Experience sort un CD de covers énérvées (PIL, Gil Scott Heron, Public Enemy) et un live surchauffé. Pour l’occasion, on a demandé à Michel Cloup de faire des choix, comme dans la vie.

– version intégrale de notre entretien publié dans Chronic’art #22

Chronic’art : Cover ou original ?

Michel Cloup : Je ne suis pas sûr de bien comprendre cette question mais je choisis de répondre : « les deux ». J’ai toujours aimé faire des reprises, c’est un exercice assez excitant. J’ai toujours rêvé d’un album de reprises et les autres membres du groupe étaient ok avec cette idée. C’est un projet à part entière, entre exercice de style et gymnastique musicale. Dans les années 60, les artistes reprenaient facilement des chansons d’autres artistes ; aujourd’hui il y a une sorte d’égocentrisme exacerbé chez la plupart des musiciens, on veut être auteur / compositeur ET interprète, on veut montrer que l’on ne doit rien à personne, ce qui est stupide. Ca me semblerait plus honnête si les Strokes avaient casé quelque part une reprise du Velvet ou de Television, si Franz Ferdinand ou Radio 4 en avaient fait de même avec PIL ou Gang Of Four, parfois même ça permet d’aller au delà de ses influences dans ses propres compositions, comme un exorcisme. Au départ, nous voulions sortir un EP de reprises, puis comme nous avons enregistré très vite les cinq premiers titres (cinq jours) et que nous y avons pris pas mal de plaisir, nous avons décidé d’en enregistrer dix de plus. Nous allons faire quelques concerts avec ces reprises, et je pense que nous continuerons à en jouer quelques-unes, de temps en temps. Ce qui était drôle sur les premières dates de ces concerts de reprises (en Espagne), c’est que d’habitude nous jouons notre set d’EXP, puis au rappel nous casons un ou deux titres d’un autre artiste. Là, nous jouons nos reprises et faisons notre rappel sur nos titres. On avait besoin de souffler un peu avant de réattaquer sur un nouvel album. Mais Positive karaoke with a gun, finalement, c’est un peu des vacances.

Re-création ou récréation ?

Les deux encore. Re-création : tous les titres ne fonctionnent pas sur ce mode, il y a surtout les reprises de Gil Scott Heron, NTM, Bonnie Prince Billy, A Tribe Called Quest, Soul Coughing qui sont pensées très différemment des V.O. Nous ne voulions pas en faire un système, car les systèmes sont ennuyeux, et surtout nous ne voulions pas passer pour plus intelligents que ce que nous sommes. Récréation : la meilleure manière de passer pour un abruti, c’est de reprendre ODB en chorale de Footballeurs, Costes en chantant, PIL avec des trompettes synthétiques. J’avais aussi envie d’un peu de fantaisie après Hémisphère gauche, qui est un album très compact.

Rock ou hip-hop ?

Tu vas rire, mais les deux. Et encore, on ne s’attaque pas à tout ce qui plaît au groupe, vous avez évité la soul music, le free Jazz, le reggae ou le hard rock. Le rock et le hip-hop sont deux influences essentielles de notre musique et je suis fasciné par leur énergie.
Après, je ne te cache pas qu’il y avait aussi une envie de remettre les pendules à l’heure avec EXP. On se traîne en France pas mal de casseroles et de préjugés débiles : il y a ceux qui nous prennent pour des corbeaux et d’autres qui nous prennent pour des minets. En France aujourd’hui, soit tu fais la pute pour les radios, soit tu fait ton indé de base. Entre les deux, il n’y a rien. Comme on aime bien brouiller les pistes, on a choisi un répertoire assez large et éclectique, histoire que les deux camps se grattent la tête.

D’ailleurs, je ne suis pas sûr d’avoir remis les pendules à l’heure, je crois que j’ai plutôt déréglé le réveil, avec un certain plaisir. La France devient vraiment effroyablement ennuyeuse, je songe de plus en plus à m’expatrier…

Révolutionnaire ou situationniste ?

Aucun des deux. On ne fait pas la Révolution en chantant, on ne l’a jamais fait. On fait la révolution avec des hommes et des armes, malheureusement d’ailleurs. J’ai choisi ce titre de Gil Scott Heron comme un hommage, et bien sûr, juste en changeant les références, ça fonctionnait encore, plus que jamais. J’ai bien conscience que ce n’est pas une grande nouvelle, mais je constate avec tristesse que pas mal de gens de ma génération, qui au départ étaient conscients de cette notion de « spectacle » et plutôt en révolte, ont finalement oublié. Ce n’est pas le spectacle qui les a intégré, ce sont eux qui ont intégré le spectacle et le système. Aujourd’hui, si tu ramènes un peu ta fraise, si tu es un peu sérieux, et surtout si tu ne tient pas le discours officiel, tu « prend la tête grave ». Et j’ai déjà entendu ça dans la bouche de proches. Pour ma part, je ne me suis jamais fait l’illusion de penser que j’étais un révolutionnaire non intégré au spectacle, au contraire, je suis conscient d’en faire malheureusement partie et c’est un sujet (une contradiction) qui constitue notre héritage du situationnisme. Ceci dit, depuis Hémisphère gauche, et encore aujourd’hui avec Positive karaoke with a gun, nous ne sommes pas diffusés sur les radios à « l’esprit rock » (pour ainsi dire ignorés ou censurés) qui trouvent notre musique « trop tendue ». Les magazines « Rock » ne font que quelques lignes sur nous, etc. Bref, j’ai conscience de faire partie d’un système (obligé, sinon tu ne fais rien), mais je n’ai pas non plus trop l’impression de collaborer.

Positif ou négatif ?

Négatif, au final. Positif me paraît aujourd’hui beaucoup plus péjoratif, finalement. J’ai commencé EXP avec plein d’illusions, c’était comme une nouvelle naissance, une nouvelle construction, un nouveau départ, j’ai fait part de ce positivisme dans les textes des morceaux.
Le temps passe, je vieillis et je dois dire que je me durcis. Aujourd’hui, mes illusions, mon positivisme, ce qu’il en reste, je le garde pour moi, dans un petit coin secret, bien caché, je n’ai pas envie de totalement les perdre. Je crois que ce qui me fait avancer, c’est mon tempérament maniaco-dépressif : le lundi un autre monde est possible, le mardi ce n’est même plus la peine d’y songer une seule seconde. « Cette contradiction revient frapper…Alors tout devient sombre ». Ce n’est pas moi qui l’ai dit en premier, ça me laisse imaginer que je ne suis pas le seul à être comme ça et ça me rassure. Je n’ai jamais pensé que les bons sentiments étaient suffisants.

En français ou en anglais ?

Deux titres ont été adaptés, Gil Scott Heron et Bonnie Prince Billy, ce sont deux textes très forts que j’aurais aimé écrire et j’avais envie de me les approprier. L’artiste Maurizio Cattelan explique qu’il ne répond jamais avec ses phrases à lui à ses interviews, il vole et récupère. Il rajoute qu’en relisant, c’était exactement ce qu’il voulait dire et qu’il a même l’impression que c’est de lui. La chanson idéale aujourd’hui, c’est un mix de The Revolution will not be televised et I see a darkness. En fait, j’aurais aimé écrire ces deux textes en une seule chanson.

CD ou DVD ?

CDVD. Le DVD Negative karaoke with a smile était en projet depuis longtemps. Il n’y a pas vraiment de concept derrière, si ce n’est celui de montrer les différentes facettes musicales du groupe et sa vie en tournée. Des grosses scènes aux minuscules clubs, des camions miteux aux tour van luxueux, voilà notre groupe. Widy filme depuis le début, il a aussi récupéré des tonnes de cassettes DV auprès d’amis ou de rencontres qui lui ont permis de monter ce film. En ce qui concerne les images, j’ai un autre projet avec une Vidéaste (Béatrice Utrilla, pochette du #3 de Diabologum), c’est un work in progress mélant video, textes et musique, l’histoire d’un effondrement et d’une tentative de reconstruction. L’art (contemporain) a toujours été une influence, comme le cinéma ou la littérature, même si je trouve tout ça finalement assez peu intéressant depuis quelques années. Là aussi, c’est plutôt le Pop Art qui a gagné contre Dada ou les situs, ce n’est pas péjoratif vis à vis de Warhol, qui a été hyper visionnaire, très fort, plus malin. On en revient au centre du débat, Warhol le positif, et Debord le négatif sont sur un bateau, Debord tombe à l’eau : qu’est-ce qu’il nous reste ? Il nous reste la tapisserie.

Propos recueillis par

Lire nos chroniques de Positive karaoke with a gun et Negative karaoke with a smile