Parfois c’est plus les souvenirs que les kilomètres qui nous éloignent d’une ville, parfois c’est la promesse d’un grand kaléidoscope digital qui nous y fait revenir. Focus sur un week-end (18, 19 et 20 septembre 2009) plein de bidouillages électronique, de grand messes païennes, de liberté de culte numérique qu’on ne révoquera pas, avec ou sans édit.

Niveau 1 : Vendredi 18 septembre 2009

Je ne connais évidemment pas l’ensemble des personnes qui travaillent pour Chronic’art et il m’arrive parfois de croiser quelqu’un au cours d’une soirée qui m’apprend après une demi-heure de conversation qu’il fait partie de l’équipe. Je vois alors Cyril de Graeve / Vincent Montagnana en Docteur Gang (une main gantée sur un clavier d’ordinateur, l’autre caressant un mauvais chat gris) et je me prends à brosser le portrait de journalistes-imaginaires-membres-d’une-société-secrète. A quoi ça peut ressembler un journaliste de Chronic’art ? Est ce qu’ils ont tous des lunettes ? Des chemises à carreaux ? Des ampoules au bout des doigts à force de cliquer sur des souris et des manettes ? Des têtes de gentils garçons ou des cernes stigmatisant un mode de vie que la morale réprouve ? Bref, tout un tas de questions qu’a également du se poser Thierry en venant nous chercher à l’hôtel. Nous ne devions certainement pas correspondre à l’image mentale que notre runner s’en était fait, car nous l’avons vu passer son chemin après nous avoir jaugé d’un coup d’oeil…

Quelques coups de fils plus tard, enfin assises au côté de Thierry nous sommes en route pour le festival Scopitone. Il nous dépose à l’entrée du site et en sortant du van nous nous retrouvons au milieu de kids revenant des Nefs (où 1024 -deux membres d’ EXZYT- montrait Boom Box, leur nouvelle installation monumentale), se retrouvant par grappes mais sans distinction d’écoles (commerce, coolcat, fraggle), ils finissent rapidement leurs prémixs (biture express, biture express, biture express) et demandent à quiconque se baladant avec un Reflex numérique (un photographe de Tilate potentiel) de flasher leurs yeux déjà vitreux, leurs hoodies tachés, leurs déguisements, leurs nouvelles meufs, leurs meilleurs potes, leurs sales tronches ou leurs belles gueules ou même leurs fesses pour la postér(ieur)ité.

Nous sommes encore sur le seuil quand les membres de Sexy Sushi remercient le public et quittent la petite scène. Sous l’armature métallique, l’atmosphère est lourde. Rebbeca Warrior et ses acolytes y ont-ils contribué ? Pas sur. Parfois cet état de violence contenue est caractéristique des vendredi de Septembre; partagés entre nostalgie estivale et frustration de la rentrée : quoi qu’il en soit c’est la guerre dans le club. Ou plutôt dans la friche. Des gens essaient de rentrer par n’importe quels moyens et les mecs de la sécurité sont un peu à cran.

Les Naive New Beaters commencent leur show sur la grande scène. Le public à l’air d’apprécier les petites phrases accentuées, les chorégraphies niaises et les mélodies en carton-pâte (singles) des 3 parisiens. A contrario, leurs pulls chatoyants ne nous font pas plus d’effet que la casquette fluo d’un Teki ou le slim du chanteur d’un mauvais groupe de jeune « rockers » comme il y en a plein (pas de citation, la liste est trop longue). Leur son trop ancré/fabriqué dans les attentes des « années » fluo lasse de la même façon que l’engouement s’est crée (rapidement et massivement). Naive New Beaters se voulant groupe-concept décalé n’évolue plus qu’en devenant sa propre caricature, surfant avec plus d’aisance sur un versant graphique édulcoré et négligeant le musical. L’inter-plateau est le moment propice pour prendre un verre et quelques minutes pour observer l’installation lumineuse 48×48. Cette immense sculpture de LED réagissant aux mouvements de la foule, à la fois vaporeuse et massive, est suspendue au plafond de la friche tel un lustre monumental, convenant parfaitement aux proportions de l’espace et aux propositions du festival. Il convient mieux à cette heure de la nuit de regarder au plafond plutôt qu’au sol. La foule se diversifie tout en se compactant. Des strates successives s’accumulent, de plus en plus denses à proximité des crash-barrières. Laurent Garnier, tête d’affiche et « valeur sûre » rassemble un large spectre d’auditeurs allant du curieux qui connait-de-nom au mec qui-était-là-à-ses-débuts. Entouré de Scan X (autre précurseur de la techno française), de deux cuivres et d’un clavier, il s’impose comme le chef d’orchestre survolté de ce quatuor. Avec de grands mouvements de bras, de petits pas de danse et des regards intenses, il donne le ton et distribue la parole. Les oreilles neuves du public sont étonnées d’écouter, voire d’apprécier, tout ce qui est théoriquement/rigoureusement interdit en 2009 car considéré comme ringard (intervention vocale du Dj + excavation de jungle/afrobeat/freejazz). Le set se termine. « J’ai vu Laurent Garnier ». C’est un peu triste que je me rende compte que je le dis avec le même ton que j’emploie pour parler d’un incontournable culturel qui ne me plait pas.

Feadz se cale sur les propositions de Garnier et son set fait la part belle à l’exotica, très en vogue en ce moment, omettant les sonorités hip-hop qui lui sont normalement familières. Il semble avoir également mis de côté son enthousiasme (qui reviendra progressivement au fil du concert) et ne se donne pas complètement. Non qu’il soit dans la facilité ou dans l’indifférence, il est simplement ailleurs. On a même l’impression sur le moment qu’il préférerait être à Paris avec son crew pour la soirée Warp / EdBanger (ce qui sera confirmé le lendemain dans une interview donné à Papelar, le magazine du festival…). Les montées retombent rapidement, le set manque de fraicheur. La sauce ne prend pas au début, s’améliore sur la fin comme si Feadz se rappelait qui joue après lui et que cette pensée lui donnait de l’entrain. Bien que sa prestation soit moyenne, elle a permis d’assurer la liaison entre les majors de promos de l’ancienne et de la nouvelle école.
Lui, c’est Boys Noize, et pour lever les doutes il porte un tee-shirt à son nom. L’allemand casquette-baskets enchaine des morceaux et des mouvements d’aérobic aussi amples que son sourire. Devant, un public hyper-réactif conquis grâce à une conjecture favorable (sa première venue à Nantes, mix efficace, beaucoup d’alcool, heure avancée de la nuit). Derrière, Laurent Garnier, Scan X et Feadz restent sur scène pour apprécier sa technique tout en buvant un verre. C’est l’heure de rentrer. Certains dorment déjà sur place, terrassés par la fatigue et une mauvaise gestion de leur capital fête. Nous sommes ravies sur le chemin vers l’hôtel que Thierry nous croise et se rappelle notre tête après sa longue, très longue journée.

Niveau 2 : Samedi 19 septembre 2009

Le lendemain, la programmation nous réserve toute une typologie de Djs. Il y a les mecs du coin, les mauvais élèves, l’intellectuel, le sensuel et la paire. On attaque dans l’ordre : Beat Torrent (moitié de C2C) joue à domicile. Les deux nantais Atom et Pfel mènent les danses : celle de la foule en lui imposants des remixs virulents et implacables et celles des vidéos projetées derrière eux. Grâce à un logiciel (Serato) les Djs se font aussi Vjs en synchronisant le son et l’image. C’est ainsi qu’apparaissent, entre autres, un Angus Young sautillant sur les samples et un Brian Johnson aux mouvements saccadés dictés par les scratches qui clôturent le concert. Sur les murs de la friche, de parts et d’autres de la scène, sont disposés des écrans carrés qui pixélisent l’espace et permettent une immersion en perspective dans l’univers des artistes. Le collectif de Vjs Digital Slaves dirige les manœuvres en accompagnant et illustrant les différents concerts à renfort d’images de synthèse et de vidéos.

Mais leurs prestations sont inégales : souvent faciles et redondantes, reprenant régulièrement les topoï du genre. On ne peut que le déplorer car cela gâche un peu l’installation mise en place, qui aurait mérité une meilleure utilisation en laissant parfois sa puissance en sommeil. Cette exploitation maladroite de l’espace scénographié est d’autant plus déplaisante que les lightsets sont diminués au profit des Vjings. Vitalic s’en est passé, ayant sur scène sa propre installation toute de LED vêtue. Dans les panneaux inclinés, les visages de la foule se reflètent et se mêlent parfois à des visages virtuels dessinés par impulsions électriques. Des morceaux de l’album FlashMob sont extraits de tout un dispositif de machines et de branchements. Dans une rêverie je me perds à croire que les câbles sont trop longs, que les morceaux y perdent dans leurs méandres vitesse et puissance, et que finalement éclate au niveau des amplis une techno certes intelligente et érudite mais pas forcément entrainante ni sexy. Étant totalement à sa place dans cette programmation conjuguant musique et arts, Vitalic ne s’est peut-être s’est pas senti challengé et ne s’est pas non plus mis en danger. Ou peut-être en attendions nous trop.

Petit-tee shirt aux triangles enlacés, Brodinski s’avance et fait taire les mauvaises langues (dont je faisais partie) en se révélant non seulement brillant dj mais s’annonçant comme futur incontournable de l’electro, adoubé par la foule. En alliant technique à toute épreuve et charisme redoutable, il l’a dragué comme on séduit les filles. D’abord il lui fait entendre ce qu’elle veut, en jouant les morceaux qui font mouche (un petit Major Lazer par ci, un petit Lil Silva par là), alliés à des samples inattendus, parfois anciens ou peu connus. Ensuite, il la fait un peu languir en lui montrant qui est le maître à bord. Brodinski maitrise avec précision son set et son public : il lance une boucle, s’éloigne des platines en toute confiance, sort son appareil et filme des milliers de bras levées, se réjouissant d’être sûrement sur Myspace le lendemain. Il la fait danser et danse avec elle, lui jette quelques œillades, et décroche quelque sourires. Il a l’air heureux d’être avec elle, elle le lui rend bien. Pour finir, il est impertinent. Depuis son piédestal, il fait penser à un danseur de salon guidant sa compagne du bout des doigts et c’est ainsi qu’il lance un tango, attrape ses disque et disparaît en coulisse. Les Simian Mobile Disco en back to back font pâle figure après un tel show, nu sans leur attirail lumineux. On dirait qu’ils prennent plus de plaisir à se défier qu’à faire bouger tout le monde. La foule simule, mais ne le répétez pas. « raise the voices, just another night in Nantes ».

Bonus : Dimanche 20 septembre 2009

Le dimanche est propice aux ballades extérieures et aux voyages intérieurs. Les différents lieux dans lesquels s’inscrit le festival ne font que les encourager. Il y a d’abord le château où sont exposées deux œuvres «aquatiques» dont le thème colle bien avec l’exposition en cours « La mer pour mémoire ». On tombe directement sur EOD 02 conceptualisé et réalisé par Frederik de Wilde et Lab(au). Quatre aquariums carrés présentent d’étranges poissons aveugles qui communiquent par signaux électriques. La brochure explique que l’observation de cette capacité a permis le développement de la technologie Wifi et me permet, en tant que geek, d’avoir une excuse valable à présenter aux hôtesses de maison qui veulent à tout prix me faire manger des-trucs-qui-viennent-de-la-mer. Autre forme de communication à distance, mais entre humains cette fois : l’installation Electronic shadow de Ex-îles. Il est assez regrettable que cet œuvre soit un peu mise en retrait et privée de cartel car le spectateur se retrouve un peu pris au dépourvu. Le château accueille également Axes de Percevalmusic. Une rosace projetée au sol, entourée d’amplis et d’un public nombreux se met lentement en éveil.
D’abord des mélopées se font entendre, au son des voix la rosace se meut puis plus les instruments de musique se diversifient et « s’analogisent » plus elles se fragmentent. Elle se déconstruit d’abord en s’identifiant à la musique puis périclitent dans un monde digital où tout n’est plus que « cinétisme », données et mouvements, architecture liquéfiée, portée à ébullition dont les particules enfin libérés s’entrechoquent rapidement, presque quantiquement dans un hasard intolérable que l’esprit espère construit. Enfin la rosace se remet en place, soulageant l’œil et la raison, prête à recommencer sa périclitation pour d’autres spectateurs. C’est plein de questions que nous regagnons le site principal, au cœur de l’ile de Nantes. Le festival a bien fait d’y faire son nid car l’insularité favorise la rêverie et met en valeur les marginalités. Marieke Rabouin (qui dirige la communication) nous explique que la ville à pour projet d’inscrire cette île dans la contemporanéité, d’en faire un haut lieu de la créativité en faisant appels à des designers réputés pour définir les infrastructures (Jean Nouvel a conçu le palais de Justice par exemple) et en y installant de futurs créateurs (l’école d’architecture etc). Elle nous apprend aussi que Scopitone va s’y installer définitivement et emmener avec lui L’Olympic. L’ancienne salle mythique restera alors un lieu de création mais plus de diffusion. La nouvelle structure, plus grande et plus adaptée pourra accueillir à l’année des concerts et des expositions d’ici 2011. L’île cristallise tout le techno-romantisme et le digital-enthousiasme de notre début de siècle mais « l’île aux machines » rappellent parfois au passant les dangers de la technologie aux travers de signaux faibles, à peine perceptibles. L’immense éléphant mécanique amène les curieux juchés sur son dos pour une promenade jules-vernesques tandis que le manège-machine-à-remonter-dans-le temps d’André fait tourner des enfants assis sur un Icare métallique, un Titanic, ou une autruche à l’œil articulé et menaçant. Les enfants se moquent éperdument du positivisme, du scientisme et de tous mes signaux faibles. Ça les prendra au mieux vers 15 ans. Pour le moment, une fois le tour fini ils tirent leur parents vers la Friche Numérique/vers le camion de glace posté vers la Friche Numérique. Trois thèmes rassemblent les installations numériques exposées malgré leur diversité technique et plastique : l’architectonique, la captation et le ludique. Une fois les cornets engloutis, les gamins trainent Papa et Maman devant les œuvres. Il est très drôle de remarquer que beaucoup d’adultes se fondent dans les univers numériques proposés par le biais de leurs enfants qui les adoptent avec facilité et y évoluent avec aisance. Shadow Monsters de Philip Worthington, Level Head de Julian Olivier ou même International Dance Party de Adad Hannah et Niklas Roy en sont de bonnes illustrations. Shadow Monsters invitent le public a se mouvoir devant un étrange paralépipède qui transforme votre ombre en créatures dignes des meilleures illustrations de contes qui font peur aux enfants. La machine a en mémoire une infinité de gestuelle qu’elle reconnaît et qu’elle associe à de nouvelles formes et à des bruits incongrus. Prenons un exemple simple : si vous faites la Macarena il est possible que votre ombre soit affublée de poils qui lui poussent au bout des doigts, d’yeux qui apparaissent au creux des coudes, de dents qui claquent entre ses genoux etc. Les adultes regardent les gamins puis les rejoignent pour faire eux aussi les idiots, pour se prouver qu’ils ont gagné (en créativité et en intelligence) avec l’âge ce qui est offert aux autres par l’innocence. Level Head est un jeu de réalité augmenté, en manipulant un cube physique on pénètre dans un labyrinthe numérique dont il faut arriver à sortir, les Papa encouragent leur progéniture pour leur voler le cube des mains. « Va voir la-bas, tu n’as pas vu encore, je te rejoins ». Le gamin obtempère. Un nouveau rideau noir à ouvrir, un nouveau monde à découvrir. La International Dance Party n’existe pas sans interactivité. Seule c’est une boite noire, sans information et sans crash. Au premier mouvements elle s’ouvre pour offrir musique et lumière, piste de danse. Un macumba sans défauts.

Eric Boistel, directeur du Festival et de l’Olympic se réjouit de l’engouement du public pour la programmation que Jean-Michel Dupas a mis en place (festival sold out quelques jours avant) et pour les installations choisis par Cédric Huchet dont le taux de fréquentation à presque doublé cette année. Depuis plus de 8 ans le festival tient cette double casquette numérique, amenant des artistes internationaux au public nantais, montrant des œuvres numériques à un public qui n’est pas forcement celui des biennales, essayant de favoriser la diffusion de certaines œuvres dans les autres festivals de même envergure. Le public ,lui, est toujours curieux et demande à ce que sa curiosité soit étanché par l’expérimentation et par l’explication en ayant réclamé, lors des éditions précédentes, la présence de médiateurs. Christophe Bauducel qui se charge de leur formation nous explique l’importance de vulgariser les informations, la facilité à entrer dans ces mondes numériques, la difficulté de conceptualiser les techniques. Il répond à nos questions saugrenus, comblent nos lacunes, cassent nos a-priori. Nous lui laissons enfin le repos dont il a besoin quand les Bewitched Hands On The Top Of Our Heads montent sur scène à la place de Dan Deacon. Les Vjs ont fait des efforts sur cette vidéos qui accompagnent élégamment le concert des remois et quelques spectateurs gloussent de voir qu’ils ne sont pourtant pas enchainés à l’orthographe (derrière eux le nom The Bewitched On Your Hands Of The Top Of Your Heads : c’était presque ça …). Après des applaudissements sincères la foule se disperse, une bise à Jennifer qui a tout mis en place pour que nous passions d’agréables moments (et que nous remercions chaleureusement pour son accueil), un quai de gare, un lundi matin.

Voir le site officiel du festival