Toujours à la chasse aux aberrations de notre cinématographie nationale, cueillons à ses branches ses fruits les plus invraisemblables et les plus dégénérés. Cette fois-ci : le film de copines, entre hystérie hirsute, Biba théorie et hormonale attitude.

Y est-elle pour quelque chose, son obsession de segmenter le public pour lui donner des films appropriés, comme on rationalise la nourriture des veaux ? Il n’empêche que le cinéma français invente parfois des sous-genres ramifiés sur on ne sait quelle branche, et son obésité chronique permet à d’impayables navets d’être produits et distribués. Seuls, ils ne sont rien de plus que des étoiles mortes et solitaires flottants dans le vide de la bêtise. Regroupés en constellation, se tenant près les uns des autres, ils accumulent une anti-énergie détraquée qui nous illumine par éclats. On avait connu, adoré, la constellation de la lobotomie heureuse, rayonnant autour du dérangement mental (rappel : T’aime de Patrick Sébastien, la « free-trilogy » de Jean-Marc Barr, Le Margouillat de Jean-Michel Gibard, Se souvenir des belles choses de Zabou Breitman, etc.). La source semble tarie aujourd’hui, seul l’immense Jean-Henri Meunier, auteur des gravissimes La Vie comme elle va et Ici Najac, à vous la Terre entretient la flamme sur le versant documentaire.

Du côté des filles

Que les télescopes soient désormais braqués sur les films de copines. Parce qu’il y a là, depuis quelques années, un filon : nommons-le constellation hormono-Biba. Le film matrice de ce panier de crabes est une merveille de crétinerie tout simplement intitulée Du côté des filles. Réalisé en 2000 par Françoise Decaux, mère universelle du genre, ce film contient sous cellophane tous les aspects du genre : la pulsion de régression fœtale, l’expression hirsute d’une féminité dégénérée, l’écoulement hormonal comme grand régulateur de la vie intérieure des filles, le psycho-test comme unité minimale de récit (sur le mode « êtes-vous plutôt… ou plutôt… ? »). Un éclair avait zébré le ciel tranquille de Katherine Hepburn et de Louise Brooks, une poignée de films allait réinventer le personnage féminin, redéfinir le désir et l’amitié. Tout s’accélère en 2003 avec les sorties successives d’un film proverbialement intitulé Après la pluie, le beau temps de Nathalie Schmidt, d’un autre humoristiquement intitulé Mariées mais pas trop, signé Catherine Corsini et d’un troisième, médicalement intitulé Toutes les filles sont folles de Pascale Pouzadoux. Un peu de relâche avec le publicitairement intitulé Tout pour plaire de Cécile Telerman, puis nouvelle supernova le mois dernier, avec le thomasgiloutement intitulé Comme t’y es belle de Liza Azuelos. Il y en aura d’autres, c’est certain. Qu’ont tous ces films en commun ? D’abord, ils sont tous réalisés par des femmes. Ensuite, les rassemble la réduction de tout désir, affect ou sentiment féminin à un détraquement hormonalo-comportemental, modus vivendi qui se prolonge et bifurque selon le cliché sexiste que chaque film s’accapare (cupidité, inconséquence, imprévisibilité, préoccupations neuneus de la gent féminine, etc.).

Restez vous-mêmes, les filles !

Les filles, donc, animaux bizarres, gazelles attachantes mais un brin incontrôlables car mues par leur inconscient dérangé. Ainsi se présentent les personnages de ces films, qui multiplient les images-traumas : Clémentine Célarié, dans Du côté des filles, régresse en position fœtale et se laisse flotter nue dans les flots ; le cul palpé par tous et en toutes circonstances, Julie Gayet, la chanteuse rose-bonbon de Après la pluie, le beau temps, est ballottée d’une scène à l’autre comme un vieux sac ; la cure de Nutella entreprise par les personnages de Toutes les filles sont folles pour juguler l’angoisse métaphysique et le sentiment tragique de l’existence, etc.
A chaque fois, un slogan (à peu de choses près : « restez vous-mêmes, les filles ! »), à chaque fois une répartition de ces dames entre mal-baisées et heureuses au lit -ce qui est un peu court, on en conviendra. Le sous-texte clinico-psychologique de cette constellation demeure début de siècle, c’est l’hystérie fofolle comme moyen d’expression souverain, et la certitude que le bonheur est à chercher uniquement sur les terres terribles du continent noir. C’est pourquoi ces films racontent l’inverse de ce qu’ils prétendent montrer, la contemption du corps plutôt que sa libération assumée, la reconduction à la frontière du slip de l’intériorité des personnages plutôt que la réprobation de l’idée reçue selon laquelle les blondes n’ont que des cheveux dans la boîte crânienne.

Kamikaze Girls ?

Le pire vient de se produire : les trentenaires peuplant tous ces films ont transmis le virus à leurs cadettes, comme en témoigne l’excellemment nommé Mes copines de Sylvie Ayme. Mes copines, c’est un film de jeunes, le versant girly des oeuvres aînées. A mille lieux évidemment du déjanté Kamikaze girls de Tetsuya Nakashima, autre girly movie, cette fois-ci from Japan, à l’affiche en ce moment. Admirable pitch des Copines, donc : quatre lycéennes veulent gagner « le défi danse » de Fun Radio, mais elles acquièrent la certitude que l’éminence chorégraphique ne peut être atteinte sans l’expérience d’un orgasme vrai de vrai. D’où considérations techniques, tentatives ratées, recours à la technologie en dernière instance. L’apprentissage du sexe comme premier pas d’une affirmation sur la scène sociale est vu non pas comme une étape d’un accomplissement personnel, mais bien comme le respect des impératifs du marché (le concours, la compétition, la victoire, la discipline imposée par la dictature des magazines féminins). Mes copines, ou comment la génération R&B ne doit son salut non à la lutte politique et à la contestation de l’ordre établi, mais à la reprise de tous les clichés liés à la nature féminine. Le plus grave dans cette affaire : l’abandon du flambeau de la lutte féministe à des films qui prétendent se ranger derrière lui quand ils ne font que reproduire la rhétorique du machisme le plus misérable. On a raison de se plaindre qu’il y a peu de femmes cinéastes. Peut-être, l’hypothèse est vieille et souvent formulée, que le cinéma est un truc de garçons. Alors ceux-ci peuvent dormir tranquille : tandis que les filles sont folles, s’agitent et font du shopping, le pouvoir ne leur échappera pas.

Mes copines, de Sylvie Ayme
En salles le 21 juin 2006