Après la commande Batman Begins, Christopher Nolan revient à ses chères gammes : le grand barouf illusionniste dont il est devenu l’illégitime parangon depuis la fin des années 90. Se souvenir de Following, de Memento, d’Insomnia, séries B enflées du melon, percluses des limites inhérentes de ce cinéma d’esthète margoulin : tout pour l’élégance formelle et la pirouette déguisée en concept. On ne donne pas cher de sa peau à Hollywood parce qu’au fil du temps et de budgets de plus en plus ronflants, le masque Nolan se décolle. Le lowcost donnait à ses premiers films une évanescence matérielle qui allégeait en surface leur moi pompeux. Maintenant, c’et plus dur : Nolan pèse lourd, engage de la star, tourne en studio. Plus moyen de se retrancher derrière un brassage d’air chichiteux tant les projecteurs sont braqués sur lui.

Le Prestige est un film de mise à nu. Rivalité de deux magiciens dans le Londres du début du XXe siècle, l’histoire donne à tâter du double fond. Un tour réussi, nous dit-on, répond à trois phases : la « promesse », exposition d’une situation banale, le « revirement » du banal en fantastique, et le « prestige », conclusion grandiloquente du numéro. Comme Nolan tient à théoriser chaque film (on se souvient de Batman et sa dissert’ sur la justice), il ne lui a pas échappé que le cinéma obéit au même pouvoir de mystification. Il épouse donc cette grammaire en trois actes et se transforme avec délectation en David Copperfield. Ambition pas plus bête qu’une autre, et implacable : à la moindre imprécision, le film vire à l’épate piteuse, à la chorégraphie désarticulée. Mais c’est dur et pénible, un tour qui ne marche pas : on perçoit les trucs et faiblesses en un rien de temps, on s’ennuie à mourir, on anticipe les effets de manches concoctés par un mini maestro dépassé à tous les niveaux.

Deux solutions pour attendre le générique : plaindre Nolan ou s’agacer de lui. On penche pour la deuxième tant le film est bâclé, complaisant à mort, oscillant entre Angier le frimeur flamboyant (on agite la caméra ou on cut fort pour huiler le tour de passe-passe) et Borden le génie bûcheur. Le Prestige multiplie l’esbroufe par l’esbroufe, raccourci facile, sans aucune noblesse ni intérêt, qui condamne le spectateur à être pris pour un gogo. Nolan n’en a cure. Comme d’habitude, il se drape dans une gravité de superette, sacrifiant toute grammaire au culte de la belle image. Le film n’est d’ailleurs jamais aussi agréable que lorsqu’il utilise le prestige au sens premier du mot. Soit un plaisir du plan composé, du ripolinage, du style au carré ; un amas de hauts de forme dans la neige, le visage ou les jambes galbées d’une actrice. La pose pure, en somme, sans écrous ni poulies. Un plaisir par procuration, car entre les images persiste ce mouvement flottant, imprécis et râpeux. Abracadabrantesque ? Même pas.