au coeur du « risque de contrepartie », le Président Greenspan répondit qu’un nouveau système réglementaire risquerait de déstabiliser les marchés. La Federal Reserve semble donc avoir volontairement ignoré la formation de la bulle des crédits immobiliers à haut risque, bien que son président ait, à plusieurs reprises, été dûment alerté, en particulier par un des membres du conseil des gouverneurs de la Federal Reserve. Elle a aussi volontairement ignoré les risques d’un marché des CDS ou faute d’une chambre de compensation les vrais partenaires à un contrat peuvent changer sans que cela soit connu. Comme le veut la règle fondamentale de l’économie libérale : les marchés tendent toujours à se stabiliser c’est pourquoi, les règlements, toujours très compliqués, freinent l’innovation, et que, moins il y en aura, mieux ce sera… Il n’est, dès lors pas surprenant, que les deux chiens qui n’avaient pas aboyé, soient passés inaperçus. Lors de la « Bulle Internet », dont Alan Greenspan avait été assez conscient pour relever en 1996 « L’exubérance irrationnelle de la valeur des actifs »il a, par la suite, observé les compagnies de télécommunications réaliser des réseaux concurrents de fibres optiques, chacun supérieurs aux besoins de l’ensemble du marché, (mais elles ignoraient toutes les 100 derniers mètres, les plus coûteux, pour desservir chaque abonné)…et aussi le gonflement des bulles de fraudes comptables, telles Enron, World Com… jusqu’à l’effondrement (qu’il ne mentionne pas), du marché des actions, de 2001 à 2003. Les développements de la « Bulle des prêts hypothécaires à haut risque », et de la « Bulle des instruments de crédit » semblent aussi être passés inaperçus. Certes, en juin 2004, Alan Greenspan, s’est aperçu, de l’existence de ce qu’il a baptisé un « Conundrum » : Alors que les taux directeurs de la Federal Reserve étaient augmentés, les taux des bons du Trésor, et des autres titres de crédit, suivaient très brièvement, pour redescendre plus, peu de temps après. C’était, tout simplement, un signe de la formation de la « Bulle des instruments de crédit ». Les achats massifs de bons du Trésor américain, contrepartie de la croissance accélérée des réserves chinoises, issue du déficit commercial américain pesaient lourdement sur les taux des bons du Trésor. Pour rétablir des rendements plus élevés, les banques, et les gestionnaires des fonds recherchaient les titres de crédit les plus risqués, telles les « Obligations pourries », rebaptisées titres à haut rendement ! La valeur des titres de crédit gonflait artificiellement, et donc entraînait une baisse des écarts de taux entre les crédits les plus sûrs, les bons du Trésor américain, et les titres de crédit les plus risqués… Les deux chiens qui n’aboyaient pas, la « Bulle Internet », et l’actuelle « Bulle des instruments de crédit » ont provoqué la « Crise Internet » d’abord, et surtout la « Crise des instruments de crédit de 2007 ».

D’abord, pour que nous sachions bien de quoi on parle, selon vous : avons-nous aujourd’hui affaire à une crise internationale aussi « catastrophique » que les médias et les spécialistes veulent bien l’annoncer ?

L’ampleur d’une crise économique résulte de l’ampleur de la bulle financière qui en est à l’origine, quelques chiffres permettent de l’évaluer :

– les « subprimes » : 2660 milliards $ prêtés en 2003, 2004, 2005, 2006 et 2007,
– les « AltA » (prêts menteurs) : 600 milliards $ prêtés en 2005, 2006 et 2007,
– les « LBO » (Acquisitions d’entreprises à crédit) : 1000 milliards de dollars,
– les actifs des « Hedge funds » (fonds de spéculation) : 2200 milliards $ l’été 2007.

Ces chiffres ne comprennent pas les « subprimes » et les « AltA » en Grande Bretagne, en Irlande, et en Espagne. En Espagne, le marché immobilier devient digne de Buñuel (célèbre cinéaste espagnol) avec de 600 000 à 1 000 000 de logements vacants et 760 000 de plus en voie d’achèvement.

La situation des banques aux Pays Bas et au Danemark nécessite déjà des plans de sauvetage de l’Etat. Les crises économiques simples comprennent deux phases :

– le gonflement de la Bulle spéculative par le crédit
– la liquidation de la Bulle spéculative par le désendettement.

Or dans l’actuelle crise économique, les phases sont plus nombreuses, ce qui n’est vraiment pas bon signe ! La liquidation de la bulle spéculative par le désendettement comprend déjà deux phases : avant Septembre 2008 ; depuis Septembre 2008 ; et il semble qu’il y aura une troisième phase. La crise financière se complète avec une première phase d’une crise de l’économie réelle, en particulier dans les secteurs de la construction et de l’automobile. Or en 1930, le passage de la deuxième phase de la crise financière (deux phases d’abord à la Bourse des actions puis auprès des banques) à la crise de l’économie réelle avait débuté… Dans les secteurs de la construction et de l’automobile. Un aspect rassurant : cette fois-ci les Banques centrales et les Etats interviennent (beaucoup plus aux USA qu’en Europe d’ailleurs).

Vous parlez d’un dépérissement des Etats vers un « capitalisme sans État ». De la fin d’un « capitalisme civilisé ». Comment en est-on arrivé là ?

Le dépérissement des Etats vers un « capitalisme sans État » correspond à l’un des éléments de la fin du « capitalisme civilisé ». Il correspond à l’arrivée au pouvoir d’une « génération de la déréglementation » (qui est d’ailleurs aussi la génération de la grande « Révolution Autogestionnaire et libérée » de 1968). La déréglementation est issue du triomphe du libéralisme militant de l’« École de Vienne », avec Josef Schumpeter et surtout Friedrich Von Hayek, Schumpeter attribue la croissance économique au seul entrepreneur dont l’action, souvent à l’origine des destructions créatrices des activités qui cessent d’être compétitives, constitue le seul moteur du développement de l’économie.

Pour les animateurs de l’Ecole de Vienne, l’Etat ne se présente que sous la forme de la dictature communiste, ou des États prédateurs. Ils reprennent les idées de Frédéric Bastiat (économiste libéral du milieu du XIXème Siècle) pour qui l’État gaspille l’argent des impôts toujours trop élevés et redistribués en faveur des groupes les mieux organisés, aujourd’hui appelés les « insiders », c’est-à-dire les fonctionnaires budgétivores qualifiés de nantis depuis Raymond Barre. Dans ses écrits Friedrich Von Hayek essaie en vain de rompre les relations entre l’État et l’élection sans y parvenir, Jean Monnet, le père fondateur de l’Union Européenne trouve la solution avec les institutions de la CECA, le pouvoir politique est alors subordonné à une « Haute Autorité » indépendante et au dessus du politique, en charge de l’intérêt de l’Europe ce qui fonde sa légitimité. L’État doit alors se soumettre au Droit, en particulier aux principes du Droit de l’Economie libérale soit La Concurrence libre et non faussée, et la « Liberté d’établissement », c’est-à-dire la liberté absolue de circulation des capitaux. Toute action de l’État susceptible de porter atteinte à l’un de ces deux principes constitue un manquement au libre échange, toute aide de l’État apportée à une activité économique constitue une atteinte à la concurrence libre et non faussée. La notion même de « Champion national » constitue une atteinte inacceptable aux principes et au droit de l’économie libérale, l’État doit impérativement réduire les impôts, mettre fin aux dépenses publiques excessives, et transférer au privé, dans le cadre de la concurrence libre et non faussée, tous les actifs des entreprises publiques qualifiés de « Monopoles naturels ». Sans l’Europe, l’économie française ne serait pas devenue une économie libérale compétitive mondialisée issue des privatisations imposées par le respect des Principes fondamentaux du Droit européen. Aux USA, l’évolution vers le dépérissement de l’État est le résultat de la grande révolution libérale des années 1980 imposée par l’Administration Reagan et poursuivie lors des années 1990 par l’Administration Clinton.

Quel serait, dans l’idéal, le bon fonctionnement d’un « nouveau système financier » ayant retenu la leçon de cette crise ?

Une réponse semble raisonnable : l’actuelle crise est d’abord une crise de la déréglementation.

Les transformations des déréglementations bancaires en activités spéculatives sont parfois immédiates, ainsi que le montrent deux exemples :

– Lorsque, à partir de la loi de 1980, les « Savings and Loans » (caisses d’épargne) américaines sont déréglementées, leurs dirigeants veulent alors accroître les profits. Ils se lancent dans des opérations dont les risques élevés permettent d’anticiper des résultats brillants. Mal calculés par des dirigeants ignorant les caractéristiques des nouvelles opérations qu’ils finançaient, les risques ont transformé les rêves de juteux bénéfices en cauchemars d’investissement spéculatif sans valeur. La majorité des « Savings and Loans » devinrent alors des zombies prêts à se refaire dans les risques les plus désespérés, à l’image du héros d’un célèbre roman d’Hemingway, En avoir ou pas.
– Lorsqu’en 2005, la Commission de l’Union européenne interdit, sur le fondement du manquement aux traités européens, donc l’absolu respect de la concurrence libre et non faussée, les garanties d’assurance des länder allemands aux landesbanken, certaines (l’IKB, la Sachsen LB, la West LB), pour compenser le léger surcoût du crédit qui en résultait, ont cherché à accroître les rendements de leurs prêts avec l’achat de CDO notés AAA, et de crédits hypothécaires sur le marché européen.

Les résultats sont devenus décisifs, ainsi que l’affirme le directeur d’une banque allemande cité de façon anonyme par The Economist (27 septembre 2008) dans l’article « While Rome Burns » : « Soulevez le bonnet d’une banque en Allemagne et vous trouverez souvent une ruine fumante à l’intérieur ». Les déréglementations des années 1980 ont eu pour effet de jeter aux orties les vieilles règles de prudence bancaire élaborées à la fin du XIXème siècle pour garantir les banques contre les risques financiers majeurs tels qu’ils s’étaient révélés à partir de l’industrialisation. Les banques britanniques devaient investir 30% de leurs actifs sous forme liquide, aujourd’hui 1% suffit… Les banques françaises étaient tenues par la loi de placer 60% et par la tradition 80% de leurs dépôts à vue en actifs réescomptables par la Banque de France, aujourd’hui les dépôts à vue sont considérés comme sûrs… Les normes de prudence établies par la BRI (Banque des règlements internationaux) sont procycliques donc dangereuses. Elles prévoient en effet le maintien d’un capital en pourcentage des actifs, mais l’érosion des actifs exige de provisionner les pertes correspondantes donc de se recapitaliser lorsque les marchés sont défavorables. Leur situation semble devenue telle que les refinancements futurs des banques sont devenus aléatoires. Le rôle des banques dans l’économie est-il compatible avec la déréglementation ? Le fait est que lors de l’actuelle crise, les banques centrales se sont senties obligées de soutenir les banques, au point de se substituer dans une large mesure au financement par des titres de crédit que le marché ne refinance plus. Les banques ne sont donc pas des entreprises comme les autres, et le crédit est à l’économie financière ce que l’eau et l’électricité sont à la vie actuelle. Les banques doivent donc être réglementées dans le but d’assurer la continuité de leur service. Les règlements actuels sont mauvais parce que procycliques. L’approche par l’obligation de placer une partie des actifs sous une forme mobilisable à vue par la Banque centrale s’impose : La sagesse des anciens règlements se confirme donc. Toutefois l’état de la planète financière ne permet pas de revenir aux anciennes règles bien qu’elles fussent fort adaptées face au risque financier majeur. Une approche pourrait être envisagée à partir des éléments très simplifiés d’un bilan de banque :

Passif (origine des fonds) :
– capitaux propres : capital + réserves (bénéfices accumulés à réinvestir),
– emprunts à long terme (en fait obligations émises par la Banque),
– emprunts et dépôts à court terme,
– dépôts à vue,
– refinancement à terme sur le marché,
– refinancement à court terme sur le marché, et titres à échéance rapprochée.

Les leçons de l’actuelle crise suggèrent que les refinancements par titrisation sur le marché sont les plus fragiles car les investisseurs paniquent avant les déposants. A l’inverse, les capitaux propres et les emprunts à long terme forment la partie la plus stable du passif, une limitation sévère du recours à la titrisation semble donc raisonnablement s’imposer.

Actifs (emploi des fonds) :
– actifs mobilisables à vue auprès de la Banque centrale : bons du Trésor des pays de la zone euro, de l’Europe occidentale, des Etats-Unis, du Canada et de l’Australie,
– obligations des grandes collectivités locales de ces mêmes pays,
– papier commercial émis par les grandes entreprises industrielles de ces mêmes pays (sous réserve d’analyse financière par la banque ou d’une notation par la Banque centrale),
– obligations des mêmes entreprises.

Ces actifs sont très surs, toutefois, en cas de crise financière, les entreprises peuvent rencontrer des difficultés à rembourser à échéance leur papier commercial. En revanche, elles auront moins de difficultés à assurer le service de leurs obligations. Actifs de bonne qualité mais moins liquides. Actions d’entreprises de bonne qualité.Prêts aux particuliers, sous condition d’un bon « credit scoring » (établissement des profils types des bons emprunteurs), les prêts aux particuliers ne doivent en aucun cas mener à un surendettement, ce qui suppose une réglementation correspondante : Elle aurait prévenu les « subprimes ». Actifs un peu plus risqués : crédit aux entreprises sous condition d’une bonne analyse financière. Actifs à risque : les crédits à un intermédiaire sont plus risqués que des investissements directs. Il appartient alors d’établir des ratios, quant à la ventilation des actifs, afin que les banques restent liquides même en cas de panique des investisseurs sur les marchés.

En ce qui concerne le passif, le plus risqué est certainement la titrisation des actifs sur les marchés, viennent après les dépôts à vue. La ventilation des actifs doit donc tenir compte des risques issus de la nature des passifs. Toutefois une réglementation des passifs comme Bâle I et Bâle II est toujours procyclique. A l’inverse, une réglementation des actifs n’est pas procyclique ; en effet, si les actifs les plus risqués perdent de la valeur, leur pourcentage dans le total des actifs baisse, or le pourcentage réglementé d’actifs risqués est un maximum et non un minimum. Si les banques sont les intervenants essentiels sur les marchés tels qu’ils doivent assurer la continuité de leurs activités, elles ne doivent pas être les seules réglementées : chaque intervenant sur un marché présente un risque de contrepartie quant à l’exécution du contrat financier. En effet, une réglementation des banques d’affaires s’impose donc en tenant compte des caractéristiques particulières de leur bilan, comme s’imposent des quotas d’allocation des différents actifs pour les banques. Il en est de même pour les fonds de placement, une petite partie seulement de leurs actifs pourraient être spéculatifs. Les agences de notation ont tout simplement trompé les marchés et les investisseurs. Leur mission est trop sérieuse pour leur être confiée. En revanche, les banques centrales et les ministères des Finances (services fiscaux) sont beaucoup mieux placés pour évaluer les entreprises et les collectivités, donc pour les noter. La France pourrait prendre une très utile initiative dans ce domaine (peut-être avec la Coface, qui semble tout à fait apte à mener les missions d’une agence de notation). L’actuelle crise a sinon révélé, du moins mis en lumière l’inadéquation totale de la rémunération des personnes qui, sur les marchés, agissent pour le compte des différentes entreprises, ainsi que des décideurs dans les entreprises, surtout les entreprises financières. Il s’agit en fait d’un problème classique en économie, celui de l’« agent général ». Sa rémunération doit être telle que son intérêt ne diverge pas de celui de l’entreprise.

Or souvent l’« agent général » a un intérêt à court terme, et l’entreprise un intérêt à plus long terme, l’actuelle crise financière montre bien qu’un apparent bénéfice à court terme peut se solder, à plus long terme par une perte sévère, mais entre temps, l’« agent général » est parti avec son bonus, dont le montant peut valoir plus qu’une carrière future. Lorsque l’« agent général » dispose du pouvoir de faire prévaloir son intérêt particulier à court terme sur les intérêts à long terme de l’entreprise, le capitalisme cesse d’être civilisé et conforme aux théories de l’efficience des marchés pour devenir essentiellement spéculatif, mais alors il cesse d’assurer l’allocation optimale des ressources, fondement de la supériorité de l’économie de marché.

Les parties fragiles du système financier : entre la faillite et la nationalisation
A Wall Street, à la City et sur les marchés, les héros de la libre entreprise et de la déréglementation, les banques d’affaires et autres créanciers des merveilleuses innovations des sorciers de la finance et de la déréglementation ont bien sûr préparé les plans B, au moins de leur sortie. Ces plans ont tous en commun l’appel à l’argent du contribuable (l’époque où, noblesse oblige, un banquier anglais ou français rachetait son honneur perdu par le suicide, tandis que le japonais affrontait avec héroïsme un honorable seppuku, est remplacée par le parachute doré de plusieurs dizaines de millions de $). Il est vrai que le contribuable n’appartient pas à l’aristocratie de la finance, c’est un vilain du Tiers-Etat, dont le seul droit est de payer ses impôts ! Ainsi les Etats rachèteraient les actifs risqués des banques, non aux prix du marché accusé de sous-estimer les actifs, mais aux prix évalués par les banques. Le modèle ouvertement évoqué est celui de la reprise en 1990, aux frais du contribuable, des actifs dépréciés des « Savings and Loan » en faillite, pour les revendre à la casse, la différence restant à la charge du contribuable. Les dettes des États, comme au Japon, prendraient le relais des dettes de la planète financière. Ainsi désendettée, elle pourrait alors emprunter pour financer à crédit, par l’effet de levier les innovations de nouvelles bulles financières spéculatives. Une vérité s’impose : les bons du Trésor, même émis par la France se révèlent bien plus sûrs que les différents produits merveilleux inventés par les sorciers de la planète financière. En réalité, le « Resolution Trust Corporation » avait reçu pour mission de revendre progressivement sur le marché les quelques 450 milliards de $ des actifs des banques et des « Savings and Loan » saisies par le Trésor public à la suite des remboursements des dépôts de moins de 100 000 dollars. Une autre approche est théoriquement possible car devant les difficultés prévisibles de recapitalisation des banques, surtout d’investissement, les États assureront eux-mêmes la recapitalisation. Mais ce serait une nationalisation rampante, étatiste, protectionniste, populiste et contraire aux fondements de l’Europe libérale. La concurrence libre et non faussée et l’absolue liberté de circulation des capitaux sont fondées sur la liberté d’établissement. Assez curieusement, il semble que cette formule de refinancement des banques et institutions financières de Wall Street soit exigée par l’opinion publique américaine et ce juste à un mois des élections du président, de la moitié du Sénat et de tous les représentants. L’opinion américaine exige aussi le châtiment par la justice des responsables de la crise financière spéculative surtout lorsqu’ils ont démissionné avec des bonus, des stock-options et des parachutes dorés. Or, à la différence de l’Europe où le pouvoir appartient à une Commission en charge de l’intérêt européen et donc indépendante du politique et au-dessus du politique (elle ne peut être renversée que par les deux tiers des votes au Parlement), l’Amérique donne toujours le pouvoir aux élus du suffrage universel direct, donc au peuple.

Vous supputez aussi, dans votre livre, la disparition imminente des classes moyennes, comme l’avait prédit Aldous Huxley. D’abord, concrètement, comment expliquer cette disparition ? Ensuite, de ce fait, doit-on définitivement faire une croix sur le rôle du politique ?

La disparition des classes moyennes pourrait être le résultat de l’arrivée d’un nouveau cycle historique dit « de Braudel ». La « Philosophie des Lumières » et sa première expression politique, la Révolution de 1789, sont à l’origine du Cycle historique de la souveraineté nationale, dont le Traité de Versailles a constitué l’apogée, la souveraineté nationale se distingue de l’ancienne souveraineté du prince (établie par les traités de Westphalie en 1648) par le principe de la Démocratie : Le Pouvoir appartient à l’Institution élue au Suffrage Universel Direct, il se réalise par la LOI, expression de la Volonté générale de la Nation. La déréglementation des années 1980 réalisée par la génération de 1968, remplace, du moins en Europe, le Cycle de la Souveraineté nationale par le cycle du Libéralisme et de la Mondialisation fondées sur la Concurrence libre et non faussée et la libre circulation des capitaux l’entreprise remplace l’Etat. Or le fondement même de l’Entreprise est monarchique, et les revenus des décideurs sont fixés par eux-mêmes, toute réglementation d’Etat devient une atteinte inacceptable à la Liberté de l’Entreprise. C’est ainsi que les revenus des dirigeants qui selon le banquier américain JP Morgan ne devaient pas dépasser vingt fois la moyenne des salaires de l’Entreprise (40 fois suivant Henry Ford), dépassent à présent couramment plusieurs milliers de fois les salaires moyens.

En réalité entre les salaires, les « Bonus » les « Stock options » et les « parachutes dorés », l’argent des dirigeants des grandes entreprises a cessé d’être l’Argent du talent pour devenir l’Argent du Pouvoir.

Le pouvoir a même quitté l’Entreprise pour ses dirigeants devenus de simples mercenaires qui s’attribuent leurs fortunes sans désormais tenir compte des résultats réels de l’entreprise, ils vont jusqu’à quitter le navire avec un gros parachute doré en sachant qu’il va couler d’ici peu, c’est, à Wall Street devenu assez courant. Avec la révolution de 1789 a débuté un cycle historique fondé sur la souveraineté de la Nation (en fait le peuple) et la domination des petites classes moyennes (l’équivalent des citoyens dans la Cité antique). Ce cycle historique a alors imposé la primauté du politique, instrument essentiel de la domination des petites classes moyennes. Ce que Bertrand de Jouvenel appelait la « chambre des machines » c’est-à-dire les moyens de l’Etat, puissance publique et services publics, ont été confisqués par la Nation donc le Politique. La « révolution » de 1968 a été la remise en cause idéologique du modèle de la suprématie du Politique, maître des Etats puissants.

La déréglementation des années 1980 est une mise en œuvre de la destruction de la « chambre des machines », c’est-à-dire des pouvoirs d’action des Etats sur les économies. La déréglementation prend son fondement dans les théories des économistes libéraux du XIXe siècle tels Adam Smith, Jean-Baptiste Say, Frédéric Bastiat, renouvelés par l’Ecole de Vienne avec Joseph Schumpeter, et surtout Friedrich Von Hayek, le maître à penser de la politique d’Alan Greenspan ! Pour eux, l’Etat ne peut que faire le mal, ses réglementations brisent le dynamisme naturel des entrepreneurs, ses impôts sont des ponctions sur l’économie vivante au bénéfice des lobbys organisés en particulier les « insiders » (ou les « nantis » selon Raymond Barre) c’est-à-dire les fonctionnaires (dont plus de la moitié sont des enseignants et du personnel médical). La déréglementation a pour objet de créer un capitalisme sans Etat dominé par la dynamique de l’entreprise. Les innovations introduites sur les marchés financiers telles que les « Hedge funds » ou fonds de spéculation ; les « LBO » ou achat d’entreprises à crédit qui de fait transforment les capitaux propres en endettement ; et les « subprimes » destinées à faciliter l’accession à la propriété pour ceux qui n’en ont pas les moyens ; les « CDO » ou paniers de crédit qui cachent les mauvais crédits sous une fine couche de bons crédits, sont pour eux de bonnes innovations. Elles contribuent, selon Alan Greenspan, à la liquidité des marchés. Elles diffusent les risques, et dynamisent les entreprises achetées à crédit. La déréglementation entraîne bien sûr le dépérissement de l’Etat donc le dépérissement du Politique devenu simple objet ludique de la com’ (la forme la plus sophistiquée du mensonge) ! Dans la pratique, les innovations financières ont suscité une « inflation des actifs », c’est-à-dire des investissements financiers, donc une inflation des fortunes placées en investissements financiers. Aux Etats-Unis, les 1% des plus riches qui bénéficiaient de moins de 10% des revenus dans les années 70 en ont engrangé 24% en 2006 ! La croissance (d’ailleurs courte) qui en a résulté du milieu des années 1990 à 2007 fut ainsi une croissance des seules fortunes. Les revenus des salaires n’ont eux pas augmenté, les classes moyennes ont donc été exclues de la croissance.

Pour accroître leur pouvoir d’achat, les classes moyennes ont reçu à des taux d’intérêt élevés des facilités de crédit, c’est ainsi qu’aux USA le taux d’endettement des ménages passe de 90% du PIB en 1995 à 176% en 2007 ! L’actuelle crise financière est d’abord une crise de désendettement que supportent les ménages. Ils cessent d’acheter et sont souvent étranglés par des prêts immobiliers à taux variable et surtout à deux taux : un taux d’appel réduit sur deux ans et le vrai taux variable et cher après… Après avoir été les absentes de la croissance, les classes moyennes deviennent les victimes de la crise d’abord par le crédit puis par le chômage. Cette évolution commencée après la déréglementation correspond à la création d’une société libérale compétitive. Déjà une note de Jean-Louis Beffa (alors PDG de Saint Gobain) pour la Fondation Saint Simon prévoyait dès 1995 une société avec 7% de dominants et le reste constitués de dominés soit des exécutants, soit ceux qui ne valent plus la peine d’être exploiter ! Il y aura donc 7% d’Alphas de l’argent et 93% d’Omégas de la misère, soit 7% de dirigeants, 40% d’exécutants, et le reste pour la Charité car ils ne valent pas la peine d’être exploités.
Cette société des 7/93 se crée d’ailleurs aux Etats-Unis et en Angleterre dans le monde de l’éducation et de la culture. Les enfants des 7% d’Alphas ont accès à une éducation privée de haut niveau mais très cher payée (de 40 000 à 60 000 dollars par année d’enseignement secondaire), l’enseignement secondaire d’un bébé Alpha coûte donc plus de 250 000 dollars à ses heureux parents !

Les 93% d’Omégas ont droit, quant à eux, à un enseignement public de masse au nom de l’égalité des chances ! Dés à présent, les pays anglo-saxons deviennent des pays de double culture, issue de la double éducation, au point que les repères, les raisonnements et le monde intellectuel des Alphas et des Omégas ne sont plus les mêmes. Bien sûr, le système s’implante en France : depuis quelques années, même les lycées Henri IV et Saint Louis sont moins bien classés que les meilleurs lycées privés. Cette répartition existe déjà dans les systèmes anglo-saxons d’éducation qui sont le vrai modèle des réformes en cours de l’Education nationale en France : 7% vont dans des écoles privées d’élite, les 93% restants dans un enseignement public de masse, la différence de culture devient telle qu’ils ne peuvent plus vraiment se comprendre. Ainsi se crée la société libérale compétitive où un capitalisme sans Etat sépare irrémédiablement les Alphas dotés du dynamisme de l’entrepreneur et les Omégas partagés entre les fonctions d’exécution et la charité ! Sans oublier que ce capitalisme sans Etat crée une société libérale compétitive au service de la domination des Alphas, libérée de l’Etat et du Politique à la suite du dépérissement imposé par la déréglementation… et de la disparition des classes moyennes.

Dans ces conditions, qui seront les Alpha de l’argent et les Omégas de la misère ?

7% constituent les Alpha de l’argent, et 93% les Omega de la misère…

Qu’est-ce que la crise bancaire actuelle ?

La crise bancaire actuelle reste d’abord une crise de liquidités. Le système bancaire, y compris français, a prêté de l’ordre de 20 à 40 % de plus que ses dépôts (soit 120 à 140 % de ses dépôts).

Ces 20 à 40% ont été financés surtout par l’émission de titres de crédits à 3 ans sur les marchés, surtout lors des années 2005, 2006 et les deux premiers trimestres de 2007. Or depuis août 2007, les institutions sur le marché n’achètent plus de titres émis par les banques. Les banques sont donc obligées de rembourser les titres à 3 ans à leurs échéances de 2008, 2009 et 2010. Il en résulte des besoins incessants en liquidités tels qu’en réalité la thésaurisation (ou le stockage) de liquidités est devenue la simple priorité. Les aides d’Etats ou des banques centrales (les actifs, donc les prêts au système financier de la Federal Reserve sont passés entre mars 2008 et octobre 2008 de 867 à plus de 2500 milliards de $) passent au désendettement des banques, c’est-à-dire au remboursement des titres de crédit à 3 ans émis de 2005 à 2008. L’arrêt des achats d’actifs (investissements) financiers sur les marchés a aussi entraîné une forte baisse de la valeur de ces actifs. Les fonds financiers, notamment les « Hedge funds » (fonds de spéculation financés à 15-20 % par souscription et le reste par l’emprunt), et en fait les banques, liquident les actifs qu’ils peuvent, or les acheteurs sont rares et exigeants. C’est pourquoi même les meilleurs actifs ont baissé à 60-65% de la valeur d’émission, pour les moins bons actifs, la valeur est tombée à 20% du prix d’émission soit 80% de pertes sur l’investissement initial. Les actifs détenus par les banques sont donc soit liquidés à perte, soit conservés dans l’espoir qu’ils pourront être amortis (remboursements progressifs).

La crise bancaire comprend donc deux éléments

– La nécessité de refinancer les 20 à 40% d’actifs financés par des tâches de crédit dont les échéances s’étalent en 2005 et 2010.
– La baisse des actifs financiers entraîne pour les banques des pertes que d’ailleurs elles essayent de comptabiliser le moins possible mais dans ce dernier cas elles sont tenues de conserver les actifs donc de les financer.

C’est pourquoi le système bancaire restera obsédé par la thésaurisation sous forme de liquidités de ses revenus au moins lors des années 2009 et 2010, elles n’ont donc guère de capacités de faire crédit.

La seconde phase de la crise : de la crise financière à la crise de l’économie réelle

La crise financière a formellement débuté le 09 août 2007 lorsque les institutions financières ont, sur les marchés, cessé d’acheter les titres de crédits émis par les banques et par leurs fonds divers.

Depuis, les banques, qui avaient prêté plus que leurs dépôts sont contraintes de se désendetter et ce jusque au moins l’année 2010. La disparition des acheteurs a entraîné dès janvier-mars 2008 une baisse sévère des actifs financiers. Ces deux éléments sont les fondements (les financiers diraient les sous-jacents) de l’actuelle crise financière. Depuis septembre 2008, la crise financière s’étend à l’économie réelle. Tout d’abord, la faillite de Lehmann Brothers, le 15 septembre 2008, a entraîné les mêmes effets psychologiques que la faillite, le 09 novembre 1930, de la « Bank of United States ».

Les faillites de banques célèbres entraînent toujours des effets psychologiques. Après le sauvetage de Bear Stearns, toute la planète finance était convaincue que certes les actionnaires seraient jetés aux requins mais que la Federal Reserve offrirait aux créanciers leurs places désignées sur les canots de sauvetage ! Or, la faillite de Lehmann Brothers rappelle l’importance du « risque de contrepartie », en effet toute créance sur une contrepartie qui part le ventre en l’air, part aussi le ventre en l’air…

Cette fois-ci, même les banques n’ont plus confiance entre elles, or qui connaît mieux les banques que les banquiers ? Ainsi s’explique le passage à la deuxième de la crise financière, la crise financière s’étend alors à l’économie réelle. A partir de septembre 2008, les marchés refusent cette fois d’acquérir des titres de crédit de sociétés industrielles, y compris les billets commerciaux à court terme (souvent 90 jours). Les marchés refusent aussi d’acquérir des obligations (emprunts à long terme) émises par les sociétés industrielles ou alors de façon exceptionnelle et très chère. Ce passage à la deuxième phase de la crise financière a également amené les banques à réduire leurs crédits y compris les entreprises (les banques sont elles-mêmes à court de liquidités face à des échéances de dettes qui tombent au cours de l’année 2009). La réduction des crédits, y compris à court terme aux entreprises, transfère aux entreprises elles-mêmes la crise des liquidités. Elles doivent à leur tour rechercher en priorité la reconstitution de leurs liquidités. L’un des aspects de la crise financière, à savoir la crise immobilière entraîne aussi des effets directs sur l’économie réelle, en particulier dans les secteurs de la construction, et aussi des agences immobilières. Rien qu’en France, les mises en chantier de logement baissent de 500 000 à 300 000 logements par an. La situation est bien sûr plus grave aux Etats-Unis, en Grande Bretagne et en Irlande, patrie des subprimes, mais aussi en Espagne, avec de 600 000 à 1000 000 de logements vacants… Mais la crise s’étend dans de nombreux autres secteurs : selon les pays, les immatriculations d’automobiles baissent de 20% (France), à 27% (Corée) ou à plus de 30% (Japon). Devenus craintifs, les ménages épargnent et reportent leurs dépenses lourdes. Rappelons qu’en France, l’automobile et ses sous-traitants d’équipements automobiles représentent plus de 10% du PIB. Or en 1930, la crise financière est devenue économique à partir des secteurs de la construction immobilière et de l’automobile. Aujourd’hui, la crise touche aussi la production des microprocesseurs INTEL et AMD, enregistrant une baisse de plus de 15% de la demande de processeurs. De telles baisses sont inédites depuis la crise de 1930, « Sire, ce n’est plus une récession, c’est une crise » pourrait-on répondre au digne successeur de Louis XVI… Aux Etats-Unis, la crise gagne la Silicon Valley, siège de l’avenir scientifique de l’Amérique. Les entreprises du domaine des technologies de l’information (internet ; informatique) ont conservé dans leurs mémoires le souvenir de la crise internet de 2001. Dès à présent, elles débauchent massivement, avec des réductions du nombre des salariés de 40% et elles ont thésaurisé (stocké) assez de liquide pour couvrir plus d’une année de leurs activités futures. Plus jeunes, donc plus naïves, les entreprises de biotechnologies n’ont souvent pas stocké les liquidités nécessaires à plus de 6 mois d’activité : leur taux de mortalité promet d’être élevé ! En somme, depuis septembre 2008, la crise spéculative financière est rentrée dans une deuxième phase. Cette deuxième phase se caractérise donc à la fois par un renouveau de la crise financière :

– le système bancaire est contraint à un terrible désendettement forcé devant l’impossibilité de ses titres de crédits arrivés à échéance fin 2008, 2009 et au moins la première moitié 2010.
– la crise s’étend à l’économie réelle soit sous la forme d’une conséquence de la crise immobilière avec l’arrêt de la construction soit avec le report des dépenses des ménages surtout dans le secteur de l’automobile.

Enfin le désendettement forcé des banques arrête le crédit aux entreprises, elles sont donc amenées à tout subordonner à la reconstitution de leurs liquidités, en particulier par l’arrêt des investissements de capacité et des investissements de productivité, et par l’arrêt des embauches dont en France l’effet mécanique « crée » sur un an de 400000 à 500000 chômeurs. La leçon de la crise de 1930 conduit certes les Etats et les banques centrales à soutenir les banques pour éviter les effets explosifs de la crise systémique bancaire, mais à présent les « questions d’après » se posent : il ne suffit pas de sauver le système bancaire, il faut maintenir les crédits aux entreprises et trouver les moyens de remédier aux crises de l’investissement et de l’embauche sans pour autant subventionner les importations chinoises par une relance de la consommation.

Que pensez-vous du plan de relance français pour faire face à la crise ?

La crise de la déréglementation entre depuis septembre 2008 dans sa troisième phase.

La première phase, toujours joyeuse correspond à la formation de la bulle financière à crédit, avec la spéculation immobilière prolongée par le financement par les subprimes (prêts hypothécaires à des emprunteurs sans revenus), la spéculation des LBO (acquisitions au dessus de leur valeur d’entreprises à crédit) et les banques qui prêtent de 20 à 40% de plus que leurs dépôts. Elle prend formellement fin le 9 août 2007.

La deuxième phase correspond à l’arrêt des acquisitions des titres de dettes sur les marchés, les titres de crédit perdent selon la notation du moment de 40 à 80% de leur valeur d’émission sur le marché… Si tant est qu’ils trouvent des acquéreurs qui de dynamiques devant des risques non mesurés sont devenus trouillards au point de n’acheter que les titres des Trésors des Etats jugés rassurants (dont la France).

La troisième phase a débuté en septembre 2008, elle comprend trois éléments :

– Un renouveau de la crise financière, cette fois-ci non seulement les titres de crédit du système financier privé ne trouvent plus preneur, mais le papier commercial des entreprises industrielles ne trouve plus preneur, tandis que contraintes de financer sur leurs bilans les titres de crédit à trois ans émis en 2006 et 2007, les banques doivent reconstituer toutes liquidités possibles donc réduire les crédits.

– L’extension de la crise financière à l’économie réelle, les entreprises peinent à trouver crédit, les ménages prennent peur et reportent leurs dépenses, la crise immobilière s’étend aux BTP(Bâtiments et Travaux Publics). D’ores et déjà les BTP, l’automobile et ses sous traitants, les investissements des entreprises connaissent des baisses d’activités de 20 à 30% et plus, dignes des années trente.
– L’appel aux finances des Etats pour sauver le système bancaire et financier, et pour relancer des économies réelles devant des pertes d’activités dignes des années 30.

DE LA CRISE A LA RELANCE

Jusqu’au 22 septembre 2008, l’idée de relance n’était à tout le moins pas exprimée, le Président Sarkozy en a pris de lui-même l’initiative à l’issue d’une sérieuse rencontre avec le Président de la Federal Reserve, M. Ben Bernanke, cela signifie donc que l’Entourage « spécialisé en économie » du Président français ne s’en souciait pas vraiment… (sauf peut être Henri Guaino mais c’est malheureusement la plume souverainiste du Prince et non son conseiller). Depuis une suite de décisions sont prises, elles sont regroupées en deux rubriques :

– Un plan de relance économique pour un montant total de 26 milliards d’euros d’ailleurs financé à partir de sources très variées,
– Un plan de soutien au système bancaire.

LE PLAN DE RELANCE

Les interventions dans le secteur immobilier : Rachat de 30 000 logements aux promoteurs privés par les organismes HLM pour un montant de 600 millions d’euros (1er octobre 2008) ; Puis le 4 décembre 2008 : Financement de 30 000 logements supplémentaires par les organismes HLM ; Acquisition de 10 000 logements en plus par la CDC (Caisse des Dépôts et Consignations), Financement par les PLS des collectivités locales de 30 000 logements. Accroissement des PTZ (Prêts à Taux Zéro) de 700 millions à 1300 millions d’euros, ils pourront désormais financer 30% du prix d’achat d’un logement au lieu de 20%. Création d’un fonds exceptionnel de 200 millions d’euros pour l’amélioration de 80 000 logements. L’ensemble paraît impressionnant, mais son financement est surtout assuré par les organismes HLM, la CDC et par les PLS distribués par les collectivités locales, le tout donc sur des sources de financement déjà existantes, la part du budget de l’Etat semble se limiter aux 600 millions d’euros alloués à l’accroissement des « PTZ ». Le programme de soutien aux PME, annoncé le 02 octobre 2008 pour 22 milliards d’euros, il comprend :

– 17 milliards d’euros d’épargne gérés par la Caisse des Dépôts et Consignations,
– 5 milliards d’euros prêtés par la Caisse des Dépôts et Consignations, dont l’emploi sera le suivant : Autorisation à la banque publique Oséo de garantir 2 milliards d’euros de prêts bancaires aux entreprises surtout les PME ; Accroissement de 2 milliards d’euros des capacités d’Oséo d’accompagner en cofinancement les prêts bancaires ; Conversion de prêts à court terme en prêts à moyen terme à hauteur de 1 milliard d’euros.

Ce programme d’aide aux PME semble donc entièrement financé par la Caisse des Dépôts et Consignations.

La création d’un fonds stratégique d’investissement, il doit être doté de 20 milliards d’euros dont :

– 7 milliards apportés par l’Etat sous forme de participations industrielles existantes,
– 7 milliards apportés sous la forme de toutes les participations industrielles existantes de la Caisse des Dépôts et Consignations, et 6 milliards d’euros en capitaux, dont :
– 3 milliards apportés par l’Etat,
– 3 milliards d’euros fournis par la Caisse des Dépôts et consignations (créée en 1816, la Caisse des Dépôts et Consignations est le plus ancien fonds souverain du monde).

Sur les 20 milliards d’euros du fonds stratégique d’investissement la participation future du budget de l’Etat semble limitée à 3 milliards d’euros. Accroissement de 200 000 à 300 000 contrats aidés avec la création de 100 000 contrats aidés supplémentaires.

Cette mesure se situe dans la ligne des diverses mesures d’aides à l’emploi reconduites sous des noms et rubriques diverses de puis 1981.

Un plan de soutien à la trésorerie des entreprises est lancé, il comprend :

– 11,4 milliards d’euros essentiellement affectés au remboursement des dettes de l’Etat aux entreprises, avec les rubriques suivantes :
Paiement des factures en retard (500 millions d’euros),
Avance de 20% sur les marchés publics de plus de 20 000 euros,
Remboursement des excédents d’impôts sur les sociétés,
Remboursement des excédents de perception sur la TVA,
Remboursement des reports déficitaires d’impôts sur les sociétés.

Le tout représente 11,4 milliards d’euros restitués de manière anticipés aux entreprises, le budget de l’Etat allège ainsi à court terme la trésorerie des entreprises sans accroître les dépenses publiques ni réduire les rentrées fiscales des finances de l’Etat.

10,6 milliards d’euros sont affectés à l’accélération de dépenses publiques d’investissements, elles correspondent à des projets déjà existants. Ils sont issus de trois financements complémentaires :

a) 4 milliards d’euros sont fournis par les entreprises publiques :

– L’EDF doit sur un montant inchangé de 35 milliards d’euros à l’échéance 2010, accélérer sa tranche d’investissements en 2009 de 4,5 à 7 milliards d’euros soit 2,5 milliards d’euros accélérés un an à l’avance.
– GDF Suez devra investir 200 millions d’euros additionnels pour le transport et la distribution de gaz en France en plus de 1800 millions d’euros prévus à cet effet sous condition d’une autorisation préalable par la Commission de régulation de l’énergie.
– La RATP doit porter ses investissements pour le métro parisien (matériel roulant et modernisation des stations) de 130 millions prévus à 580 millions d’euros soit 450 millions d’euros en plus.
– La SNCF doit accroître de 300 millions d’euros ses investissements prévus en 2009.
– La Poste doit accroître en 2009 ses investissements de 600 millions d’euros, elle n’a pu financer qu’à 90% les 1200 millions d’euros prévus pour 2008, et son endettement atteint déjà 5800 millions d’euros.

2,5 milliards d’euros supplémentaires, devront être investis par les collectivités locales en 2009 dont 1,1 milliards d’euros seront reçus de l’Etat dont 400 millions d’euros au titre des CEPR (Contrats de Projet Etat Région), et 700 millions d’euros sous la forme d’avances sur les versements du FCTVA (Fonds de Compensation de la TVA), versements portés de 5200 millions d’euros à 5900 millions d’euros !

4 milliards de dépenses budgétaires de l’Etat qui sont les suivantes :
700 millions d’euros seront affectés à la recherche et à l’enseignement supérieur, ils comprennent : 46 millions d’euros pour les grands équipements (Synchrotron, Iter, CEA) ;

180 millions d’euros sont prévus pour les centres de recherches sur les technologies de la Défense ; 170 millions d’euros iront à la remise à niveau des bâtiments universitaires ; 240 millions d’euros complèteront les dotations aux plans Etat Régions sur les bâtiments universitaires ; ainsi que 64 millions d’euros pour le Plan Campus car les 10 sites universitaires sont portés à 12 sites avec Lille et Metz-Nancy (qui n’étaient pas retenues dans le Plan Campus initial).

650 millions d’euros seront attribués à des travaux sur le patrimoine de l’Etat, dont 80 millions pour les prisons et 100 millions pour les monuments historiques.

1 400 millions d’euros vont aux infrastructures et aux équipements structurants, ils comprennent : 500 millions d’euros sont attribués à l’amélioration d’infrastructures ferroviaires ; 70 millions d’euros vont accélérer les acquisitions foncières pour les grands projets ; 50 millions d’euros sont affectés à l’entretien portuaire ; 400 millions d’euros iront à l’entretien des routes ; 200 millions d’euros sont consacrés aux crèches, aux maisons de retraite et aux hôpitaux psychiatriques ; et 180 millions d’euros iront à l’acquisition de blindés Nexter et Panhard, cette somme est également comptée dans la rubrique des dépenses en matière de dépenses.

1 400 millions d’euros sont affectés aux équipements de défense et de sécurité, en particulier pour accélérer les dépenses prévues pour les blindés Nexter et Panhard, et les hélicoptères d’Eurocopter !

En plus de 10,6 milliards d’euros prévus par la Plan de relance, d’autres dépenses sont prévues :

1) Dans le secteur social : 760 millions d’euros seront avancés en avril 2009 aux 3,8 millions de foyers futurs bénéficiaires du RSA soit une avance de 200 euros pour chacun.

2) Dans le secteur automobile : 1 720 millions d’euros d’aides à l’industrie automobile sont programmées comme suit :
– 220 millions d’euros seront consentis sous la forme de primes de 1000 euros pour la destruction de véhicules de plus de 10 ans à condition d’être affectées à l’acquisition de véhicules neufs émettant moins de 160 grammes de CO2 au Km (« La Sarkozette »).
– 100 millions d’euros seront apportés par le Fonds d’investissement stratégique à un « fonds de restructuration de la filière automobile » (surtout pour les sous traitants et équipementiers).
– 400 millions d’euros sont prévus pour financer la recherche sur les voitures propres.
– 1 000 millions d’euros supplémentaires sont prévus depuis le 19 décembre 2008 dont 779 millions d’euros d’aides aux deux constructeurs (Renault et PSA) et 221 millions d’euros d’aides aux crédits à l’automobile par les branches financières des deux constructeurs (leurs filiales de crédit à l’automobile).

Le gouvernement suédois vient d’offrir une aide de 25 milliards de couronnes suédoises équivalentes à 2 600 millions d’euros à Saab et à Volvo dont 20% de crédits à ces deux entreprises et 80% pour financer la recherche sur les véhicules propres) ; et aux USA, 14 milliards de dollars ont été votés par la Chambre des représentants sous la forme de prêts à 7 ans à General Motors et à Chrysler.

LE SOUTIEN AUX BANQUES :

Le soutien aux banques comprend quatre éléments :

a) 320 milliards d’euros de dette garantie par l’Etat pourraient être émis sur les marchés par la Société française de financement de l’économie, organisme créée pour garantir des prêts interbancaires, ces garanties seraient accordées contre des actifs apportés en sûreté par les banques.

Les banques disposeraient d’environ 1500 milliards de tels actifs admissibles (pour les garanties accordées) par la Société française de financement de l’économie.

b) Un « plan de soutien au financement de l’économie » annoncé le 13 octobre 2008, finalement accepté par la Commission de l’Union Européenne, il se traduit à la mi-décembre 2008 avec la souscription par l’Etat d’une première tranche de 10,5 milliards d’euros de titres de dette émis par les banques :
– Banques populaires 950 millions d’euros,
– BNP Paribas 2550 millions d’euros,
– Caisses d’Epargne 1100 millions d’euros,
– Crédit Mutuel 1200 millions d’euros,
– Société Générale 1700 millions d’euros.

c) Une seconde tranche de 10,5 milliards d’euros est prévue le 12 décembre 2008, les conditions ont été déterminées par la Commission de l’Union Européenne sur le fondement du respect du principe de la concurrence libre et non faussée. La rémunération de l’Etat est déterminée par le profil de risque de chaque établissement bancaire dans une fourchette de taux de 7,3 à 9% (BNP 7,75%). En plus des intérêts payés, le rachat des titres émis par les banques se réalisera à un prix croissant, au pair (au prix d’émission) la première année, +1% la deuxième année, +2% par année suivante jusqu’à +11% la sixième année.

d) 5 milliards d’euros ont également été prêtés aux banques le 24 octobre 2008, cette fois-ci par la Caisse des dépôts et Consignations, sous la forme de crédits relais pour garantir les prêts interbancaires. Les mesures de soutien de l’Etat présentent donc les caractéristiques suivantes :

Un Plan de soutien aux banques :
– Un fort effet d’annonce, en particulier dans le domaine du soutien aux banques face à leurs éventuels besoin de trésorerie immédiate avec les 320 milliards d’euros que la Société française de financement de l’économie pourrait apporter grâce à des emprunts garantis par l’Etat sur les marchés.
– Pour faire face à des besoins de refinancement des banques d’environ 30 milliards d’euros d’ici la fin 2008, puis de 95 milliards d’euros pour l’année 2009 dus à la suite des échéances de dettes sous la forme de titres de crédit à moyen terme (3 à 5 ans), dont le renouvellement semble très aléatoire.

Alors que l’Etat n’a prévu en tout que 40 milliards d’euros, mais 10,5 milliards d’euros sont déjà engagés, et 10,5 milliards d’euros sont déjà prévus… il restera après quelques 19 milliards d’euros face aux 95 milliards d’euros nécessaires pour l’année 2009 ! La crise des banques n’est donc pas terminée…
– Le plan de sauvetage des banques répond incontestablement à la leçon la plus apparente de la crise des années 30 : La faillite du système bancaire entraîne la faillite de l’économie réelle. Une nouvelle leçon semble cependant s’imposer, il ne suffit pas de sauver les banques pour sauver le crédit, car les acteurs sur le terrain de l’économie réelle souffrent d’un effacement du crédit que les statistiques officielles de l’INSEE affirment en progression.
– Le Président et le gouvernement affirment leur volonté de maintenir l’accès au crédit pour les entreprises, rien ne permet de douter de leur bonne foi ni de leurs bons sentiments, dont l’enfer est pavé, mais prendre les mesures pour imposer une politique de croissance des crédits paraît plus efficace : pour exemple, le gouvernement britannique exige des banques la cession à l’Etat d’une partie des actions qui en constituent le capital… condition obligée de son plan de sauvetage des banques ! Une approche logique s’impose dès lors : ou les banques ont besoin d’aide et la participation de l’Etat devient nécessaire, ou les banques refusent d’ouvrir leur capital, et donc elles n’ont pas besoin de son aide…

2) Un Plan de relance de l’économie :

En France, le plan de relance de l’économie atteint 26 milliards d’euros soit environ 1,3% du PIB alors qu’aux Etats-Unis, les engagements du budget fédéral semblent déjà évalués à quelques 1200 à 1400 milliards de $ (700 milliards de dollars déjà votés par le Congrès dont 335 milliards de dollars sont déjà engagés et de 500 à 700 milliards de dollars estimés pour les mesures prévues par le « Plan Obama ») soit au total quelques 10% du PIB américain. En Chine, le plan de relance officiel atteint l’équivalent de 568 milliards de dollars, soit 20% du PIB chinois (il est vrai difficile à évaluer !). On constate que les mesures incluses dans les différents plans de relance français restent assez précises mais elles sont largement saupoudrées. Seule une erreur a été évitée, la relance par la consommation : distribuer du pouvoir d’achat est certes populaire, fort heureusement le peuple est assez ingrat pour ne pas vendre ses votes ainsi ! Surtout que la distribution de pouvoir d’achat ne profite pas vraiment à l’économie productive, 40 à 50% des sommes ainsi dépensées le sont pour des produits importés (essentiellement de Chine). Du milieu des années 1980 jusqu’à nos jours, de nombreux plans de relance de l’économie se sont succédés, la croissance annuelle moyenne sur l’ensemble de la période ne dépasse pas 1,8%. Par contre, l’endettement des finances publiques creusé par ces plans successifs est passé de 20 à 67% du PIB. Certes ce % est inférieur aux Etats-Unis (73%) et à peine supérieur à l’Allemagne et à l’Autriche, mais dans le cas de la France, l’endettement reste le résultat de mauvaises dépenses car elles n’ont pas créé d’investissements en compensation de la croissance de la dette. Le ou plutôt les différents plans de relance ne semblent pas à la mesure de la crise, surtout l’aspect lié à la Recherche et au Développement qui est pourtant l’avenir du pays ! Que deviendra l’industrie automobile française lorsqu’aux Etats-Unis la Silicone Valley aura découvert la batterie de grande capacité pour les véhicules électriques ou la pile à combustion opérationnelle utilisable et produite en série ? Que deviendront les industries pharmaceutiques françaises devant les découvertes révolutionnaires à prévoir des entreprises « biotech » (biotechnologies) de la Silicone Valley ? Les « destructions » créatrices vantés par Schumpeter sont les moteurs des croissances économiques longues, dites de Kondratieff, mais c’est vrai pour ceux qui les dominent (Silicone Valley), ce n’est pas vrai pour ceux qui les subissent surtout lorsqu’ils ont ignoré l’effet décisif de l’effort de recherche et développement… Par ailleurs, les plans de relance français sont adaptés à une petite récession de quartier mais ils ne le sont pas devant la véritable crise de l’économie réelle qui s’annonce avec déjà l’arrêt total de pans entiers du système industriel français. Malheureusement, nos décideurs semblent beaucoup plus effrayés par la perspective des déficits budgétaires que par les perspectives d’une crise de l’économie réelle à laquelle d’ailleurs ils semblent bien ne pas croire malgré l’absence totale de création d’emplois. Avec les plans français, la Caisse des Dépôts et Consignations est très sollicitée, bien plus que de raison :
– 17 milliards d’euros pour soutenir les PME,
– 5 milliards d’euros pour financer les interventions de la banque publique Oséo en faveur des PME
– 5 milliards d’euros de crédits relais prêtés aux banques,
– 3 milliards d’euros de capitaux liquides apportés au fonds stratégique d’investissement, qui ne comprennent pas l’apport estimé à 7 milliards d’euros des participations financières de la Caisse des Dépôts et Consignations au fonds stratégique d’investissement.
– 200 millions d’euros consentis pour financer 10 000 logements, par ailleurs les organismes HLM doivent financer 60 000 logements soit : 1,2 milliards d’euros.

Engagée à raison de plus de 30 milliards d’euros, la Caisse des Dépôts et Consignations ne dispose plus de marge de manœuvre et son banquier financier la Banque Postale, seule banque encore possédée par l’Etat, n’en a vraisemblablement pas davantage. Faudra-t-il inclure la Banque Postale dans les futurs plans de sauvetage des banques ? Déjà très endettées, les entreprises publiques sont sollicitées à hauteur de 4 milliards d’euros ce qui là aussi assèche leurs marges de manœuvre futures. Quant aux collectivités locales, elles sont ponctionnées de 1,4 milliards d’euros (avec l’espoir que les promesses d’aide de l’Etat (1,1 milliards d’euros) seront tenues, or les élus locaux savent quoi penser des promesses de Bercy : « Timeo danaos et dona ferentes » (« Je crains les grecs et jusqu’à leurs cadeaux » Virgile). De plus, près de 30% des dettes des collectivités locales sont constitués par des emprunts complexes avec des taux d’appel puis des taux définitifs nettement plus élevés, et de plus indexés sur des bases meurtrières… pour les emprunteurs (les collectivités locales et certains établissements hospitaliers) ! Exemple : le département de la Seine Saint Denis est financé à 93% par ce type d’emprunts ! Les engagements de l’Etat deviennent alors limités :
– 4 milliards d’euros pour le plan de relance,
– 1,1 milliard d’euros promis aux collectivités locales pour les aider à financer leur part de 2,5 milliards d’euros pour le plan de relance,
– 3 milliards d’euros d’apport en capitaux au fonds stratégique d’investissement,
– 1,72 milliard d’euros pour les aides diverses au secteur automobile,
– 760 millions d’euros pour l’octroi de 200 euros à chacun des 3,8 millions de ménages aidés…

Et 11,4 milliards de remboursements fiscaux anticipés aux entreprises, ce qui correspond à des avances en trésorerie de l’Etat, donc à des dépenses en trésorerie pour les finances publiques. Ce délai de remboursement devrait être automatiquement comblé par les recettes budgétées futures. Le tout constitue certes 22 milliards d’euros, soit 1,1% du PIB, mais en réalité 11,4 milliards d’euros engagés sont en fait des avances de trésorerie qui se résoudront d’elles mêmes, l’aide nette s’établit alors à 10,6 milliards d’euros soit près de 0,5% du PIB (alors qu’aux Etats-Unis le chiffre atteint 10% du PIB, et 20% en Chine !). Les plans de relance ont évité l’erreur majeure de la relance par la consommation, ils rompent donc avec cette malédiction de plans successifs de relance par la consommation qui ont conduit de 20% du PIB à 67% du PIB l’endettement public sans avoir jamais accéléré la croissance, et de plus au prix d’un déficit commercial préoccupant. Les plans de relance ne semblent cependant pas à la hauteur d’une crise de l’économie réelle qui se traduit déjà par de véritables effondrement de l’activité des secteurs du BTP (Bâtiment et Travaux Publics), et de l’automobile surtout de ses sous-traitants soudain au bord de l’arrêt faute de commandes. Les financements des plans de relance français se caractérisent en effet par un regroupement des fonds de tiroir, or ce n’est pas avec des miettes que l’on offre un festin, et par un engagement des ressources de la Caisse des Dépôts et Consignations au-delà de ses possibilités et des possibilités de la Banque Postale. Les plans de relance sont tout justes à la mesure d’une récession… Le risque est grand de subir une terrible crise de l’économie réelle, avec un ciseau redoutable pour les finances publiques déjà observé en France dans les années trente (baisse des recettes et hausse obligée des dépenses). Car les recettes budgétaires sont pro-cycliques, elles baissent plus vite que l’activité de l’économie réelle, les dépenses sociales par contre s’envolent avec la dégradation de l’emploi (conséquence inévitable de la crise l’économie réelle). Lorsque les dépenses sociales s’envolent tandis que les recettes budgétaires se creusent, automatiquement les déficits se creusent et les dettes publiques gonflent, ce qui n’attire pas précisément les préteurs sauf à accroître les taux d’intérêt. Il vaut mieux prendre des risques avec de vrais plans de relance plutôt que de couvrir par la com’ une grave et inéluctable dégradation de l’économie réelle et des finances publiques…

Qu’est-ce qui vous a motivé pour la rédaction de cet essai ?

Edgar Quinet écrivait : « Toute pensée qui se bornera aux combinaisons de l’économie politique sera infailliblement trompée dans les grandes affaires humaines. » d’où notre appel dans cet essai à la réhabilitation de l’esprit de responsabilité, où chacun participe à un système économique capitaliste dicté par le triomphe du fondamentalisme de marché… fait de globalisation, de mondialisation et de théories de la complexité.

Propos recueillis par

La Finance mondiale – Tout va exploser, de Morad El Hattab & Philippe Jumel
(Editions Léo Scheer)