Cédric Klapisch, comme beaucoup de réalisateurs, s’entoure d’une « famille » dont Joël Brisse, peintre et réalisateur de courts métrages, fait partie. On le retrouve notamment dans Chacun cherche son chat derrière les pinceaux de l’artiste Bel Canto. L’actualité de Joël Brisse qui expose au Jardin des Délices et au 1er rendez-vous de Cardet, offre à Cédric Klapisch l’occasion de nous parler de son ami peintre et de revenir sur certains de leurs questionnements communs.

Chronic’art : Comment avez-vous rencontré Joël Brisse ?

Cédric Klapisch : Je l’ai connu grâce à sa copine, Marie Vermillard qui était scripte sur mes films. En fait, j’ai beaucoup travaillé avec elle, et ça dès mon deuxième court métrage -j’ai fait, je crois, trois longs métrages avec elle. Donc j’ai commencé à voir pas mal Marie, puis j’ai découvert la peinture de Joël. J’ai connu son travail de peintre avant celui de réalisateur.

Comment est venue l’idée de le faire participer à Chacun cherche son chat ?

C’est venu comme tout dans ce film-là : au dernier moment. C’est-à-dire qu’on a décidé deux semaines avant de tourner que ça allait devenir un long métrage alors que ce devait être un court. J’ai réécrit le scénario, ajouté des personnages et j’ai également voulu prolonger l’histoire d’amour de Chloé, le rôle principal. Il y avait pas mal de choses qui venaient de Joël dans ce film : j’ai habité un temps chez lui et Marie, il m’a fait découvrir ce quartier dans lequel il vivait depuis dix ans, les gens qu’il connaissait, en gros la population du bar des Taillandiers, comme Renée -on traînait beaucoup dans ce coin-là parce qu’on y jouait au tennis. A un moment, avec la personne qui faisait le casting, on s’est dit : « Si on met ce personnage dans le film, autant qu’il soit du quartier et réellement peintre. » Enfin, il y avait tout qui collait : on savait que Joël pouvait jouer et c’était dans la logique de ce film, monté entre amis, que ce soit lui qui le fasse. Il a accepté tout de suite, étant très attaché à son quartier, ça lui plaisait beaucoup qu’on y tourne un film. De plus, on était devenus déjà très amis alors il était content qu’on travaille ensemble.

L’idée de l’artiste peintre-chanteur vient-elle également de lui ?

Dans ce film-là, j’utilisais un peu tout ce qui traînait. C’est vrai qu’il aime bien chanter ou faire semblant de chanter du bel canto et donc j’ai décidé de l’appeler ainsi dans le film. Ca venait vraiment de lui. C’est pour ça que j’ai également intégré sa peinture. Ca résolvait bien le problème de « comment montrer un peintre au cinéma ? ». Il y a toujours la question de savoir s’il faut ou non montrer la peinture. Là, on pouvait parce que c’est justement de la peinture montrable, c’est vraiment de la peinture.

La peinture n’est pas vraiment montrée dans le film, on la suppose plus qu’on ne la voit.

On voit à un moment quelques toiles, juste pour dire : « Il peint ce genre de choses. » C’est vraiment mis comme un décor, je ne voulais pas non plus faire une espèce d’exposition déguisée de Joël Brisse, ce n’était pas le propos. Son personnage a un rôle fondamental parce que l’héroïne tombe amoureuse de lui et en même temps c’était bien de le garder dans un certain mystère, on ne sait pas bien qui il est. J’aimais le fait qu’elle soit maquilleuse et lui peintre ; il peint sur des toiles et elle sur des visages ; lorsqu’elle se maquille pour sortir, lui est en train de peindre une toile ; disons qu’ils ont des choses en commun.

Joël Brisse semble soucieux de la condition actuelle de la peinture jugée comme un peu dépassée. Il en est un grand défenseur. Est-ce que le fait d’inclure un artiste peintre dans votre film était pour vous une manière de participer à son combat ?

Oui certainement, j’ai toujours été très sensible au fait qu’il me dise : « Une exposition réussie, c’est 300 personnes » alors qu’un succès au cinéma s’élève à plusieurs millions de spectateurs. Donc on avait souvent ce genre de discussions sur « qui voit quoi » et on notait cette différence énorme du cinéma qui fait son statut particulier : ce n’est pas de l’art mais du commerce, ou un mélange des deux mais plutôt du côté du commerce que du côté de l’art. Et donc la réflexion portait beaucoup sur la nécessité ou non d’un détachement commercial pour que ça devienne un objet artistique, et sur la différence entre son activité de peintre et celle de Marie Vermillard et moi. Ca a joué ensuite sur son choix de faire du cinéma ; il a voulu réaliser quelque chose qui soit davantage vu que ses tableaux, même si, comme vous dites, il combat toujours pour la peinture, pour que ça continue et pour que les gens la voient. Mais c’est vrai, c’est en ce moment un combat difficile, parce qu’il n’y a pas seulement le combat de la peinture en général mais il y a des combats internes à la peinture : l’art conceptuel a accentué ce dénigrement de la peinture au sens classique. Du coup, Joël mène deux combats.

Quelle est votre position par rapport à ça ?

La peinture m’a toujours intéressé. Je suis un peu triste de l’abandon de la pâte, de la peinture classique. Autant il y a des choses passionnantes dans l’art conceptuel, dans les installations ou autre, autant le fait de lâcher à ce point-là la peinture (je connais beaucoup de gens aux Arts Déco et aux Beaux-Arts : ils ne peignent plus) a quelque chose d’assez tragique. Je comprends la bifurcation mais je pense qu’on ne mesure pas complètement le problème de l’abandon du dessin et de la peinture.

Y a-t-il des artistes auxquels vous vous intéressez particulièrement ?

Je vais voir des expositions. Les peintres qui me plaisent sont très souvent intermédiaires entre l’abstraction et la figuration, c’est peut-être pour ça d’ailleurs que j’aime bien Joël. Ce sont des gens comme Nicolas de Staèl, Bonnard, Miró. C’est vrai que la peinture semble déjà une époque lointaine parce qu’aujourd’hui on ne peut plus parler de peinture. J’aime bien Boltanski mais ça n’a plus rien à voir avec ça. Si on parle de peinture, on parle de choses anciennes. C’est vraiment une interrogation que Joël et moi avons et qui pour l’instant reste sans réponse : « Est-ce que ça n’est que dépassé de peindre ? Est-ce que ça n’est qu’être classique, académique ? Est-ce que ça n’est qu’un passage qui fait qu’aujourd’hui on fait autre chose quand on fait de l’art et que plus tard on pourra peindre à nouveau ? Et pourquoi pas du figuratif ? Est-ce qu’on a à ce point brûlé cette étape-là ? » Entre Morandi et Nicolas de Staèl, il y a une période commune, une démarche commune et en même temps ils n’ont rien en commun. Moi, dans un geste artistique, c’est ça que j’ai envie de voir : à quel point on quitte la réalité et on y reste pourtant quand même. Plastiquement, c’est ce qui m’émeut le plus. Ce travail, Joël Brisse le fait sur la figure humaine, par rapport à la silhouette ou par rapport à une idée d’humanité qui serait quelque part dans le tableau. Ce qui m’impressionne le plus dans son travail, c’est le fait de savoir comment il arrive à nicher de l’humain dans des formes. Avec en plus des références religieuses qu’il a, c’est-à-dire en général « des bouts de gens ». C’est effectivement religieux chez Joël. C’est ça qui fait que c’est fort. Ce n’est pas de la représentation, c’est vraiment autre chose.

Propos recueillis par