Soleil est un de ces romans oubliés qui sortent de l’ombre grâce à l’enthousiasme d’un traducteur (ici, Benoît Grévin, dont la postface offre un éclairage des plus intéressants sur l’auteur et le texte) et à la rencontre avec un éditeur.  Négligé par les traductions, Yokomitsu Riichi a écrit à l’ombre d’un Natsume Sôseki ou d’un Kawabata Yasunari. Pourtant, son Soleil, paru en 1923, mérite qu’on s’y arrête. Pour son foisonnement, son rapport à la Nature, son exotisme, sa beauté à la fois archaïque et épique qui n’est pas sans rappeler l’esthétique de certaines relectures très contemporaines, y compris occidentales, de contes et légendes japonais : les couleurs d’un Miyazaki, l’impact graphique d’un Saverio Tenuta. Yokomitsu Riichi, en réécrivant un récit mythique, se place hors du temps et transforme Soleil en un récit toujours actuel. Ce n’est pas anodin : cette atemporalité est un élément central de l’attrait du texte.

Si Benoît Grévin explique que l’œuvre, « unique en son genre », serait née d’une rencontre de Yokomitsu Riichi avec Salammbô, la princesse Himiko, son héroïne, s’avère très éloignée de sa cousine européenne. Diaphane ou vengeresse, soumise ou destructrice, elle a tout d’une figure iconique du conte. Ses origines, à chercher du côté des premiers récits historiques sur le Japon, confortent ce sentiment de rencontre avec un univers légendaire. La Chronique des trois Royaumes, chronique chinoise du  IIIème siècle, raconte une reine chamane, retirée dans sa forteresse et entourée de femmes, une sorte de Reine Vierge asiatique qui dirige, après une longue période de troubles, la contrée unifiée du Yamatai. Quelques lignes dans une chronique chinoise, et l’histoire d’Himiko s’arrête. Le reste est affaire de fantaisie de l’auteur.

C’est ici que la princesse Himiko fonde son identité, dans cet univers que Yokomitsu Riichi façonne pour son personnage. Une contrée sombre, sauvage, des châteaux noyés au milieu des forêts, des montagnes sillonnées par les soldats en guerre. Les hommes et la nature vivent en symbiose. Plantes et animaux offrent un décor à la démesure humaine de ce théâtre de haines et de jalousies. Himiko est une proie, objet de la convoitise des princes de la contrée qui s’entretuent pour la conquérir. De ce bain de sang, elle tire sa stature, assied un pouvoir dont elle n’imaginait pas qu’il puisse lui revenir. Elle est celle par qui le drame arrive, celle qui saura réordonner le monde. Un monde où les hommes se distinguent par leurs appétits sexués, sanglants et meurtriers, un monde qui va laisser son empreinte sur Himiko. La princesse du début du roman, l’amoureuse riante, cède la place à une figure vengeresse, insatisfaite, toute innocence disparue. Et le récit se déroule, théâtre des passions humaines.

Traduit du japonais par Benoît Grévin.

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