J’ai une poignée de disques quand vient l’heure de dormir. Ils sont mes marchands de sable, l’éponge pressée sur le front du malade. Je pense à l’album blanc de Sigur Rós, Rock bottom de Robert Wyatt, Moon pix de Cat Power, Happiness de Sebastien Schuller, Reckless burning de Jess Sykes and the Sweet Hereafter, Daybreaker de Beth Orton, Souvlaki de Slowdive, Love in the time of science d’Emiliana Torrini, Ghost days de Syd Matters, Saturday = Youth de M83, La Maison de mon rêve de Cocorosie, The Forbidden EP d’Idaho, Among my swan de Mazzy Star, Keren Ann de Keren Ann…

Depuis peu, je pense aussi à Ghost from the past de Bang Gang. C’est le troisième album de l’islandais Bardi Johannsson. Et c’est bien simple, en ce moment je dors dans la chambre d’écho de ce disque. De The World is grey à Stay home, co-composé avec M83, en passant par Don’t feel ashamed, co-composé avec Keren Ann, tout ici n’est qu’ode aux lendemains qui déchantent, à ces jours gris fantôme où le monde a l’air clôt sur lui-même comme une âme en peine et où on l’on reste chez soi à se dire « Miroir, mon beau miroir… ». Avec Ghost from the past, on passe de l’autre côté. Ça commence par The World is gray donc, qui souffle sur nos cendres et nous donne des ailes. Je pense au poème où Mallarmé se déclare hanté par la pornographie de « L’Azur » et réclame, blessé, « un grand plafond silencieux » pour penser ses plaies. « En vain ! L’Azur triomphe, et je l’entends qui chante / Dans les cloches. Mon âme, il se fait voix pour plus / Nous faire peur avec sa victoire méchante / Et du métal vivant sort en bleus angelus ! ». Je pense à cette logorrhée verbale réduite en poussière dans l’épure pop d’une chanson des Carpenters. A ce genre de miracle qui se retrouve parfois sur disque. Onze fois.

Ici tout est lent, limbes, invitation au voyage. Parfois ça rock, sur I know et Black parade. One more trip jette même quelques guitares à l’assaut de la voûte céleste. Mais ce n’est rien, juste un sursaut, le corps qui se décharge avant de passer la frontière. Alors s’avancent des délices sans nom. Un choeur de sirènes s’embrase, baroque, sur Ghost from the past. Une aurore boréale fait miroiter sa chair diaphane sur Don’t feel ashamed… L’album s’achève en odeur de synthé. Motifs hypnotiques sur deux accords, nappes fumigènes et trip cosmique, sur Won’t get out et Stay home, la patte d’Anthony Gonzales est reconnaissable entre mille. Moelleuse, accueillante, onirique. Mais à ce stade, il est rare que j’en profite. Morphée m’a rattrapé.

Ghost from the past, The Forbidden EP, Moon pix, Rock bottom… A l’heure d’écraser le disque dur, ces doux disques ne me font pas croire en un monde meilleur, ils me donnent juste l’illusion que quelque chose respire auprès de moi. « L’étreinte poétique comme l’étreinte de chair / Tant qu’elle dure / Défend toute échappée sur la misère du monde », disait Breton. C’est ça. Et ce n’est pas rien.