En pleine exploration du plus profond réseau de caverne au monde, un groupe de spéléologues se retrouve coupé de la surface à cause d’un cyclone. Impossible de remonter, encore moins d’attendre, une seule solution s’offre à eux : trouver la sortie de ce dédale. En chemin, un père aventurier et son fiston prépubère vont apprendre à se connaître. 127 heures + Never Say Never, voilà en gros le programme. Passons vite sur la nullité abyssale du film et son symbolisme lourdingue : en gros, la caverne est un utérus, la sortie un accouchement et le conflit forcément œdipien. On vous passe aussi les métaphores douteuses (volontaires ou non) à base de « Christophe Colon », « Mon cul aussi tu veux l’explorer ? » et autres « C’est plus serré qu’un sphincter de nonne » (sic). L’intérêt se situe ailleurs, dans cet argument de vente placardé partout en 4X3 : la 3D.

Car au-delà de sa surface foncièrement nanardeuse, Sanctum fraie dans des eaux plus profondes qu’elles n’en ont l’air. Pour peu qu’on cherche dans la 3D autre chose qu’un réalisme neuneu évidemment. Cette histoire de spéléo-plongeurs produite par Cameron ne franchit aucun palier technologique, ne prête le flanc à aucune théorie, elle s’empare juste du medium en tant que langage. Un exemple : que, depuis le départ, les plus convaincantes séquences en 3D se passent en apesanteur aurait du nous interpeller. D’Avatar à Dragons, des lampions de Raiponce aux ballons de Là-haut, la suspension des corps poétise le procédé, elle crée un champ de perception mi-haptique mi-fantasmatique qui chamboule nos repères. Sanctum et ses séquences de plongées tubulaires raffine cette idée presque jusqu’à l’abstraction : la profonde solitude du plongeur n’y a jamais été aussi palpable et pourtant irréelle. Prosaïquement, on dira que la stéréoscopie donne son meilleur lorsqu’on travaille la profondeur de champ, lorsqu’on peut détacher un objet (effet convexe) sur un fond (effet concave). Soit l’exact programme de Sanctum.

Mais c’est esthétiquement que la question devient intéressante : pour fonctionner à plein, la mise en scène en 3D doit fatalement repenser le rapport du corps (convexe) à l’espace (concave), réécrire leur dialogue. Le dernier plan d’Avatar et la robotisation de Fred Astaire dans Sexy dance ne disaient rien d’autre : s’il veut reprendre possession d’un champ désormais plus large, d’un monde qui le dépasse en tout, le corps doit lui aussi devenir un effet spécial. La 3D s’en charge mais non sans conséquence : dans Sanctum comme ailleurs, les acteurs semblent de cire, recouverts de peau morte. Une splendeur cadavérique que Martin Scorsese est le seul cinéaste, à notre connaissance, à avoir parfaitement formulé : « Cette technologie a une beauté bien particulière. Les gens ressemblent… à des statues vivantes. Ils se déplacent comme des sculptures, comme des sculptures en mouvement. Comme des danseurs ! » Le prétendu réalisme de cette technologie est donc un contre-sens et la beauté amniotique du flottement un aveu : la 3D numérique ne nous rapproche pas des choses, elle nous en éloigne. En fait de réalité augmentée, c’est un générateur d’impossible (cette semaine, Never say never semble creuser le même sillon).

Evidemment, cette idée s’incarne à merveille dans l’image de ces plongeurs perdus au milieu d’immenses cavités aquatiques. L’opposition entre le minuscule de leurs corps et le gigantisme des lieux trouve dans la 3D un puissant relais qui isole encore un peu plus les personnages dans le plan. Mieux : lorsque les héros scrutent la surface depuis le fond, l’extrême profondeur de champ crée une vertigineuse sensation de surplomb. Un renversement de perspectives où peut se lire tout leur égarement. Et si l’impression désagréable d’avoir affaire à des pantins, à des mannequins de piscine, ruine ce qu’il reste d’enjeux dramatiques et d’identification, elle génère en retour le trouble morbide qu’on évoquait plus haut : celui qu’on éprouve face à des corps statufiés, aussi inertes et pétrifiés que les roches qui les entourent. Tout ça pour signifier une chose : peu à peu, la 3D développe son propre langage visuel, une narration cohérente et spécifique qu’on ne peut plus ignorer. Bien entendu, Sanctum ne fait pas grand chose de tout ça. Alister Grierson n’est pas Cameron, encore moins Scorsese, ni même Jon Chu, il n’a pas de vision à proposer, rien d’autre à offrir que la technologie reine et une coloscopie métaphorique. Mais, au cinéma comme ailleurs, la médiocrité de l’ensemble a souvent un avantage : ses parties prennent d’autant plus de relief.