Après s’être acoquiné avec Keren Ann sur tout un album, Bardi Johannsson, l’homme derrière Bang Gang a rencontré Anthony Gonzales, l’homme derrière M83. Et il a bien fait : il a co-composé deux titres avec le français et a lancé son troisième album sur des rails célestes. Au final, Ghost from the past est un bel album épique rempli de nappes de synthés. Autour d’une salade parisienne, on en discute en toute décontraction avec l’esthète islandais.

Chronic’art : Je suis content de te rencontrer parce que figure-toi que ton disque est actuellement celui que j’écoute avant de m’endormir…

Bardi Johannsson : Vraiment ?

Oui, et il y a quelques semaines de cela, pour faire de beaux rêves, j’écoutais le dernier disque de M83.

Je l’ai écouté chez Emi, il est très cool ! J’attends de recevoir ma copie promo.

Ça ne te dérange donc pas que j’écoute ton disque pour roupiller ? Je ne sais pas si tu sais, mais récemment une étude commanditée par une chaîne hôtelière a élu Coldplay « groupe le plus soporifique du monde »…

J’ai fait la B.O. d’un film qui s’appelle Haxan (un film d’horreur scandinave daté de 1922 censuré pendant des années pour son adoration au diable et sa nudité, ndlr). Sur ce disque de musique classique, les morceaux duraient environ 8 minutes. Je me rappelle avoir travaillé dessus jour et nuit et pendant le mixage, quand je réécoutais les morceaux, ils m’endormaient moi-même au bout de deux minutes. Quand je me réveillais, j’étais tout seul dans le studio et je me rendais compte en regardant le timer que j’avais dormi pendant une bonne heure. Je trouve donc ça cool que les gens me disent qu’ils s’endorment en écoutant ma musique. Après, sur Ghosts from the past, il y a quand même plein de petits éléments sonores qui peuvent retenir l’attention si l’on tend bien l’oreille.

Sur ton nouvel album, tu as co-composé deux titres avec Anthony Gonzales de M83. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

En fait, comme j’aime beaucoup les disques d’Anthony, j’ai appelé Emi pour leur demander de nous mettre en contact. On s’est rencontré et on a décidé de travailler ensemble chez moi, en Islande, pour voir ce qu’il en sortirait.

Apparemment, vous vous êtes bien entendus car ces deux morceaux qui clôturent le disque sont superbes. A aucun moment tu ne t’ais dit : « Je vais enregistrer un disque entier avec lui », comme tu l’avais fait avec Keren Ann ? Une sorte de Lady & bird bis ?

Non, je ne peux pas faire Lady & bird avec quelqu’un d’autre que Keren Ann. Mais j’aimerais bien retravailler avec Anthony.

Par quel disque l’as-tu découvert ?

Dead cities, Red seas & lost ghosts. Ensuite, j’ai découvert celui avec la couverture sombre…

Before the dawn heals us ?

Oui, et c’est celui qui m’a le plus touché. Je préfère M83 depuis qu’Anthony est seul à bord.

C’est la deuxième fois que tu composes avec un Français. C’est quoi cette connexion entre les Français et toi ?

Un hasard. Quand je travaillais sur Something wrong, mon précédent disque en tant que Bang Gang, je suis allé en Angleterre et en France pour présenter mes démos. Dans les deux pays, des labels m’ont fait des propositions, et j’ai fini par accepter la proposition des Français. Depuis, je suis scotché à la France. Et tant mieux parce qu’en France, on comprend et on respecte l’art mieux que nulle part ailleurs. En Islande, si tu es un artiste, on te demandera toujours : « Mais quel est ton vrai job ? ». Il y a deux semaines, je faisais la promotion de mon dernier disque en Islande et c’est la question qu’on m’a posée : « Tu fais de la musique, mais quel est ton vrai job ? ». Or, depuis dix ans, je ne fais rien fait d’autre qu’essayer de vivre de ma musique.

Cinq années se sont écoulées entre Something wrong et Ghosts from the past. Tu as besoin de beaucoup de temps pour amasser le matériel nécessaire à la réalisation d’un disque ?

Pas vraiment, c’est juste que j’ai toujours plusieurs projets sur le feu. Something wrong n’est sorti aux Etats-Unis que l’année dernière, j’ai donc tourné là-bas en 2007. Durant cette période, j’ai aussi fait deux B.O. : celle du film Haxan et celle d’un film islandais avec un groupe hard rock qui s’appelle Minus. J’ai aussi produit quelques artistes commerciaux. Et puis voilà, en 2004, j’ai décidé que j’allais faire un album de rock, guitare, basse, batterie, chant, et que ce serait mon nouvel album en tant que Bang Gang. Mais j’ai rencontré Anthony et on s’est mis à sortir les synthés et on a composé un morceau très lent de sept minutes en superposant mille textures. Je me suis donc dit que je n’allais pas faire un disque de rock, mais un album épique et très contemplatif rempli de nappes de synthés. Mais juste après, je me suis retrouvé à écrire une chanson d’amour. Je me suis donc dit que je devais arrêter de planifier ce que je devais faire ou ne pas faire et me contenter de faire la musique comme elle me venait. Petit à petit, j’ai amassé beaucoup de morceaux et à un moment j’ai estimé que j’avais de quoi faire un disque. J’ai donc tout peaufiné, je me suis mis aux textes et j’ai commencé à mixer.

Seul ?

Non, j’ai appelé Anthony en renfort. Il mixait dans mon studio pendant que je dormais, et au moment de partir, il me réveillait pour me dire que c’était à mon tour !

Sur Ghost from the pasts, il y a aussi un morceau composé par Keren Ann. Votre collaboration perdure… Keren, c’est ton alter ego artistique ?

C’est juste une bonne amie. On continue de faire des chansons ensemble, comme ça, juste pour s’amuser, et c’est une bonne façon de travailler. Parce que moi si je dois à tout prix écrire des chansons, je bloque. J’essaie d’aller dans ce sens, mais ça ne marche jamais. A moins qu’il s’agisse d’une musique pour une publicité.

Tu composes effectivement des musiques pour des pubs, des émissions de télé et de radio. Pour toi, c’est juste alimentaire ou tu y trouves aussi une dimension artistique ?

Pour moi c’est trois choses à la fois. D’abord un gagne pain ; ensuite, c’est un challenge parce qu’on peut par exemple te demander de faire une pop song de bossa nova de 40 secondes ; enfin, c’est un moyen de me prouver que je peux finir quelque chose en une semaine chrono. Ce genre de travail n’est donc pas très excitant, mais il a quelque chose d’assez récréatif pour un type comme moi qui est capable de passer cinq ans à faire son propre disque. Par ailleurs, comme j’aime bien tous les styles de musique, je peux assez facilement me plier à cet exercice de commande. Et puis ça me donne enfin l’occasion de faire une musique joyeuse.

Oui, parce que le moins que l’on puisse dire, c’est que ta musique en tant que Bang Gang est invariablement portée sur le spleen…

Le bonheur me fuit. Les disques de Bang Gang sont donc ce que je fais quand je suis pleinement libre de mes faits et gestes…

Ghost from the past s’ouvre sur The World is grey, une chanson dont le titre est presque une ode au spleen…

Pour ce morceau, j’avais initialement écrit ce texte assez triste et je me suis dit que j’allais essayer de lui coller une musique joyeuse, mais ça n’allait pas. Les chansons joyeuses, c’est pas pour moi. Mais quand tu écoutes de vieux standards des Supremes, par exemple, la chanson a l’air joyeuse, mais les paroles sont profondément tristes. Pareil pour Stop in the name of love, que j’ai repris sur Something wrong.

Récemment, j’ai parlé avec Arno de ce type de contraste musique-texte que réservent certaines chansons. Lui, par exemple, a repris Knowing me knowin you d’Abba et il me disait qu’il avait été étonné de découvrir que sous ses airs de chanson guillerette le texte était en fait très triste. D’où sa décision d’en faire un blues guitare-voix…

Oui, et c’est marrant parce que des fois les gens demandent cette chanson pour leur mariage, ce qui montre bien qu’ils ne se penchent pas sur ce que ça raconte. A un moment, avec Craig Walker, le chanteur d’Archive, on voulait reprendre Sweet sixteen de Billy Idol, une chanson adorable. Mais on a déchanté une fois qu’on s’est penché sur le texte, trop pervers.

En fait, avec sa mélancolie très douce, aérienne et pudique The World is grey m’a renvoyé aux Carpenters…

J’aime les Carpenters. D’ailleurs mon batteur préféré est Karen Carpenter. Tu connais l’histoire des Carpenters ?

Non. Je t’en prie.

Au départ, il s’agissait d’un trio. Ils faisaient du jazz instrumental et elle était la batteuse. Ensuite, elle s’est mise à chanter quelques chansons et ça a tellement plus qu’on lui a demandé de venir chanter en front de scène. Durant les concerts, elle passait donc la moitié de son temps à chanter derrière sa batterie et l’autre à chanter en front de scène. Elle a fini par ne plus chanter qu’en front de scène, mais comme elle n’avait jamais souhaité être la chanteuse du groupe, tout cela a commencé à l’affecter. Elle est tombée en dépression et elle est morte d’anorexie à 32 ans. Voilà, l’industrie du disque l’a tué, elle qui souhaitait juste jouer de la batterie. Et quand tu écoutes les Carpenters, tu peux entendre la grâce avec laquelle elle joue de la batterie. Comme toutes les batteuses, elle est meilleure que les batteurs. Parce que souvent les mecs tapent fort en pensant qu’ils vont obtenir un son fort, ce qui est le cas, mais ils obtiennent surtout un son plus court. Or, ce qui compte, enfin pour moi, c’est la durée de la frappe, sa vibration. C’est pour ça que je préfère les batteuses.

Ta musique est très douce, très pop. Tu n’as jamais envie de t’adonner à la « chose » rock ?

Sur Ghost from the past, I know est presque black metal.

Oui, Black parade est également un peu plus rentre dedans que le reste du disque, mais ça reste tout de même très soft.

Mais j’aime le rock. A un moment, j’ai même failli monter un groupe black metal.

Quels sont tes goûts en la matière ?

Ado, j’écoutais beaucoup de death metal, mais aussi Alice In Chains. Alice In Chains, c’est très déprimant. Quand tu es déprimé, tu écoutes Alice In Chains. J’écoute toujours, contrairement à d’autres groupes de cette période. Aujourd’hui, mes goûts vont de Sepultura à Janet Jackson.

Avant, tes pochettes de disques tournaient pas mal autour de la nature verdoyante et de la nudité des femmes. Aujourd’hui, celle de Ghosts from the past est plus frontale, on ne voit que toi shooté de face sur fond noir. Pourquoi ?

Au départ, pour la pochette, je pensais faire un dessin, quelque chose dans ce genre, mais beaucoup trop de groupes islandais choisissent cette esthétique du dessin et de la fantasmagorie et je ne veux pas être considéré comme un énième groupe islandais. J’ai donc choisi l’option esthétique contraire, quelque chose de très sobre en noir et blanc. Par contre, je tenais à utiliser du papier glacé et non pas du papier recyclé.

Outre qu’elle soit belle, cette pochette a le mérite de montrer clairement qui est l’homme derrière Bang Gang. N’est-ce pas ?

Oui, je développe petit à petit mon identité. Sur la pochette de mon premier album, je n’apparaissais pas ; sur la pochette du second, j’apparaissais discrètement allongé dans le paysage. Sur le premier, je chantais sur la moitié des titres ; aujourd’hui, je chante sur tous les titres. Je m’expose de plus en plus. Alors peut-être que sur mon prochain disque je m’exposerai tellement que sur la pochette on verra l’intérieur de ma bouche, de mon nez ou de mon cerveau. Et qu’on verra que je n’ai qu’un petit pois dans la tête !

Propos recueillis par

Lire notre chronique de Ghosts from the past