Gabrielle Wittkop a profondément dérangé avec son roman Le Nécrophile, histoire d’amour morbide qu’un esthète voue à « cette chair si froide, si douce, si délicieusement étroite que l’on ne trouve que chez les morts ». Depuis, elle excelle dans cette littérature noire aux relents de mort et aux tourments gothiques. Une auteur sadienne dira-t-on d’elle…

Encore une fois, transcendance et déchéance sont les deux leitmotiv dogmatiques de La Mort de C., suivie du Puritain passionné. A vous de découvrir et d’apprécier (ou non) ce dernier, pur esprit narcissique et obsessionnel souffrant d’une passion violente… Doloriste ne sachant jouir que par le blasphème et la profanation du corpus Christi (« par sa bouche, le christianisme s’effondrait non pas comme un édifice qui croule mais comme une poche d’immondices qui se défait. (…) L’hostie souillée collait comme une morve dans des linges de forçat. (…) Chacune des paroles de Blanche -flèche impossible à arracher- pénétrait mon âme, ma chair enfantine, pour m’obséder jusqu’à ce point précis de la douleur exquise »).

Quant à La Mort de C., l’intrigue est absente et le dénouement déjà annoncé… C., être corporel et non nominatif, sans cesse ressuscité pour réinventer sa mort, son assassinat, un accident, une mauvaise rencontre. Ce n’est qu’un enchaînement d’hypothèses sur les circonstances du décès de C.
Le lieu de la tragédie : « la torpeur de l’Inde vautrée à terre dans la poussière, la morve et la bouse » et « le labyrinthe des rues squalides comme taillées dans un bloc de putréfaction, des venelles sans retour, des pièges maçonnés, un dédale tout en angles et en recoins ». Bombay est imprégnée d’une puanteur de charogne et des traces glaireuses des crachats des mendiants… Rien d’autre. La mort, les morts de C. ont des tonalités gothiques, de décadence et de romantisme à la fois. Le macabre fleurte avec la beauté surannée des corps cireux fin de siècle. La mort de C. n’est plus uniquement l’ostentation du corps mort, mais l’adoration dévorante de ces chairs couleur hostie qui inquiètent et attirent (« L’intouchable -revanche d’intouchable- baise la bouche de C., un geste qu’il a coutume de faire quand les morts sont beaux. Il lui effleure le sexe… »).
Et on découvre une étrange fascination pour cet état d’entre-temps, entre la mort cérébrale et la mort organique, pour cette énergie mystérieuse et souterraine qui excite les organes vitaux et cristallise l’altération des cellules. La putréfaction du corps en décomposition laisse bientôt place à la beauté virginale, purifiée du corps mort.

Terrible et étonnamment sentimentale, Gabrielle Wittkop ne cherche pas à provoquer ou choquer. Il n’y a ni amoralisme, ni complaisance. Elle encense cette passion morbide vouée à la mort, à son odeur de putréfaction et ses réactions organiques de décomposition des chairs. Gabrielle Wittkop cultive une esthétique de la mort charnelle, à la fois répugnante et attirante. Avec une affection certaine des phrases ciselées, l’écriture « wittkopienne » n’en reste pas moins délicate et sobre, sombre poésie aux tonalités baroques et glacées. Le style, d’une irréprochable maîtrise, trouble et inquiète par ses sursauts incantatoires (« End will be simple, sudden, God-given… »). Il s’en échappe une certaine quiétude, une sérénité face à la puanteur morbide des rues, témoins des décès de C.

Mais c’est une écriture à la fois retenue, obsessionnelle et cauchemardesque dans les détails saisissants où tout n’est qu’éternel et macabre recommencement… Une musique aux intonations funèbres et hypnotiques, avec sans cesse la même et unique rengaine : « C. sent un choc au côté droit. La lame déchire la chemise, troue la peau, s’enfonce dans la paroi adipeuse, dans la paroi musculaire. Elle crève le péritoine, plonge dans le foie, tranche le ligament rond -vestige de la veine ombilicale- puis fait deux demi-tours sur elle-même, axe supérieur droit, axe supérieur gauche, détruisant le tissu hépatique sur son parcours, le réduisant en une bouillie brune et noire. La lame tourne encore une fois, rageusement, avant de quitter la plaie avec un sifflement mat, et de revenir à son maître, chaude encore du sang de C. »

Il n’y a ni Dieu, ni Diable, il ne reste que la déraison et la déchéance humaine qui animent toute destinée. Il n’y a d’élégie que pour la beauté austère de la mort, de ses chairs glacées et pourtant érotiques.