Seconde adaptation, plaisante mais anecdotique, d’un roman de Chuck Palahniuk, « Choke » n’est pas grand chose. Mais voilà : on eu l’occasion de nous entretenir, sous le soleil suisse l’été dernier, avec Palahniuk soi-même. Et de confirmer ce qu’on avait toujours su : l’auteur de « Fight club » est un grand romantique, limite midinette.

C’est à l’occasion du festival de Locarno (où traînait aussi Houellebecq, autre blason littéraire des dernières années, venu présenter son inénarrable Possibilité d’une île), que nous avons rencontré Chuck Palahniuk. L’auteur, connu pour sa dissection au vitriol de l’époque, se révèle une personnalité affable, d’une douceur exquise. Difficile, pourtant, de ne pas avoir à l’esprit les personnages dont sont peuplés ses romans en voyant débarquer ce corps américain un peu freak, tête d’épingle montée sur des muscles hypertrophiés et sertis dans un polo rose bonbon. On ne peut plus fidèle au roman, le film de Clark Gregg (acteur croisé dans Iron man et scénariste du Apparences de Zemeckis) narre l’histoire cocasse et sardonique d’un sexaholic manipulateur, feignant régulièrement de s’étouffer en public pour soutirer de l’argent à ses sauveurs, et flanqué d’une mère frappée d’Alzheimer qui dit l’avoir enfanté avec la semence du Christ. L’absolue littéralité du film, roman d’apprentissage loufoque et comédie romantique dégénérée, est à la fois son gros défaut (pas beaucoup de cinéma là-dedans) et son principal atout (pour qui persiste à rechigner devant le Fight Club de Fincher). Reste que c’est une occasion optimale de se confronter, en images, à l’imaginaire foisonnant d’un auteur aussi trash que midinette, fan d’Harold et Maude et de Rocky.

Chronic’art : Choke, le film, est extrêmement fidèle au livre…

Chuck Palahniuk : Oui, et pourtant j’avais autorisé Clark Gregg à en faire ce qu’il voulait. C’est une adaptation plus littérale encore que celle de Fight club, qui prenait quelques libertés dans son dernier tiers. Cela dit, Clark a ajouté quelques scènes, et ce sont finalement celles que je préfère. J’aime beaucoup la tirade que fait la strip-teaseuse à propos de l’épître aux Galates, laquelle a été soufflée à Clark par son propre père, qui est pasteur. Il y est dit, en substance, que notre épanouissement doit moins à la quantité d’amour reçu qu’à notre capacité à aimer les autres. Ca croise directement le thème du livre.

Vous vous êtes toujours défini comme un grand romantique, et Choke, le film, est à bien des égards une véritable comédie romantique. A la sortie du livre, vous vous en étiez pris au cinéma hollywoodien et à des films comme Forrest gump. Voyez-vous l’adaptation de Choke comme une revanche sur un tel cinéma ?

Je considère en effet le film comme une authentique comédie romantique. Ce que je reprochais au cinéma romantique hollywoodien, c’est l’espèce de chantage aux sentiments qui y prévalait alors. Mon dieu, Forrest gump était un long et insupportable exercice de masturbation émotionnelle ! Il me paraît intenable, aujourd’hui, d’imposer de tels films aux spectateurs.

Quel est le cinéma qui a vos faveurs, alors ?

J’ai grandi dans les années 70, à une époque où les films romantiques se terminaient tous par un désastre. J’ai été très marqué par On achève bien les chevaux, La Fièvre du samedi soir, Harold et Maude. La fin d’Harold et Maude est déchirante. Ou celle de La Malédiction : Grégory Peck meurt, et Satan reste en vie ! J’ai grandi dans une décennie de losers, de fatalisme romantique : Rocky s’entraîne pendant tout le film, et finalement, il perd le combat. Mais il lui reste Adrian. Cette logique narrative m’a beaucoup marqué, où les personnages s’épuisent pour un idéal finalement déçu, mais sont sauvés par la possibilité de l’amour. Tous mes livres racontent l’histoire de gens obsédés par un objectif qu’ils n’atteignent finalement pas, mais se voient gratifiés d’une rencontre. J’aime cette espèce de contradiction, de conclusion en demi-teinte. La fin du Lauréat est magnifique de ce point de vue : Dustin Hoffman repart avec la fille, il a gagné l’amour, mais en même temps, ils partent tous deux vers l’inconnu, c’est une scène joyeuse, et pourtant un peu désespérée, angoissante.

L’influence du cinéma a-t-elle autant compté que celle des livres, pour vous ?

Le cinéma est aujourd’hui le média dominant pour raconter des histoires. J’ai l’habitude de travailler mes romans sous un angle très cinématographique, tout en tirant mes histoires vers des extrêmes que le cinéma n’a pas les moyens d’explorer. C’est la force qui reste à la littérature. J’ai toujours essayé de viser un croisement entre l’immédiateté du cinéma, son pouvoir émotionnel, et la possibilité qu’offre l’écrit de creuser les choses en profondeur, de la façon la plus intime qui soit.

Vous êtes réputé pour produire des évanouissements en série pendant vos lectures publiques. Y a-t-il des choses que vous vous interdisez, à l’écriture de vos romans ?

Disons que, dès lors que je peux imaginer un extrême, une situation limite, je ressens la responsabilité de l’explorer. Je préfère toujours courir le risque d’aller trop loin, plutôt que pas assez. Il y a des choses dans mes livres qui m’embarrassent encore aujourd’hui moi-même, et précisément, ce sentiment m’intéresse : je sais qu’un jour elles ne m’embarrasseront plus, et qu’alors, je serais heureux d’avoir accepté de m’y confronter.

Vous arrive-t-il de trouver, vous-même, que certains films, ou certains romans, vont trop loin ?

Je suis incapable de regarder des films comme Saw ou Hostel. Par ailleurs, de tels films ne m’intéressent pas, parce qu’ils sont complètement dépourvus d’implication émotionnelle, ils ne permettent aucune empathie pour leurs personnages. Si je dois voir un personnage se faire torturer à mort, je veux avoir pu m’attacher à lui avant ça.

Vous avez l’habitude de nourrir vos romans de vos propres expériences, et d’une observation minutieuse de vos contemporains. Outre l’idée de la thérapie de groupe, déjà présente dans Fight club, d’où viennent les péripéties du roman ?

Vous savez, je passe l’essentiel de mon temps à écouter les récits que font les gens, et à les compiler pour en faire la matière de mes livres. Le cadre du « musée vivant », dans Choke, est très inspiré de l’expérience d’amis qui ont travaillé dans des parcs d’attraction, ou pour de grandes chaînes hôtelières. J’ai toujours été fasciné par la forme de coercition qui s’impose aux employés de telles entreprises, l’obligation qui leur est faite de se conformer à l’image officielle de Disneyland, ou des hôtels Hilton, alors que les amis en question avaient des modes de vie plutôt en marge. Choke est construit autour d’une seule idée : les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. Victor n’est pas celui qu’il dit être, à sa mère, ou aux autres. La mère elle-même n’est pas celle qu’elle prétend, et Paige Marshall n’est pas docteur… Victor est un personnage à la Zelig, quelqu’un qui s’adapte en permanence aux autres, et qui, au fond, refuse constamment de déterminer qui il est réellement.

Cette façon de collecter les récits de votre entourage et de les inclure dans une trame narrative, est-elle à l’origine de la forme de Peste, votre dernier roman paru en France ?

J’avais choisi cette forme de la biographie orale pour deux raisons. D’abord, elle donne un surcroît de réalisme qui permet d’aller plus loin dans le fantastique, parce que le lecteur se sent plus impliqué. Rappelez-vous la lecture de La Guerre des mondes par Orson Welles, ou Le Projet Blair Witch. Ou encore Fargo, qui s’ouvrait sur un carton prévenant que le film racontait une histoire vraie, alors que c’était complètement faux. L’autre raison est que cette forme me permettait de structurer mon récit comme j’aurais monté un film, d’éviter les transitions, de couper les scènes à ras.

Une adaptation de Peste est sur les rails. D’autres adaptations de vos films sont-elles prévues ?

En tout, cinq de mes livres sont sur le point d’être portés à l’écran. Survivant va être adapté par Francis Lawrence, qui a fait Constantine et Je suis une légende. Ulf Johansson, un réalisateur suédois qui est le petit-fils d’un acteur de Bergman, va adapter Berceuse, et on m’a laissé entendre que le rôle principal irait à un acteur fameux et oscarisé, mais je ne sais toujours pas qui. Et Journal intime ainsi que A l’estomac sont également en développement.

Propos recueillis par

Choke, de Clark Gregg
D’après le roman de Chuck Palahniuk
En salles le 21 janvier 2009