John Ajvide Lindqvist, prestidigitateur et ancien comédien de « stand up », est l’auteur surprise de « Laisse-moi entrer », un des meilleurs romans fantastique depuis longtemps. Rencontre avec l’écrivain d’horreur qui venait du froid.

Après Stieg Larsson et Henning Mankell, Helene Tursten et la redécouverte des pères fondateurs Sjowall et Wahloo, le dernier phénomène nordique en date a pour nom John Ajvide Lindqvist, auteur en 2004 d’un premier roman qui renouvelle de fond en comble le roman de vampires, un genre qu’on croyait pourtant exsangue, dévoyé ad vitam aeternam par la mode bit litt et par les vampires tarlouzés façon Anne Rice ou Twilight. Rien de tout cela avec Laisse-moi entrer. Oskar a 12 ans. Il vit seul avec sa mère dans une cité ouvrière de la banlieue glacée de Stockholm. Souffre-douleur de sa classe, trop gros (« grouik, grouiik », les autres l’appelle Cochonou) et incontinent avec ça, une éponge à pisse planquée au fond du slip complète le tableau d’un gamin qui découpe les faits divers sanglants dans les journaux, vole un couteau, rêve de meurtres et de se venger de ses tortionnaires. Jusqu’au jour où une petite voisine du même âge emménage dans l’appartement d’à côté en compagnie de son père (son oncle ?). Eli ne sort qu’à la nuit tombée. Elle ne parait craindre ni le froid ni la neige et exhale une odeur douceâtre un peu écœurante qui lui rappelle la gangrène d’un vieux clébard mourrant. Oskar ne s’inquiète pas non plus lorsqu’une série de meurtres rituels est perpétrée dans les bois alentours. « J’ai toujours été fan des films et des romans d’horreur, avoue l’auteur. Je suis tombé dedans à l’adolescence, pour n’en jamais vraiment sortir. Mais je ne m’étais jamais imaginé en écrire ».

Faites vos jeux

Et pour cause, depuis tout petit, John Ajvide Lindqvist ne rêve que d’une seule chose : devenir un magicien. « C’est vraiment ce que je voulais faire par-dessus tout. J’ai commencé par des tours de passe-passe avec des jeux de cartes. J’ai fait des compétions, je n’étais pas mauvais mais je me suis rendu compte que j’étais surtout doué pour amuser la galerie. Donc j’ai continué dans la stand-up comédie. Puis de fil en aiguille, j’ai écris des sketchs pour d’autres comiques plus célèbres que moi. Quelques pièces de théâtre plus tard, qui n’étaient pas très bonnes et dont personne n’a logiquement voulu, j’ai commencé une nouvelle avec des zombies, en me disant : « tant pis si ce n’est pas de la grande littérature, au moins c’est une bonne histoire qui fait peur ! ». C’est la première fois que je me sentais parfaitement à l’aise en écrivant ». Les jeux sont faits. L’absence de débouchés – il n’existe en Suède aucune revue spécialisée où publier des nouvelles d’horreur – l’incite à commencer la rédaction d’un roman, pour une large part autobiographique. « J’ai puisé directement dans ma propre enfance. Oskar vit dans le même appartement où j’ai grandi, à Blackeberg, une cité HLM comme il y en avait tant dans les années 80. Je voulais retrouver la saveur particulière de cette époque ».

M le Maudit vs Nosferatu

C’étaient les années Rubik’s Cube, la mort de Brejnev et Dallas à la TV. Très à son aise dans la reconstitution, l’auteur s’autorise aussi quelques digressions inattendues (la scène d’Oskar avec son père), mais sans jamais vouloir égarer le lecteur sur de fausses pistes inutiles. L’émotion qui s’en dégage n’est pas feinte. Laisse-moi entrer marque également un retour radical aux sources de l’horreur splatter des années 80. Lindqvist ne cache pas son admiration pour Clive Barker (le Rubik’s Cube est aussi un clin d’oeil amusant à Hellraiser), Stephen King ou James Herbert. A la manière d’un Jack Ketchum, il ose des scènes d’une crudité incroyable (Eli violée par un pédophile zombi), sans pour autant renoncer à une forme d’humour cartoon (l’écureuil par les yeux duquel on voit ce qui se passe dans la forêt). Lindqvist se joue d’autant mieux des clichés du genre qu’il s’est préalablement débarrassé de toute l’encombrante panoplie du vampire fin de siècle (gousse d’ail, croix et chauve souris). Seule concession : le titre original (Låt Den Rätte Komma In) renvoie à la fois à une chanson de Morrissey tirée de l’album Viva hate (« Let the right one in. Let the old dreams die. Let the wrong ones go ») et à la mise en garde du professeur Van Helsing sous la plume de Bram Stocker : « Toutes les portes ne lui sont pas ouvertes ; il faut au préalable qu’on l’ait prié d’entrer ; alors seulement il peut venir quand il le désire… ». Schwedenkrimi expressionniste (M le Maudit vs Nosferatu) et quasi lovecraftien dans l’âme (quelque chose se cache dans les angles des bâtiments), Laisse-moi entrer réussit l’improbable rencontre du roman de vampires et de la critique sociale. « Blackeberg était une ville moderne, avec tout ce qu’il fallait pour être heureux, un centre-ville, des aires de jeux pour les enfants, des espaces verts, mais il manquait quelque chose, il n’y avait pas de passé. (…) 9 000 habitants et même pas une église ».

Hollywood

Au passage, l’auteur dresse une émouvante galerie de portraits de loosers sans nom, alcooliques, chômeurs, toxicomanes, prostituées, laissés-pour-compte d’une société pourtant érigée en modèle d’intégration. « Evidemment pour moi, c’est bien plus qu’une simple histoire fantastique. C’est pourquoi, je tenais absolument à signer le scénario du film (Morse de Tomas Alfredson, 2008), pour n’avoir personne à haïr jusqu’à la fin de mes jours en cas de trahison. J’étais parfaitement conscient qu’il fallait faire des choix. Beaucoup d’éléments ont été écartés pour concentrer l’histoire sur la relation entre Oskar et Eli ». Le film y gagne en concision, mais le roman révèle une maîtrise et des qualités insoupçonnées. Depuis, Lindqvist a signé quatre autres romans dans la même veine (à paraître chez Télémaque) et Hollywood est également tombé sous le charme de cette histoire de vampires décidemment pas comme les autres dont Matt Reeves (Cloverfield) a d’ores et déjà signé le remake US.

Laisse-moi entrer, de John Ajvide Lindqvist
(Télémaque)
Morse, de Tomas Alfredson – DVD et Blu-ray
(Metropolitan)