Il y a des lieux où, bizarrement, toute une époque se reflète, se concentre, par un effet du hasard, ou une sorte de Providence. Frédéric Vitoux en a trouvé un sur son île natale, l’île Saint-Louis, à Paris, sur laquelle il a déjà beaucoup écrit : le Rendez-vous des mariniers, un bistrot familial né au début du siècle au n°33, quai d’Anjou, et qui ne fermera ses portes qu’au début des années 1950. A ses tables se sont assis pendant 40 ans des poètes, des romanciers, des artistes. Simenon y a déjeuné, Drieu la Rochelle, Jean de la Ville de Mirmont, Louis-Ferdinand Céline, et bien d’autres. John Dos Passos, autour de la Première guerre mondiale, a carrément loué aux propriétaires la petite chambre située au-dessus du restaurant, pour y écrire ses premiers récits ! Quel est donc ce magnétisme qui a attiré là tous ces noms célèbres ? La bonne cuisine de la patronne, la localisation idéale de l’endroit ?

Né à quelques pas, Vitoux mène l’enquête, mélangeant ce qu’il a découvert sur l’établissement et ses tenanciers (peu de choses, mais tout de même – ce qu’il ne sait pas, du reste, il l’imagine) et des digressions sur ses nombreux hôtes de marque. Même si l’ensemble donne par endroits l’impression d’une enfilade de petites biographies romancées, ce Rendez-vous des mariniers forme un bel essai d’histoire littéraire vue du troquet, sous un angle incongru et sentimental (l’attachement personnel, presque amoureux, de Vitoux à ces rues, ces quartiers, son île, transpire à chaque page). Un petit défi lancé au temps qui passe, pour remonter jusqu’aux années 1920, retrouver nostalgiquement le Paris populaire d’alors, pousser la porte du Rendez-vous, « respirer les odeurs de friture et demander que l’on me présentât l’addition sur la fameuse grande ardoise de la patronne ».