A l’occasion de la sortie de Demain c’est maintenant, rencontre avec les deux voix de Futuristiq, alias Qrono et Nubi. Le nouveau duo de choc du Secteur Ä n’est pas du genre à s’autoproclamer porte-parole de la révolte dans les banlieues. Lascars mais pas casseurs, les Futuristiq veulent être les ambassadeurs de l’esprit hip-hop.

Chronic’art : Pour vous, quel a été le déclic du rap ?

Qrono : Public Enemy. Je me suis intéressé au rap grâce à eux. Nubi, c’est Grandmaster Flash. Eux, ils me faisaient goleri (rires).

Nubi : J’ai la chance d’avoir un grand frère qui était branché hip-hop dès le début, donc je l’ai suivi. On avait l’album de Grandmaster Flash à l’époque, j’étais fier. J’aimerais bien le retrouver d’ailleurs.

Q : Après, avec Radio Nova, on s’est plus intéressés au rap français. Rappatitude, je crois que ça a été le grand truc. NTM, Je rape et EJM, Dangereux.

N : Il venait du Sud, « toujours plus fort, plus rude » ! Le rap français, il était à un niveau… On n’avait rien à envier aux Ricains. Aujourd’hui aussi… Mais à l’époque, il y avait un esprit, il y avait l’amour.

Vous étiez dans le mouvement à l’époque, vous alliez aux concerts de rap ?

N : Non, à l’époque, même pour aller aux après-midi, je luttais avec ma mère !

Q : Juste les après-midi au Chapelais, des trucs comme ça, pour danser et s’éclater.

N : Sinon, c’était ce qui se passe dans ton quartier, avec ton poste, tes potes. A la maison de quartier, tu danses, tu fais tes petites chorégraphies, tes premiers délires… Tu sais, tout le monde a fait un peu de danse, un peu de ceci, de cela.

Q : En fait, on se tenait au courant plus par le biais de la radio ou des disques.

N : A l’époque, le hip-hop c’était tous les jours avec tes potes. Il y avait toujours un mec qui beat-boxait quelque part, toujours des mecs qui se tapaient des défis de danse, qui hypaient. C’était tous les jours, tout le temps.

C’était important dans le quartier où vous habitiez ?

N : Dans mon quartier, c’était un peu pépère. Mais dès que tu franchissais ma porte, tu savais que chez nous, c’était ça le délire. On poussait la table dans la salle à manger avec mes reufs, on mettait des casquettes, des K-Way et ça y est, c’était parti.

Q : Dans tous les quartiers les mecs faisaient leur petite bande. Chacun avait son truc, des signes pour se reconnaître, pour être dans le mouvement Zulu. Après, c’était des petits défis. A l’école, les mecs se montraient le nouveau pas.

N : C’était un bon esprit.
C’est toujours comme ça ?

Q : Non, maintenant les mecs écoutent du rap, c’est tout. Ils s’en foutent du reste. Il y a ceux qui font DJ, ceux qui dansent, ceux qui rappent. Ce n’est plus : « Moi j’appartiens au mouvement. »

N : C’est plus : « Pour moi, le rap, c’est que la musique. » Alors que le hip-hop, au départ, c’était un état d’esprit plus positif.

Q : Plus un message fraternel : Love, peace and unity.

N : Oui, « paix, amour et unité ». Ca m’a toujours plu ce message. Il y a toujours eu des blancs, des rebeus, tout ce qui bouge…

Q : Maintenant, ça se perd un peu quand même dans la vie de tous les jours.

N : Oui, la vie a changé, elle n’est plus comme quand on avait 14 ans. Ce n’est plus vraiment « peace, love and unity », dehors ! (Rires.)

Q : C’est : « Faites la guerre pour vous en sortir ! »

N : Maintenant, il faut gagner de l’argent à tout prix, c’est ça qui a changé.

C’est sain ?

Q : Ca dépend comment tu vas gagner de l’argent (rires). Et même, s’intéresser à l’argent, c’est pas vraiment sain non plus. Quand tu es jeune, il y a autre chose. On s’est tapé un paquet de délires dans notre jeunesse, mais même si on a fait des conneries, il y avait toujours l’envie de s’amuser. Les petits de maintenant, c’est tout pour l’oseille. Les petits de mon quartier, à Ivry, on leur dit « on fait ça », et ils disent « non, non, je reste là ». S’il n’y a rien à gagner, ils bougent pas ! : « Je reste là, je fais mon billet. »

Quand vous avez rencontré Kenzy, vous aviez déjà des trucs enregistrés.

N : On avait fait une mix-tape, DJ Poska. On avait sorti le maxi Napalm sur la compile Hostile 2. C’est tout.

Q : Il a flashé sur Hostile 2, ça a été le déclic pour lui. D’ailleurs, je me rappelle, on le croisait souvent à Hostile. A chaque fois, je demandais à Bruno : « Merde, c’est qui lui ? » A chaque fois, on le croisait, et je ne le reconnaissais jamais.

N : Il nous disait : « Futuristiq c’est ça ? » On trouvait ça étonnant qu’il connaisse notre base alors qu’on venait seulement d’arriver, qu’on n’était pas du tout connus. Apparemment, il avait écouté notre truc et il avait accroché. Quand on l’a vu vraiment, qu’on a parlé avec lui, on cherchait plus un manager qu’autre chose. On voulait plus une structure. On n’avait rien, pas d’instrus. On s’est tourné vers lui parce qu’on savait qu’il y avait peut-être un buzz’ à faire.

C’était il y a trois ans ?

N : Oui, on a signé en septembre 1998. En fait, on s’est vu l’été. On restait des heures dans son bureau à parler, de rien, de rap, de Public Enemy, de ce dont on parlait tout à l’heure, de l’état d’esprit d’avant et de maintenant. Kenzy a clairement l’amour du hip-hop. Il kiffe ça. Il nous a toujours dit : « Je veux que vous vous éclatiez, que vous me fassiez vibrer. » Il ne nous a jamais dit demandé d’adoucir notre message ou de ralentir le flow. Tous les conseils qu’il nous a donnés, c’était pour être plus performant artistiquement.
Il y a d’excellents instrumentaux : Je suis celui, Intestable, Lascars de luxe, Mode d’emploi

N : C’est du lourd, que du bon taff’.

Q : Ca montre qu’il y a des types pas encore connus et qui poussent derrière. Il y a du monde ! Les anciens concepteurs, ils ont du mauvais sang à se faire, comme pour les rappeurs. Ca pousse aux portes !

Qui sont les négriers modernes que vous dénoncez ?

N : Ce sont les patrons qui ont exploité mon père, ma mère, ton père, ta mère. Tu vois ce que je veux dire ? L’esclavage moderne, c’est se lever tous les jours pour toucher une misère. Ce qu’on te donne à la fin du mois, tu le redonnes à celui qui te l’a donné.

L’alternative dans vos chansons, c’est la révolte. Mais pour quoi faire ?

N : Révolte ? Quand tu dis révolte, c’est un grand mot !

Vos paroles sont pourtant claires !

N : C’est clair, il faut faire changer les choses. Maintenant, ce que l’on peut dire, c’est : « Il faut bouger pour nous-mêmes parce que personne ne viendra nous aider. » Il faut que tout le monde se prenne en main. Moi, je ne peux pas faire changer le monde ; même à deux, on n’y arrive pas.

Q : Pousser chacun à la révolte individuelle.

N : La révolte, c’est quoi ? C’est dire non à certains trucs. Dire non à ce que l’on t’impose, à ce que l’on te donne, même gratuitement, ce que tu avales bêtement sans réfléchir. La révolte, c’est juste réfléchir et refuser ce qui ne va pas avec tes principes, même si c’est établi par telle ou telle règle.

Vous parlez du racisme. Quelle est la solution ?

N : Oui, nous sommes deux Noirs qui vivons en France. Dans ce pays-là, la solution, on ne l’a pas, mais on dénonce ça. Souvent, dans notre rap, on traduit en mots ce que l’on voit. On pointe une caméra : « Voilà, regarde ce qu’il se passe. »

Dans Homme de terrain, la solution, c’est taper le flic zélé raciste !

N : Non, c’est un délire, c’est une histoire… C’est le morceau où l’on s’est le moins pris au sérieux, et en même temps on a dénoncé un truc grave.

Q : Parce que ça nous est arrivé.

N : Il y a plein de gens qui vont se reconnaître là-dedans. Tu sors de chez toi, t’es bien, tu vas t’éclater, tu finis en garde à vue, tu ne sais même pas pourquoi. Un contrôle de papiers et les trucs dégénèrent, parce que les keufs, ils ne sont pas polis -ils font leur taff bizarrement-, parce que c’est toujours toi ! Souvent, tu les vois venir. T’es avec ton pote et tu dis : « Voilà, regarde, c’est pour nous. » Ils arrivent. Et voilà !

Q : C’est direct. T’es en voiture, tu vois les flics, tu vois tout de suite le mec parler à son supérieur. Il va dire : « Regarde la 205 noire qui arrive. » Il n’a même pas regardé ta voiture, il t’a vu à l’intérieur de la voiture. C’est souvent comme ça. Dans un centre commercial, tu vois les petits qui s’embrouillent avec les flics. Ils disent : « Vous nous respectez pas, mais vous allez voir ! » Tu sais très bien que eux, dès qu’ils prennent trop la rage, si les flics vont trop loin, ça va se terminer comme à la fin de notre texte. Ce ne sera pas de la fiction !
Il y a une référence à Jacques Prévert alors que vous revendiquez la négritude. Pourquoi ne pas avoir cité Aimé Césaire ?

Q : Tu pourras retrouver quelques phrases clés d’Aimé Césaire dans certains textes. Je suis métis. Négritude, ça ne veut pas dire uniquement « noir ».

N : Jacques Prévert, j’aimais bien à l’école. Le français était l’une des seules matières que j’appréciais. J’ai toujours aimé la poésie, jouer avec les mots.

Q : On veut juste montrer aux gens comment la vie se déroule pour nous, comment on la ressent, comment on la retranscrit. C’est quoi la vie d’un banlieusard ?

N : Dans les grandes lignes, la vie d’un lascar, partout en France, elle est la même, pour les Blancs comme pour les Noirs.

Q : Le problème maintenant, même si le racisme existe, c’est plus l’absence de dialogue vieux/jeunes. L’entente ne passe plus, il manque un chaînon. Les jeunes se demandent de plus en plus pourquoi on est gouverné par des vieux qui ne nous comprennent pas.

N : La France est un pays de vieux.

Q : Il y a une pub pour Internet qui me fait rire : un couple de personnes âgées qui se mettent sur le Web et ne comprennent rien. Et bien voilà, dis-toi que leur ordinateur, c’est un jeune.

N : Je crois qu’ils n’en ont rien à foutre de nous. Quand ils ont sorti les emplois jeunes, ça m’a fait rigoler. Tu fais travailler un jeune pendant cinq ans pour l’Etat et il n’est pas sûr d’être embauché. Sur des millions d’emplois jeunes, combien vont garder leur taff ? Et les autres, ils auront gagné quoi ? Cinq piges de perdues, parce que sur le CV, emploi jeune, ça vaut rien. C’est pas beau de faire semblant et après de dire que le chômage a baissé. Maintenant, on verra dans cinq piges. Je connais plein de mecs qui ont eu un emploi jeune. Il y en a pas mal qui ont lâché l’affaire les premiers mois : ils ont vu qu’il n’y avait pas d’avenir. On te met la carotte et tu vois que la carotte est pourrie : ça sert à rien d’aller la chercher ! C’est pour ça que les jeunes, aujourd’hui, ils ne veulent pas aller travailler. Qu’est-ce que tu veux leur dire ?

La religion revient en force avec le rap. Il y a quelques références à Dieu dans votre album.

Q : La référence suprême, la force qui est au-dessus de nous. C’est clair que chacun y croit à sa façon. Je n’y crois pas de la même façon que Bruno mais il y a quelque chose au-dessus de nous.

N : On ne rentre pas trop dans les détails. J’ai la foi en Dieu, je vais me convertir à l’Islam bientôt. Qrono n’est pas dans le même truc que moi. J’ai mes convictions, lui a les siennes, on sait qu’on va dans le même sens. Je sais qu’il croit en Dieu. Même s’il ne croyait pas en Dieu, je le respecterais quand même. C’est très personnel. Mélanger ça avec du rap tout le temps, c’est pas notre trip.

Q : Là où on habite, tout le monde croit en Dieu, Blancs, Antillais, Arabes… Regarde comment le monde tourne ; si tu l’observes bien, tu te poses des questions. On est de passage, on est ici pour gagner « là-haut » à mon avis.

Le featuring de Joey Starr ?

N : Joey Starr a annoncé le morceau, il a mis de l’énergie. Le truc, quand il part, c’est comme quand tu tiens un pitbull. Tu l’énerves, tu l’énerves, et quand tu lâches le collier, il part comme une bombe. Lui, c’est pareil, quand il fait l’ambiance d’un morceau, au début, il fait monter la pression, et après, quand tu pars, ça fais boum ! On a envie de le « big up ». D’ailleurs, on lui passe une dédicace. Big up !

Entretien réalisé par

Lire notre chronique de l’album, Demain, c’est maintenant.