Sans tambour ni trompette, le quintet de Toronto Do Make Say Think sort & yet & yet, son troisième album sur le label Constellation depuis 1998. Jusqu’alors épargnés par la hype godspeedo-communautariste, les hyperactifs de Do May Say Think étaient attendus de pied ferme dans les salles européennes. Entretien avec le multi-instrumentiste Charles Spearin, quelques temps avant la venue du groupe en France.

Chronic’art : Parlons d’abord du groupe. Comment ses membres se sont-ils rencontrés ?

Charles Spearin :Tout a commencé en 1994 alors que je cherchais un endroit pour vivre et que Justin, un copain avec qui je travaillais, cherchait un colocataire. J’ai donc emménagé chez lui. Justin, James et moi avons commencé à faire des petits enregistrements sur mon 8-pistes. Peu de temps après, on a commencé à jouer des sons d’ambiant planants dans des salles de chill-out lors de grosses raves à Toronto, avec Jason, un pote de Justin. C’est alors seulement qu’Ohad, un copain avec qui j’avais toujours joué, a rejoint la clique. Et on a commencé à jouer plus régulièrement. A ce stade, notre situation financière a commencé à dégringoler. On a donc emménagé dans une boîte en carton sous un pont. Dave a rejoint le groupe. On a bouffé Jason et en moins d’un an, on est tous morts. Désolé, je vais tâcher d’être sérieux désormais.

Etant donné leurs parcours respectifs, qu’est-ce que les membres de Do Make Say Think ont en commun ? Comment vous accordez-vous sur les choix artistiques ?

Franchement, on n’a pas l’air de partager énormément de choses. Il s’agit d’une équipe improbable. On n’est pas d’accord sur tout mais quand on aborde une question, on se connaît tellement tous qu’on sait déjà quelles idées fonctionneront et quelles idées ne fonctionneront pas. Ohad, Dave et moi jouons ensemble depuis treize ans. Justin et James sont des potes depuis l’âge de deux ans. Donc personne n’est du genre à se la ramener et dire un truc du style : « hé, pourquoi on n’essaierait pas de jouer un do dièse au lieu d’un si sur le deuxième couplet ? ». Parce qu’on sait tous pertinemment que c’est un coup pied au cul qui va immédiatement partir.

Question débile : d’où vient ce nom plutôt intriguant, « Do Make Say Think » ?

C’était mieux que « Eat Sleep Shit Fuck ».

Vous êtes le seul groupe de Constellation à ne pas être basé à Montréal. Comment avez-vous rencontré Don et Ian, les patrons du label ?

Un des types de Godspeed a acheté notre CD alors qu’il était de passage à Toronto (le premier album de Do Make Say Think avait d’abord été pressé par le groupe à 500 exemplaires fin 1997, ndlr). Il l’a filé à Constellation. Ils nous ont contacté et depuis ils regrettent de l’avoir fait. Je plaisante. Ils font encore semblant d’aimer ce qu’on fait…
Le fait de vivre à Toronto vous protège-t-il de la surexposition des artistes de Montréal ? N’y a-t-il pas que des avantages à être sur un label comme Constellation sans subir les inconvénients de la médiatisation ?

La ville de Montréal n’est pas aussi renommée ici qu’elle ne l’est en Europe. Personne au Canada n’a vraiment conscience de vivre dans un pays génial pour découvrir des musiques émergentes. Je ne dis pas qu’on est foutrement fameux mais je trouve qu’on est plus souvent rendu à la modestie par la musique de nos amis que par tout ce qu’on peut entendre à la radio. Quant au fait d’être dans l’ombre de nos camarades de label, on a déjà le sentiment d’avoir plus de succès que tout ce qu’on n’aurait jamais pu imaginer. Donc chaque fois que quelqu’un s’intéresse à nous, c’est encore une surprise et un honneur.

Quelles valeurs ou aspirations partagez-vous avec les autres artistes de Constellation ? Avez-vous le sentiment d’appartenir à cette fameuse « communauté » à laquelle chaque journaliste musical se réfère sans jamais en expliquer le contenu ?

On se sent comme « le groupe à part » sur Constellation. Ca ne fait aucun doute. Don et Ian sont très nettement au coeur de la communauté musicale montréalaise. Et ils font un excellent boulot de promotion des idées socio-politiques qui foisonnent autour. A leur façon, de fumeurs et de végétariens, on sent un air de révolution autour d’eux ! De notre côté, on se contente d’être des musiciens. Les artistes de Montréal sont des amis mais ils sont à 600 km de chez nous. Peut-être que l’on forme une communauté au sens qu’en donne l’Américain moderne, ces conneries de globalisation, mais sans mentir, nos styles de vie et nos opinions diffèrent des leurs en bien des points. On se sent davantage connectés à la communauté musicale de Toronto, simplement pour des questions géographiques. C’est tout ce que je peux en dire. Sinon la notion de communauté me séduit assez. Augmentez les impôts et supprimez les Wal-Mart (le groupe de distribution Wal-Mart est devenu la plus grande entreprise américaine en termes de chiffre d’affaires, ndlr) !

Les artistes de Constellation ne sont pas liés par contrat au label. Quels en sont les avantages pour vous ?

C’est vrai qu’on n’a pas de contrat. Il y a plus d’intégrité et d’honnêteté dans la manière dont fonctionne Constellation que dans tous les business que j’ai pu voir. Cette manière de travailler n’a presque plus rien à voir avec l’argent, mais tout à voir avec le respect et une certaine qualité de vie. J’ai de la peine pour mes copains qui ont signé sur des gros labels.
& yet & yet est votre troisième album pour Constellation. Avez-vous sorti des disques sur d’autres labels ?

Une fois, on a sorti un EP de vieux enregistrements maison qui s’appelait Besides, sur Resonant Records en Grande-Bretagne. C’était une édition limitée (à 1 900 exemplaires en décembre 1999 ; le 12″ est aujourd’hui épuisé, ndlr) et on n’a pas l’intention de refaire ce genre de choses. Et des side projects, on en a tous. Je joue dans un groupe qui s’appelle Broken Social Scene et un autre qui s’appelle KC Accidental, sur NoiseFactory Records. Ohad et Dave ont un projet qui s’appelle Sphere. Justin et James jouent dans Gesundheit, un groupe de heavy metal mené par Brian Cram, le trompettiste qui joue sur Do Make Say Think. Et Justin et sa copine forment Lullaby Arkestra, un duo de soul punk.

Sur quelques morceaux (Classic noodlanding, End of music), on entend des sons qui semblent être produits depuis un laptop…

Le son que l’on entend à la fin de Classic noodlanding est en fait l’un de nos morceaux que l’on a passé en accéléré à l’envers sur un lecteur CD. End of music a été enregistré sur mon 8-pistes à bande puis transféré sur un 8-pistes digital. On n’utilise pas tant que ça d’ordinateurs lorsqu’on enregistre. Mais les sons que l’on obtient peuvent s’en rapprocher. La seule fois où l’on a grugé avec un laptop, c’est sur la boucle à la fin de Anything for now. Mais on n’avait même pas l’intention de la faire figurer sur l’album.

On sent dans votre musique l’influence de groupes européens comme Can, mais aussi du dub, du jazz ou d’artistes américains comme Tortoise ou Pajo…

C’est difficile de parler de nos influences. Bien sûr, on essaie de ne sonner comme aucun autre groupe, mais depuis le temps que l’on écoute de la musique, on ne peut pas éviter de se laisser un peu influencer par ceux que l’on admire. Ce qu’il y a de génial lorsque l’on tourne en Europe, c’est que l’on découvre plein de bonne musique. Et c’est comme s’il se créait alors une sorte de compétitivité amicale.

Comment qualifieriez-vous l’évolution de votre musique depuis votre premier album ?

L’évolution est la suivante : le premier album (s/t, ndlr) a été enregistré sous acide dans le sous-sol d’une station de radio universitaire en une semaine. Le deuxième album (Goodbye enemy airship the landlord is dead, ndlr) a été enregistré dans une grange, loin du chaos et de l’agitation de nos conditions de vie de merde à Toronto. & yet & yet, enfin, a été enregistré après deux tournées européennes et à la suite d’importants changements de perspective qui nous ont poussé à être un peu plus matures qu’on ne l’était jusqu’alors. Ca doit s’en ressentir quand on prend nos instruments maintenant. Au fond, j’ai l’impression que l’on grandit. Il faut espérer que ça ne veuille pas dire pour autant que notre musique commence à craindre.

Quelles sont vos méthodes de composition ?

Personne ne dit à personne ce qu’il a à jouer. Chacun dit ce qu’il aime et ce qu’il n’aime pas. Personne ne commande mais tout le monde s’en mêle. On estime que toutes nos chansons sont le résultat d’une collaboration totale de chacun.

Vous tournez souvent ?

On adore tourner et on va passer le plus clair de notre temps sur la route cette année. En octobre, on fera notre première grande tournée aux USA. C’est quelque chose que l’on a remis à plus tard depuis longtemps. J’ai du mal à justifier que l’on puisse faire une tournée aux USA, lorsque l’on sait que l’Europe est si belle et accueillante, ce que les Etats-Unis… ne sont pas.

Rien à ajouter ?

N’achetez pas le disque. Trouvez-en une copie via un ami. Peu importe la manière dont vous vous le procurez. On espère simplement que l’album vous plaise.

Propos recueillis par

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